vendredi 22 septembre 2017

Kolaboui dans le cercle vicieux des émeutes de Boké



Décidément nous nous sommes retrouvés dans un cercle  vicieux de violences à Boké, depuis deux semaines, qui est entretenu par la gestion de l’amateurisme politicien de nos dirigeants et la culture de violence des jeunes qui sont très mal organisés. En tant qu’enseignant et originaire du village de Kolaboui, nous déplorons le caractère violent et anarchique  de la révolte des jeunes, qui ont détruit la gendarmerie, la police et se sont attaqué à la résidence du sous-préfet et du sous-préfet adjoint.  Même si nous sommes sociologues, notre propos, n’est pas d’expliquer, à tout prix, l’’inexplicable au point d’excuser l’inexcusable.
Nous avons été les premiers à montrer les impacts négatifs des implantations industrielles dans la sous-préfecture de Kolaboui, sur le plan économique, social et sanitaire. Cela dit, rien ne justifie de tels actes de violence et de vandalisme, dans une localité très cosmopolite, où les populations autochtones landouma, soussou et baga ont toujours vécu en harmonie avec leurs voisins diakhanké, peul et mikhiforè, qu’ils ont accueilli sur leurs terres et sont même devenus des parents à travers le brassage ethnique.  Ce chef-lieu de la préfecture, carrefour de la région, très riche en ressources agricoles et minières, ressemble désormais à une petite ville, mais qui n’a aucune infrastructure urbaine. Par exemple, il n’y a pas de route bitumée, au-delà de la route nationale reliant Boké à Kamsar et Conakry, pas d’adduction d’eau potable et ce sont les populations même qui s’organisent pour s’abonner à une entreprise qui leur fournit de l’électricité.  De plus, les infrastructures scolaires sont largement insuffisantes. Comme nous l’avons déjà expliqué dans un précédent article, l’unique complexe scolaire est surpeuplé, avec des effectifs pléthoriques entassés dans les classes et des enseignants débordés. Paradoxalement, après les premières émeutes, les autorités, qui ont toujours des solutions réactive, ont ignoré tous ces problèmes pour aller amadouer les jeunes de Boké ou de Kamsar, où il y a eu plus de révoltes.  Pourtant,Kolaboui est la sous-préfecture la plus directement touchée par les nouvelles exploitations minières. A Kolaboui centre,  où nous avons compté plus de deux-cent départs clandestins des jeunes candidats vers la Lybie, la migration témoigne du désespoir et du manque de perspectives de cette jeunesse. Dans les classes du lycée, plus de 80% des jeunes rêvent de suivre l’exemple de ceux qui partent . Les seuls à avoir profité de cette manne minière sont les rares jeunes hommes embauchés comme conducteurs de machines lourdes et de camions. Cela est dû  au manque d’intégration des entreprises dans l’économie locale, en l’absence de la transformation de la bauxite en alumine et en aluminium sur place. Nous assistons plutôt à une exploitation sauvage de la bauxite, chargés dans les bateaux en direction de la Chine sans qu’il n’y ait même pas un vrai port. De plus,  le manque de transparence et le népotisme rendent les processus d’embauche arbitraires et peu transparents, sources de frustrations des jeunes, comme nous l’avons souvent entendu. Comme le disait un jeune chauffeur au carrefour de la gare routière de Boké : « Allez-y là-bas, c’est le lieu de regroupement des travailleurs des entreprises minière. Tu ne verras pratiquement aucun natif de Kolaboui parmi eux ».   De telles réalités, qui entrainent des frustrations, créent forcément des groupes d’intérêt latents, dont les actions collectives se caractérisent le plus souvent par la violence et l’anarchie, s’ils n’agissent pas de manière concertée avec un projet de société. C’est ce qui manque à ces jeunes de Boké, qui ne pensent se faire entendre que par la violence, en détruisant leur bien collectif ; en s’attaquant au commissariat et à la gendarmerie ils exposent toute une ville à l’insécurité. Si les revendications des jeunes de Kolaboui, à l’instar des autres jeunes, sont légitimes quant au contenu,  elles perdent leur légitimité parce qu’elles adoptent une forme inacceptable : celle de la violence. Du coup, cette violence efface même le contenu de la revendication.  De telles violences, cependant, sont entretenues par les autorités, qui doivent comprendre que, dans un mouvement collectif, il y a plusieurs intérêts en jeu : à côté des  jeunes engagés pour le développement de leur localité, il y en a d’autres qui ne posent que des actes de vandalisme. Ces émeutes sont donc d’une maladresse et d’une violence qui n’ont d’égal que l’amateurisme politicien et le cynisme des dirigeants politiques, qui ne font que de tenter de calmer la situation. Sinon, comment peut-on comprendre que, après dix jours d’émeutes, ce soit le directeur des Impôts qui se retrouve là-bas en position de médiateur, dans une République où il  y a un Ministère chargé de la jeunesse, et un autre qui doit s’occuper de la sécurité ? Le directeur a certes quelques possibilités de négocier avec les entreprises minières et surtout la CBG  en faveur de la population , mais les entreprises minières doivent simplement s’acquitter de leurs impôts, qui doivent être utilisées pour le développement local. C’est cette gestion catastrophique, en raison de l’amateurisme et de l’incompétence de quelques dirigeants et de la mauvaise foi des entreprises, qui contribue à envenimer les émeutes de Boké.  

