mardi 23 décembre 2014

Les lieux de rencontre d'Alpha Condé avec Cellou Dalein Diallo: de l'unité nationale à l'instrumentalisation politique



Les deux derniers rencontres inattendues  du président guinéen et le leader de L’UFGDG de l’opposition, en cette fin d’année 2015, montrent que dans la vie seules les montagnes ou d’autres objets figés ne se rencontrent jamais, mais les hommes peuvent toujours se retrouver,  quels que soient leurs points de divergence et les conflits qui les opposent.
Dans un contexte d’une forte bipolarisation de la vie politique, de manque de confiance et de dialogue dont souffre énormément la Guinée, l’opposition guinéenne et le parti au pouvoir s’affrontent et se critiquent violemment   par médias interposés, mais ils ne se  rencontrent que rarement pour s’affronter, discuter de leurs idées et aplanir leurs points de vue afin de retrouver le consensus sans lequel il n’ y a ni de démocratie ni de paix sociale.  D’où la dimension historique de ces deux dernières rencontres, notamment à l’occasion de la visite du président français François Hollande en Guinée et autour du symposium des six années de la mort de l’ancien Président, le général Lansana Conté.
La visite du président Hollande, qui était venu manifester sa solidarité avec le peuple de Guinée, dans un contexte de marginalisation et d’isolement de la Guinée en raison de l’épidémie d’Ebola a été un grand moment de solidarité, de dignité et de patriotisme de la classe politique guinéenne. A cette occasion, le président Alpha Condé avait eu l’intelligence et  le sens de la responsabilité d’un homme d’Etat en tendant la main, pour une fois, à l’opposition guinéenne invitée aux cérémonies officielles d’accueil du président français.  Les membres de l’opposition aussi ont eu la courtoisie et le sens de l’intérêt national en acceptant volontiers cette invitation du Président. Les principaux acteurs politiques guinéens ont pu dépasser ainsi leurs intérêts partisans au dessus desquels ils ont placé l’intérêt du peuple guinéen. Il s’agit là de l’une des principales clés de blocage politique en Guinée, source de paix sociale et de développement dans notre pays.
Apres cette visite du président français, chacune des deux parties qui se disputent le pouvoir a  regagné  son  propre  camp à base principalement ethnique pour camper sur ses positions habituelles relatives au principal, pour ne pas dire unique, sujet du débat politique en Guinée : l’organisation des élections. Election à tout prix ! C’est comme si nos principaux acteurs politiques avaient  encore oublié l’intérêt supérieur de la nation guinéenne, dans un contexte où notre pays est confronté et fragilisé  par l’épidémie d’Ebola, en ne cherchant qu’à garder le pouvoir ou à y accéder. Ils renouent ainsi avec les mêmes habitudes de dialogues de sourds qui se nourrissent du manque de confiance entre les acteurs politiques et de volonté politique. 
Finalement il a fallu attendre le symposium des six ans de la mort du président Conté pour revoir une autre rencontre du président de la république avec le leader de l’UFDG Celloun Dalein Diallo autour de la mémoire du défunt président. Les  deux camps politiques se disputent désormais cette mémoire pour  en faire une ressource politique afin de séduire l’électorat de la basse Guinée, région d’origine du président défunt où il demeure toujours populaire. Nous assistons donc actuellement en Guinée à une instrumentalisation et à des récupérations politiques des mémoires de nos anciens présidents à des fins purement électoralistes à court terme, dans un contexte d’ethnicisation et de surcommunautarisation de la vie politique.    Donc si la première rencontre à l’occasion de la visite du Président Hollande a été une grande occasion  d’unité  dans l’intérêt national, la récente rencontre de cette semaine était plus dictée par les intérêts partisans. Ainsi,  elle apparaît comme le premier acte de la prochaine campagne électorale où, apparemment, la manipulation de l’histoire récente de la Guinée et l’instrumentalisation de l’ethnicité  continueront de planer sur la quiétude sociale.

