lundi 12 janvier 2015

Etre ou ne pas être Charlie? Une fausse opposition: être humain, solidaire et lucide!



Comme tout n’est pas blanc ou noir, dans un schéma d’analyse simpliste et dichotomique teinté de manichéisme où on oppose, sans cesse, les bons et les méchants à l’image des films Hollywoodiens, ce slogan de solidarité et d’indignation diffusé partout après le drame   ne doit pas diviser donc le monde entier en deux catégories distinctes et réductrices. Notre planète ne saurait être réduite à une division entre ceux qui « sont Charlie » et ce qui ne le sont pas, en regroupant ainsi les gens en deux camps opposés. Malgré le sentiment d’indignation, de révolte, d’impuissance que de tels actes criminels et terroristes suscitent en nous, efforçons-nous de rester lucides et objectifs  en faisant une analyse froide d’une telle situation inquiétante et menaçante pour nous tous. Evitons donc de tomber dans le piège de la pensée unique.            
 Je suis Charlie en tant qu’être humain, citoyen du monde et partisan de la liberté d’expression, choqué par les actes de  violence et de barbarie qui ont couté la vie à l’équipe de rédaction de Charlie Hebdo.
Je ne suis pas   Charlie en tant qu’africain de Guinée, qui n’a pas  forcément la même la religion, ni le même sens de l’humour, que les français ou les Occidentaux, que les dessins de cet hebdomadaire font rire beaucoup plus que moi.
De plus,  tous les français n’ont pas d’ailleurs le même langage et les mêmes sens de l’humour, qui varient selon l’appartenance des individus aux différentes couches sociales notamment la classe populaire, la classe moyenne, la classe supérieure ou la bourgeoisie. Par exemple, si les films de Woody Allen, le réalisateur américain, font rire beaucoup les français de la classe moyenne, tel n’est pas le cas des individus de milieux populaires.
Dans l’humour des classes populaires qui est plus direct et moins sophistiqué il y a plus de gros mots et d’allusions sexuelles. Or un tel humour est considéré comme grossier, vulgaire, insolent dans la classe moyenne, voire impoli en milieu bourgeois.
Quant aux africains, si je ne me trompe pas par ethnocentrisme, ils ont en général un humour plus direct et innocent qui n’a pour objectif en général que de faire rire les gens afin de détendre l’atmosphère et de désamorcer les conflits. Il  n’y a pas non plus beaucoup de sous entendus ni de sarcasme. De plus on n’a pas droit,  en Afrique, d’utiliser l’humour avec quiconque. Les jeux de plaisanteries existent entre les grands parents et petits enfants, les beaux frères, belles sœurs et les cousins maternels.  Il y a également des relations de plaisanteries qui existent entre les groupes ethniques ou les personnes qui portent certains patronymes : les Camara plaisantent par exemple avec les Sylla.
En tentant compte de toutes ces considérations socioculturelles, le slogan « Je suis Charlie » et l’humour du journal satirique ne sauraient êtres universel. Certes ce slogan tente de s’identifier aux victimes du massacre,   tout en démontrant par solidarité que l’esprit de « Charlie Hebdo » n’est pas mort. Cependant, je suis certain que beaucoup de personnes, tout en manifestant leur solidarité aux  victimes du massacre et à leurs familles, préfèrent garder une certaine distance par rapport à un journal proposant des caricatures parfois  vulgaires sur les thèmes de la religion. Comme ce qui fait rire les uns choque les autres, il faut à notre avis éviter de se heurter à la susceptibilité, la colère et la frustration en faisant de l’humour sur certains thèmes tels que la race et la religion.
Malgré notre indignation face  à cette barbarie des tueurs de Charlie Hebdo, qui n’a d’égal que l’obscurantisme, la haine et la lâcheté qui l’ont engendrée, nous pensons très sincèrement que ces journalistes n’avaient pas besoin de caricaturer le prophète Mohamed dans la mesure où cela est interdit par la religion musulmane. De plus,  la France a fait beaucoup d’efforts pour respecter les religions de ses habitants étrangers. Par exemple dans les cantines scolaires, les mairies  et les écoles évitent aux enfants musulmans de consommer la viande de porc en leurs proposant toujours d’autres repas. Or, il est beaucoup plus difficile de respecter de telles prohibitions que de s’abstenir de faire les caricatures du prophète.