vendredi 15 septembre 2017

Les émeutes de Boké: de l'amateurisme politicien aux solutions durables





Il y a 5 mois, nous avons assisté, à Boké, à des émeutes très violentes, au cours desquelles les jeunes avaient exprimé leur colère contre le gouvernement, les autorités préfectorales et les entreprises minières chinoises qui venaient de s’implanter dans la région. Cette semaine, nous observons encore des manifestations très violentes des populations des quartiers périphériques de la ville minière de Kamsar, puis celles de Boké. Ce qui est frappant, les manifestants des deux plus grandes agglomérations urbaines, situées à 55km l’une de l’autre, ont fait exactement la même revendication en réclamant de l’électricité, qui apparait comme le gros arbre qui cache une forêt de problèmes auxquels les habitants de Boké sont confrontés. L’électricité n’est que la cause immédiate et apparente de leurs révoltes.  Cela montre que les populations de Kakande sont de plus en plus conscientes de partager les mêmes conditions de vie qui leur confèrent désormais une forte identité.  Or la sociologie montre que les actions collectives menées par des individus qui partagent une forte identité sont très difficiles à affaiblir.  Comme nous avons déjà souligné dans un précédent article, les mouvements sociaux auxquels les populations adhèrent pendant très longtemps ont des causes profondes, sur lesquelles les dirigeants doivent se pencher pour trouver une solution durable. Le gouvernement ne saurait résoudre une crise sociale si sérieuse sans établir un dialogue franc et sincère avec les populations, en les écoutant suffisamment avant de prendre des engagements dans la mesure de ses possibilités. Or, les autorités étatiques n’ont cherché qu’à trouver, jusqu’à présent, des solutions réactives de bricolage avec beaucoup d’amateurisme. Pour calmer les jeunes de Boké, le président s’était contenté d’offrir 70 camions à la jeunesse de cette localité. Ensuite, depuis quelques mois, les sociétés minières chinoises, au premier rang desquelles se trouve la SMB (Société Minière de Boké), offrent des dons tout en procédant à des dédommagements aux populations riveraines de ses zones d’implantation. Par exemple, à l’occasion de la fête de Tabasky elles ont offert des moutons et du riz dans certaines localités de la région. Mais il s’agit là d’actions très dérisoires, pour ne pas dire ridicules, par rapport à l’ampleur des impacts négatifs de l’exploitation minière. Parmi ceux-ci, on peut citer la dégradation de l’environnement, la privation des populations de leurs terres destinées à l’agriculture, l’inflation des prix des denrées de première nécessité, l’insécurité et le surpeuplement des écoles, insuffisantes pour répondre à la demande scolaire d’une population qui a énormément augmenté suite à l’arrivée des ouvriers. De plus, ces implantations minières ont suscité beaucoup d’espoirs chez les populations, qui étaient convaincues que les nouvelles entreprises allaient contribuer à la création de plusieurs emplois et au développement local de la région. Or, toutes ces attentes n’ont pas été satisfaites pour plusieurs raisons que nous allons détailler.
Tout d’abord, les implantations et les exploitations minières n’ont pas été précédées de sérieuses études d’impact- socio-économiques, ou elles n’ont pas respecté les recommandations des experts socio- anthropologues et des spécialistes de l’environnement. Les populations riveraines n’ont pas été suffisamment informées et préparées à une implantation d’une telle ampleur, à ses inconvénients et ses avantages sur le plan économique et social. Tous les habitants des localités et les originaires de la région de Boké que j’ai rencontré sont dépassés par la rapidité, voire la brutalité et le manque de transparence avec lesquels les entreprises ont commencé l’exploitation minière. Ils sont aussi désagréablement surpris de l’ampleur et de l’intensité des exploitations, qui peuvent être mesurées par le nombre important des camions qui circulent et stationnent dans la région, en encombrant et en dégradant les routes et en exposant la population aux accidents.  