dimanche 21 décembre 2014

L'énigme du racisme contre les Noirs dans le Football

Le football est la discipline sportive, qui rassemble davantage les peuples du monde entier et les différentes couches sociales, qu’elles soient riches ou pauvres, mais en même temps il est paradoxalement devenu l’un des moyens les plus importants de la manifestation et l’expression du racisme.
Si l’on peut tenter de comprendre la persistance du racisme dont sont victimes les noirs par des facteurs historiques notamment l’esclavage, la colonisation, le retard de l’Afrique sur le plan technologique et économique, nous pouvons cependant être surpris désagréablement du racisme dont sont victimes les footballeurs noirs.  Dans cette discipline sportive  on peut compter, parmi les meilleurs sportifs  qui ont régalé la planète entière par leur génie et technique, beaucoup de joueurs noirs  notamment le roi Pele, le meilleur jouer de tout temps, Eusobio, Abedi Pele, Georges Weah, Ronaldo, Ronaldinho, Samuel Eto, Lilian Thuram,  Didier Drogba, Yaya Toure etc.. Les exploits techniques et les brillants parcours réalisés par  tous ces grands joueurs noirs, parmi tant d’autres, tellement nombreux qu'on ne peut pas les citer ici,    devraient, normalement, contribuer à lutter contre les préjugés, les clichés et le racisme dont sont victimes les Africains.  Au-delà  de la couleur de la peau, leurs exploits sportifs montrent que les qualités humaines notamment le don, le génie, l’intelligence technique ou tactique ne sont l’apanage d’aucun peuple, mais ils appartiennent à tous les groupes ethniques ou à toutes les  races,  pour ceux qui ne croient pas encore à l’existence d’une seule espèce humaine. D’où l’énigme du racisme dans le football. Comment peut-on aimer le football et crier son  sur un footballeur parce qu’il a simplement la même couleur de  peau que  Pele  ou d’autres « génies noirs » du football ?
De plus ce qui est encore étonnant, injuste et révoltant, ce sont les fils du continent du football, l’Afrique, qui sont les victimes de  ce type de racisme qui ne vise que les footballeurs. Eh oui, l’Afrique est un continent de football où le ballon rond rend heureux  des millions d’enfants et de jeunes qui n’ont pas autant de jouets et d’infrastructures sportives et de loisirs que leurs homologues des pays riches ou moins pauvres. Comme la pratique de football n’exige qu’une petite boule ronde que les enfants fabriquent ou inventent parfois avec des moyens du bord, ou achètent à des prix très abordables, il est devenu ainsi le sport roi, c'est-à-dire le plus pratiqué et regardé dans le monde, même dans les contrées villageoises les plus lointaines d’Afrique. Dans les villes en Afrique, beaucoup plus peuplés que les villages, les jeunes désœuvrés, victimes de la déscolarisation et du chômage, s’adonnent, avec passion, au football en jouant et en regardant surtout, les clubs et les équipes nationales européennes. Quand ces jeunes africains supportent les clubs tels que Real Madrid, FC Barcelone, l’inter de Milan , Milan AC, Liverpool, Bayern de Munich, ce ne sont pas les couleurs de la  peau des joueurs qui les intéressent et qu’ils regardent. Ce sont plutôt leur jeu, le génie, l’art  des joueurs, qu’ils admirent en  les supportant au point de s’identifier aux stars du ballon rond, jusqu’à porter leurs noms comme surnoms. C’est pourquoi en Afrique et surtout en Guinée il y a beaucoup de jeunes qui se font appeler Maradona, Platini, Zico, Socrates, Zidan, Messi, Christian Ronaldo, Baggio, Del Piero, Pirlo, Clinsman, Thomas hasler, Becken Bauer etc.  Cette passion du football des jeunes africains et leur adoration et adoption des idoles du ballon rond dans leurs cœurs indépendamment des appartenances raciales ou ethniques, religieuses, contrastent malheureusement avec le racisme dont sont victimes les footballeurs d’origine africaine. Dans ce cas, ceux qui agressent chaque weekend dans les stades européens, les footballeurs noirs en les insultant, en faisant des cris de singe ou en jetant des bananes, n’infligent pas seulement cette violence aux seuls footballeurs, mais ils insultent plutôt tout un continent africain, y compris les jeunes amoureux du football.
Cet état de fait regrettable doit nous amener à nous poser cette question:  si un noir ne peut pas se sentir à l’aise sur un terrain de football ou  dans un stade sans être victime de la haine raciste et de l’humiliation, bref de la violence physique et symbolique, où  peut-il être bien dans sa peau maintenant ? Quant à moi ma réponse est sans hésitation ni réserve négative. C’est pourquoi les milieux du football doivent être considérés aujourd’hui comme le premier lieu de combat et le principal front de lutte contre le racisme dont les noirs sont victimes.
Au lieu de combattre ce type de racisme primaire, qui n’honore aucun être humain, aucune société, nous assistons plutôt à sa banalisation et sa persistance sous l’œil complice des dirigeants du monde entier, surtout africains, la FiFa, et la CAF et la passivité, le manque de conscience de solidarité des footballeurs noirs à l’exception quelques rares joueurs tel que Lilian Thuram.
Par exemple Willy Sagnol, l’entraîneur de l’équipe de Bordeaux  où il y a plusieurs footballeurs africains, notamment le capitaine de l’équipe, a tenu des propos racistes, teintés de préjugés et de clichés, visant les footballeurs africains, mais il n’a été sanctionné ni par les dirigeants de son club ni par la fédération française de football, malgré la dénonciation de certaines personnalité du football d’origine africaines et européenne, notamment Pape Diouf et Claude Le Roi. Les journalistes de l’émission de RFI Mondial Foot l’ont aussi beaucoup critiqué. Du côté des footballeurs africains en activité dans le championnat, silence radio ! Personne n’a réagi, y compris les joueurs africains de Bordeaux.  Or, une simple grève des footballeurs africains paralyserait complètement le championnat français tout en contribuant à mettre les joueurs à l’abri du racisme.  Paul Pogba, footballeur français d’origine guinéenne, élu meilleur footballeur junior du monde, a été aussi victime du discours raciste du président de la Fédération italienne du football, mais la victime, plus préoccupée de sa carrière, n’a réagi d’aucune manière. D’où le silence coupable des footballeurs noirs qui contribuent beaucoup à la persistance du racisme, car ils ont la notoriété et le pouvoir économique pour s’ériger en défenseurs de l’ensemble des Noirs, notamment des immigrés ouvriers souvent  victimes du racisme.
D’ailleurs dans un prochain article nous tenterons de démontrer comment le sommet de la hiérarchie du football européen contribue à entretenir les préjugés et  les clichés sources du racisme visant les footballeurs noirs et africains. 