Lorsqu’on utilise l’humour pour se moquer de la vision sérieuse d’une religion  en caricaturant son prophète, cela peut choquer et révolter naturellement ses fidèles. Cela peut être instrumentalisé par les extrémistes qui souhaitent, à tout prix, une guerre des civilisations. Selon les élites politiques et intellectuelles françaises une telle attitude de provocation est conforme au droit et aux traditions républicaines françaises protégeant  la liberté d’expression. Ce raisonnement  obéit également à la politique assimilationniste des colonies et des étrangers, moins attentive aux réalités socioculturelles des communautés.   Il en va autrement  en Angleterre et aux Etats-Unis, où il est interdit de caricaturer les personnages religieux  ou faire des blagues en utilisant la couleur de la peau des individus. Cette interdiction n’est pas, à notre avis, une abdication à la liberté d’expression, ni un compromis avec le fanatisme religieux, mais simplement une question de réalisme et de bon sens. Nous pensons que, pour favoriser la coexistence pacifique dans une société multiculturelle, il vaut mieux ne pas faire des provocations touchant aux croyances les plus sacrées des uns et des autres.
 De plus,  le monde a beaucoup évolué, car dans l’ère de la mondialisation les territoires nationaux ne sont plus comme avant. Les nouvelles technologies via internet ont fait éclater  les traditionnelles barrières nationales. C’est pourquoi toute information diffusée en France est accessible en quelques secondes dans le monde entier. De plus les sociétés Occidentales sont devenues très cosmopolites et  multiculturelles. Dans un tel contexte, toute publication de  la presse ne s’adresse pas qu’aux français et aux occidentaux qui ont en général un niveau de scolarisation plus élevé et sont plus imprégnés de certaines valeurs démocratiques, notamment la liberté d’expression. Sans être évolutionniste, les européens se rappellent bien  qu’autrefois, quand il y avait plus d’obscurantisme et de dogmatisme dans leurs sociétés catholiques, toute critique voire la moindre contradiction avec les dogmes de la religion chrétienne, exposaient les auteurs à la sanction très sévère de l’Église pour l’hérésie. Tel a été le cas de Galilée. Les sociétés européennes ont connu des conjonctures historiques et des courants philosophiques, à partir de l’époque des Lumières jusqu’au marxisme, qui ont profondément changé le rapport des individus à la religion, en introduisant une remise en question, un questionnement ou une distanciation qui n’existent pas ailleurs.
Notre appel au compromis, au bon sens et à la tolérance des États Occidentaux vis-à-vis des populations d’origine étrangère vivant dans leur territoire ne  devraient exonérer ces dernières de leur effort de s’intégrer dans leurs sociétés d’accueil.
Certes les populations d’origine étrangère sont  plus victimes de l’échec scolaire et du manque d’insertion professionnelle et sociale qui créent des frustrations, instrumentalisées et transformées en haine par les extrémistes religieux. Mais ce n’est pas en commettant de tels actes criminels et terroristes qu’ils défendront les musulmans ou leurs communautés. Au contraire en agissant de la sorte ils n’ont fait qu’aider le Front National et les autres partis d’extrême droite  tout en rendant la vie plus difficile aux musulmans en Europe. Ils doivent plutôt se battre pour mieux étudier et défendre leurs causes par la plume et par le discours comme le fait, Tariq Ramadan, l’un des rares intellectuels musulmans issus de l’immigration. D’ailleurs une semaine avant cet attentat, ce dernier affirmait dans l’hebdomadaire Français « Le Point » que les musulmans ne devaient pas répondre aux provocations de Charlie Hebdo. Pierre Bourdieu, le grand sociologue français et intellectuel engagé ne disait pas autre chose  lorsqu’il déplorait le rejet de la culture et du milieu intellectuel par les jeunes de la banlieue parisienne. Il leur disait   qu’ils étaient  des crétins lorsqu’ils refusaient de lire même les livre  concernant leurs origines, leurs problèmes liés  à  la situation des jeunes issus de l’immigration.
La question n’est donc pas  d’être Charlie ou de ne pas l’être. A notre humble avis et en tenant compte de toutes les considérations socioculturelles évoquées ci-haut dans leur complexité et particularité, il s’agit d’être à la fois humain, solidaire tout en demeurant responsable, lucide et objectif indépendamment de notre appartenance à  une religion, une communauté, une société ou pays.   

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