jeudi 1 janvier 2015

Les zones d'ombre et les effets pervers de la récente évaluation des Ministres guinéens



     La récente évaluation des ministres suscite beaucoup d’interrogations par rapport à la nécessité, la régularité et la pertinence d’une telle initiative. Dans un contexte de lutte contre l’épidémie d’ébola où nous avons besoin de la solidarité gouvernementale, on peut s’interroger également sur  l’opportunité et les effets pervers d’une telle initiative.
Le fait d’évaluer les ministères est en soi une très bonne chose, si elle est effectuée dans les règles de l’art conformément aux critères requis et  de manière objective dans un souci de transparence. Certes le président et sont premier ministre doivent suivre et évaluer les activités de chaque ministre de leur gouvernement mais ils ne sont pas obligés de publier les résultats de leurs appréciations, qui devraient plutôt  se traduire par des actes concrets notamment les avertissements, des suggestions, des encouragements, de la pression supplémentaire ou des remaniements ministériels. En cas de faute grave le ministre concerné doit démissionner ou il est limogé directement. 
Il y a lieu de rappeler d’abord que ce sont les citoyens guinéens et les usagers de l’administration guinéenne qui sont mieux placés pour apprécier les fonctionnements des différents ministères et leurs titulaires. Dans une démocratie où il y a la liberté d’expression les journalistes sont encore mieux placés pour évaluer la performance des ministres en faisant des investigations et des sondages d’opinion qui déterminent dans la transparence les cotes de popularité de chaque ministre. Or les critères et les résultats qui ont permis aux évaluateurs de classer les ministres en trois catégories notamment, les ministres excellents, bons et tocards n’ont pas été présentés, même si l’on parle de feuille de route. De plus nous ne pouvons pas  évaluer les ministres de façon objective, sans aucune distinction entre leurs ministères respectifs en termes de spécificité et d’importance en fonction de la politique générale du gouvernement et ses priorités. Il y a  donc une hiérarchie gouvernementale logiquement déterminée par l’importance des portefeuilles qui confèrent à chaque ministre un poids. D’où l’expression « les poids lourds du gouvernement ». Par exemple en raison de l’importance des problèmes de l’immigration et de la sécurité en France pendant ces deux dernières décennies, le ministre de l’intérieur est considéré comme le numero 3 des gouvernements français qui se sont succédés dernièrement. Et c’est en tenant compte des résultats obtenus par Manuel Valls  qu’il a été nommé premier ministre. La promotion à l’intérieur du gouvernement constitue donc un facteur de motivation et de performance des ministres. Avant d’évaluer les ministres le gouvernement devrait donc offrir aux citoyens une certaine lisibilité de sa politique générale et de ses priorités. Dans le cas guinéen en raison de l’épidémie d’Ebola, le ministère de la santé devient le plus important. Comment peut-on ’évaluer alors le ministre de la santé actuellement au  même titre que ses homologues de l’enseignement secondaires et supérieurs, dans la mesure où les écoles et les universités sont toujours fermées en raison de l’épidémie. Dans un contexte d’épidémie d’Ebola sur fonds de crise économique et sociale, en raison de quels résultats certains ministres ont-ils  été qualifiés d’excellents ? A notre avis on ne peut pas faire le classement des ministres et de demander implicitement aux populations, en le publiant, de l’accepter comme tel, sans le justifier en présentant les résultats de manière détaillée.  Si l’évaluation est faite dans un esprit de transparence, il fallait y aller alors jusqu’au bout.
Même si les media guinéens ne disposent pas de suffisamment de données quantitatives fiables et d’instruments d’analyses sophistiqués et précis, comme dans les pays développés, pour faire des sondages, tous les observateurs de la vie politique en Guinée peuvent constater aisément les performances des ministres. Par exemple en tant que citoyen guinéen et observateur de la vie politique en Guinée, dans ce contexte d’épidémie, je constate qu’il a fallu une intense activité diplomatique pour mettre la Guinée a l’abri de la marginalisation et d’isolement en maintenant les vols aériens tout en poursuivant la coopération. Certes les carnets d’adresse du président ont contribué à ce succès diplomatique qui s’est traduit par exemple par la visite du président français  Mr François Hollande en Guinée. Mais il ne saurait être indépendant de l’expérience et de la compétence du ministre des affaires étrangère, Mr François Fall.
A la limite l’assemblée nationale qui accueille et écoute tous les ministres tout en leur posant des questions est encore mieux placée que la primature et  la présidence pour évaluer les ministres, dans un esprit de séparation des pouvoirs, cher à Montesquieu, où l'exécutif demande d’être tempéré, contrôlé et arrêté par les pouvoirs législatifs et judiciaires. D’autant plus que, parmi les députés, il y a des technocrates, des hauts cadres de l’administration guinéenne et des anciens ministres qui ont de l’expertise et de l’expérience pour ce genre d’exercice.


Les Effets Pervers de la publication des résultats de l’évaluation
Les effets pervers sont les   résultats non souhaités et  non désirés, voire les conséquences néfastes d’une action,  auxquelles on ne s’attendait pas en agissant.  Ces effets étant omniprésents au sein des organisations administratives, pour reprendre Michel Crozier, une telle évaluation qui est certainement partie d’un bon sentiment, pourrait créer d’autres problèmes au gouvernement. En publiant ce classement certains ministres peuvent se sentir frustrés et injustement appréciés, comme le secrétaire général du ministère de l’éducation l’a d’ailleurs manifesté. En classant les ministres en trois catégories, cela  pourrait contribuer à entretenir une division au sein du gouvernement et porter atteinte à la solidarité gouvernementale dont on n’a  jamais eu tant  besoin comme maintenant  dans un contexte de lutte contre l’épidémie d’Ebola.
Afin de chercher à se classer très bien et de garder leurs postes certains ministres tenteront naturellement d’occulter les faiblesses de leurs ministères en soulignant plutôt leurs performances au point de falsifier leurs résultats. Dans ce cas au lieu de faire la lumière sur les efforts et les acquis des ministères, la dite évaluation contribuerait à cacher les faiblesses des ministres. Elle pourrait être instrumentalisée également par certains ministres qui maitrisent mieux la communication pour faire leur propre publicité personnelle afin de favoriser leur ascension et maintien au sommet de l’État.   


                

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