Dr Abdoulaye Wotem Somparé, sociologue et ancien footballeur amateur

mercredi 26 novembre 2014

Une grave erreur professionnelle dans la lutte contre Ebola



Des échantillons du virus d’Ebola négligemment et imprudemment embarqués dans un taxi de transport en commun de l’intérieur du pays à destination de Conakry ont été interceptés par les voleurs coupeurs de route. Ils ont disparu dans la nature avec une telle bombe naturelle qui menace la survie des êtres humains en Guinée. Ils se sont volatilisés avec un tel virus et ils risquent d’avoir une  mauvaise surprise, en découvrant  de se contaminer et de  répandre partout  la maladie d’Ebola comme une poudre. Cette histoire est tellement surréaliste qu’on se croirait dans un film Western de la conquête du far West.
Ensuite, le responsable de la coordination de lutte contre Ebola en Guinée s’est contenté d’informer seulement que le butin emporté par leurs voleurs contient du virus en soulignant l’insuffisance de véhicule appropriés pour ce genre de transport malgré les dons d’équipements et d’infrastructures sanitaires.
De  qui se moque-t-on ? Tous les guinéens ne sont pas devenus mythomanes ou des aveugles pour ne pas voir et comprendre que le manque de moyens techniques ou financiers ne peuvent pas occulter, cette fois-ci, l’inadmissible et intolérable faute professionnelle de ceux qui ont embarqué de tels échantillons dans un taxi de transport en commun, en exposant les passagers à l’épidémie, sur un trajet qui n’est pas sécurisé. On aurait pu trouver, au moins, d’autres véhicules bien sécurisés avec des agents de sécurité ou des militaires. Tous les responsables de cette faute professionnelle doivent être blâmés, sanctionnés, suspendus par leurs services et poursuivis par la justice. Une enquête, à la fois parlementaire et judiciaire, doit être ouvertes concomitamment. Si cette procédure professionnelle et judiciaire n’est pas engagée comme dans un pays qui fonctionne normalement, les responsabilités individuelles doivent être situées et les fautifs doivent reconnaître leurs erreurs ou fautes avant d’être  pardonnés. C’est ce qui nous évitera de refaire les mêmes erreurs et d’avancer mieux en tirant les enseignements du passé. Cela nous évitera également d’imputer à toute une communauté ou à l’ensemble d’un corps professionnel la défaillance de quelques individus.

mardi 25 novembre 2014

La solidarité africaine à l'épreuve de l'épidémie d'Ebola


 

Après avoir souligné la responsabilité de la Guinée dans la persistance de l’épidémie d’Ebola dans les trois Pays les plus touchés, dans un article publié   dans le lynx du 24 septembre, nous allons essayer de souligner maintenant celle de l’Afrique et plus précisément de la CEDEAO et l’Union Africaine. L’Afrique a toujours eu la réputation d’être la terre de solidarité que l’on oppose souvent, à tort ou à raison, à l’individualisme qui existe dans les sociétés occidentales et industrialisées.  C’est pourquoi, actuellement, plusieurs observateurs de la vie sociale et politique en Afrique sont désagréablement surpris de voir la majeure partie des Pays africains peu solidaires envers la Sierra Leone, le Libéria et la Guinée, confrontés à la pire épidémie d’Ebola de toute l’histoire, qui a déjà tué plus de 5000 personnes, avec près de 10.000 cas de contaminations.  Ils sont étonnés de voir les Pays limitrophes fermer brutalement leurs frontières et des attitudes d’inhospitalité voire  d’hostilité que les gouvernements et les  populations  des Pays non touchés ont manifesté. Cette attitude a atteint son point d’orgue,  lorsque des jeunes sénégalais se sont réunis pour aller tuer le jeune guinéen malade d’Ebola qui avait franchi illégalement la frontière pour aller se soigner au Sénégal. Dans cet article,  nous allons donc questionner les attitudes des Pays membres de la CEDEAO par rapport à cette épidémie, révélatrice de l’effritement des liens de solidarité dans le continent. Nous allons aussi  essayer de démontrer de quelle manière la solidarité entre les Pays africains pourrait permettre une éradication plus rapide de l’épidémie.

