Décidément nous
nous sommes retrouvés dans un cercle vicieux
de violences à Boké, depuis deux semaines, qui est entretenu par la gestion de
l’amateurisme politicien de nos dirigeants et la culture de violence des jeunes
qui sont très mal organisés. En tant qu’enseignant et originaire du village de
Kolaboui, nous déplorons le caractère violent et anarchique de la révolte des jeunes, qui ont détruit la
gendarmerie, la police et se sont attaqué à la résidence du sous-préfet et du
sous-préfet adjoint. Même si nous sommes
sociologues, notre propos, n’est pas d’expliquer, à tout prix, l’’inexplicable
au point d’excuser l’inexcusable.
Nous avons été
les premiers à montrer les impacts négatifs des implantations industrielles
dans la sous-préfecture de Kolaboui, sur le plan économique, social et
sanitaire. Cela dit, rien ne justifie de tels actes de violence et de
vandalisme, dans une localité très cosmopolite, où les populations autochtones
landouma, soussou et baga ont toujours vécu en harmonie avec leurs voisins
diakhanké, peul et mikhiforè, qu’ils ont accueilli sur leurs terres et sont même
devenus des parents à travers le brassage ethnique. Ce chef-lieu de la préfecture, carrefour de la
région, très riche en ressources agricoles et minières, ressemble désormais à
une petite ville, mais qui n’a aucune infrastructure urbaine. Par exemple, il n’y
a pas de route bitumée, au-delà de la route nationale reliant Boké à Kamsar et
Conakry, pas d’adduction d’eau potable et ce sont les populations même qui s’organisent
pour s’abonner à une entreprise qui leur fournit de l’électricité. De plus, les infrastructures scolaires sont
largement insuffisantes. Comme nous l’avons déjà expliqué dans un précédent
article, l’unique complexe scolaire est surpeuplé, avec des effectifs
pléthoriques entassés dans les classes et des enseignants débordés.
Paradoxalement, après les premières émeutes, les autorités, qui ont toujours
des solutions réactive, ont ignoré tous ces problèmes pour aller amadouer les
jeunes de Boké ou de Kamsar, où il y a eu plus de révoltes. Pourtant,Kolaboui est la sous-préfecture la
plus directement touchée par les nouvelles exploitations minières. A Kolaboui
centre, où nous avons compté plus de deux-cent
départs clandestins des jeunes candidats vers la Lybie, la migration témoigne
du désespoir et du manque de perspectives de cette jeunesse. Dans les classes
du lycée, plus de 80% des jeunes rêvent de suivre l’exemple de ceux qui partent
. Les seuls à avoir profité de cette manne minière sont les rares jeunes hommes
embauchés comme conducteurs de machines lourdes et de camions. Cela est dû au manque d’intégration des entreprises dans l’économie
locale, en l’absence de la transformation de la bauxite en alumine et en
aluminium sur place. Nous assistons plutôt à une exploitation sauvage de la
bauxite, chargés dans les bateaux en direction de la Chine sans qu’il n’y ait même
pas un vrai port. De plus, le manque de
transparence et le népotisme rendent les processus d’embauche arbitraires et
peu transparents, sources de frustrations des jeunes, comme nous l’avons
souvent entendu. Comme le disait un jeune chauffeur au carrefour de la gare
routière de Boké : « Allez-y
là-bas, c’est le lieu de regroupement des travailleurs des entreprises minière.
Tu ne verras pratiquement aucun natif de Kolaboui parmi eux ». De
telles réalités, qui entrainent des frustrations, créent forcément des groupes
d’intérêt latents, dont les actions collectives se caractérisent le plus
souvent par la violence et l’anarchie, s’ils n’agissent pas de manière
concertée avec un projet de société. C’est ce qui manque à ces jeunes de Boké,
qui ne pensent se faire entendre que par la violence, en détruisant leur bien
collectif ; en s’attaquant au commissariat et à la gendarmerie ils
exposent toute une ville à l’insécurité. Si les revendications des jeunes de Kolaboui,
à l’instar des autres jeunes, sont légitimes quant au contenu, elles perdent leur légitimité parce qu’elles
adoptent une forme inacceptable : celle de la violence. Du coup, cette
violence efface même le contenu de la revendication. De telles violences, cependant, sont
entretenues par les autorités, qui doivent comprendre que, dans un mouvement
collectif, il y a plusieurs intérêts en jeu : à côté des jeunes engagés pour le développement de leur
localité, il y en a d’autres qui ne posent que des actes de vandalisme. Ces
émeutes sont donc d’une maladresse et d’une violence qui n’ont d’égal que l’amateurisme
politicien et le cynisme des dirigeants politiques, qui ne font que de tenter
de calmer la situation. Sinon, comment peut-on comprendre que, après dix jours
d’émeutes, ce soit le directeur des Impôts qui se retrouve là-bas en position
de médiateur, dans une République où il
y a un Ministère chargé de la jeunesse, et un autre qui doit s’occuper
de la sécurité ? Le directeur a certes quelques possibilités de négocier
avec les entreprises minières et surtout la CBG en faveur de la population , mais les
entreprises minières doivent simplement s’acquitter de leurs impôts, qui
doivent être utilisées pour le développement local. C’est cette gestion
catastrophique, en raison de l’amateurisme et de l’incompétence de quelques
dirigeants et de la mauvaise foi des entreprises, qui contribue à envenimer les
émeutes de Boké.