De surcroit, ces entreprises ne créent pas suffisamment d’emploi, parce que nous n’assistons pas à une localisation de la production, c’est-à-dire à une transformation de la bauxite en alumine, puis en aluminium sur place. Même CBG, qui embauchait dans le passé jusqu’à 4000 salariés, n’a pas pu procéder à une telle transformation : elle ne fait qu’extraire la bauxite, la sécher et la transporter à l’état brut dans les bateaux. Cependant, elle a créé un minimum d’infrastructures, notamment toute la Cité de Kamsar, une enclave moderne, avec l’eau et l’électricité, des routes, un hôpital et une école. Or, les nouvelles sociétés chinoises n’ont même pas bitumé les routes et construit des ports. La bauxite est transportée à l’aide des barques dans les bateaux et les camions qui la transportent soulèvent beaucoup de poussière qui dégrade l’environnement et la santé des riverains. Donc, cette installation minière ne contribue pas au développement local de la région, mais plutôt à la dégradation de la qualité de vie des populations. Nous assistons à un déséquilibre entre l’exploitation abusive d’une région très riche en ressources naturelles et l’extrême pauvreté des populations.  C’est ce qui constitue vraiment la cause profonde des révoltes des populations, qui se sentent pillées et sous-estimées. Après les premières émeutes de Boké, le gouvernement a opté pour une approche plus communautaire et politique, qui consistait à transformer ce problème en ressource politique pour le Président et à amadouer les populations. Les entreprises minières ont été encouragées à offrir des dons aux communautés locales, qui n’ont été, finalement, que des calmants qui n’ont pas endormi les populations pendant longtemps. D’ailleurs, les émeutes en cours n’ont fait que montrer les limites, voire les effets pervers d’une telle approche, que j’ai déjà critiqué dans ma première étude sur le secteur minier, il y a plus de dix ans .  D’ailleurs, l’approche communautaire, comme nous l’avons vu en haute Guinée et en Guinée forestière,  crée plus de problèmes qu’elle ne résout, dans la mesure où elle fait croire aux ressortissants des localités d’implantation qu’ils seront les premiers bénéficiaires de l’emploi. Les ressources naturelles de la Guinée appartiennent à tous les Guinéens mais, lorsque leur exploitation est bien intégrée dans les économies locales, les populations riveraines seront naturellement les premiers et les principaux bénéficiaires. Cela dépendra donc de leur capacité d’appropriation à travers les initiatives locales. C’est pourquoi, au lieu de distribuer des dons, il faut plutôt contribuer au renforcement des capacités des populations locales, à travers des formations.
 Finalement, cette crise est révélatrice des défaillances de la démocratisation de notre pays, dans la mesure où la démocratie ne se limite pas à l’organisation des élections. Elle doit se traduire dans les consultations des élus du peuple, au niveau national et régional, de la sociétés civiles, des universitaires qui détiennent l’expertise sur ces questions. Elle doit s’appuyer sur une communication politique transparente, visant à rendre compte aux populations des actions des autorités, mais aussi à écouter les demandes, les revendications et les inquiétudes des populations à travers leurs représentants. Bref, il faut un cadre de transparence et de dialogue pour nous mettre à l’abri de la violence et permettre une meilleure mise en valeur de nos ressources.
Dr Abdoulaye Wotem Somparé
awsompare@gmail.com
Sociologue du travail et spécialiste du secteur minier guinéen.