 

 Sur le plan international, après l’échec des tentatives des leaders panafricains tel que Kwame Nkrouma, de créer une seule nation Africaine unie, les pays africains issus des indépendances ont créé finalement des institutions formelles telles que l’OUA (Organisation de l’Unité  Africaine), devenue plus tard, par mimétisme occidental,  l’actuelle l’Union Africaine, et des organisations sous-régionales au niveau de chaque région. (Par exemple la CEDEAO en Afrique occidentale). Ces organisations, censées jouer le rôle de consolider la solidarité entre les Etats, en réalisant des projets socio-économiques d’intérêt sous régional ou  africain, tout en maintenant la paix dans le continent,  ne sont jamais parvenues à atteindre entièrement  leurs objectifs.  Malgré la fréquence des rencontres internationales très coûteuses  réunissant les Etats membres sur le dos des contribuables des différents pays concernés, nous attendons toujours en vain les résultats escomptés. La création de  l’Etat panafricain composé de pays solidaires et unis s’est toujours heurtée aux   égoïsmes nationaux,  à l’égocentrisme et aux querelles de leaderships des présidents africains et  au néocolonialisme des anciens pays colonisateurs.

   Cette épidémie d’Ebola est révélatrice du manque de volonté et de l’incapacité des organisations panafricaines à jouer leur rôle. Sinon, comment peut-on expliquer que le Maroc, qui n’est ni membre de l’Union Africaine ni de la CEDEAO, ait été plus solidaire que les Pays membres de ces institutions,  en maintenant ses vols tout en intensifiant sa coopération  avec les pays  touchés par l’épidémie ? Cela doit nous amener aujourd’hui à nous interroger sur la raison d’être même de ces institutions, dont les budgets de fonctionnement sont très coûteux pour le pauvre contribuable africain.

 

 

La nécessité d’une prise  de conscience de la dimension transnationale de l’épidémie 

 

Lorsqu’un être humain est confronté et exposé à une maladie si contagieuse et dangereuse qui menace sa vie, il réagit naturellement «  par instinct de conservation », pour rependre Thomas Hobbs dans sa philosophie morale et politique, en pensant à se protéger d’abord avant les autres. Telle a été la première  réaction   des gouvernements des pays limitrophes des Pays touchés  qui, à l’exception du Mali,  ont fermé instinctivement et brutalement leurs frontières avant de réfléchir profondément sur les conséquences néfastes d’une telle décision dans les pays contaminés et  sur son efficacité dans la protection  de leurs propres populations.  En même temps, le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont apporté une aide à travers l’envoi d’un certains nombre de médecins dans les Pays touchés. Cette décision, comprise et saluée par certains et critiquée par  beaucoup d’autres, est l’une des réponses possibles à une question fondamentale : comment peut-on être solidaires des pays contaminés sans pour autant exposer sa propre population  à l’épidémie ? Je pense que pour répondre à une telle question, il est nécessaire de considérer que   la décision de fermer les frontières n’a pas de fondement historique et anthropologique. Elle ne tient pas compte de l’existence des espaces économiques et politiques qui ont toujours existé en Afrique, bien avant la colonisation.  Bien des  historiens et anthropologues ont déjà montré cette réalité, notamment Elikia M’Bokolo, Jean-Loup Amselle et l’historien sénégalais d’origine guinéenne Boubacar Barry. Ces espaces internationaux africains, qui ont survécu aux  conjonctures historiques telles que  la colonisation et les indépendances, ont toujours été des lieux   d’échange des biens, de rencontre et de brassage des populations africaines. Ils sont matérialisés, par exemple par l’existence des marchés hebdomadaires internationaux dans ces zones frontalières, comme celui de Gueckedougou en Guinée forestière. Ils continuent d’exister  malgré la diversité des orientations ou les divergences, voire les conflits, entre les dirigeants. Ces échanges  ont largement contribué à la survie des populations africaines fragilisées et confrontées aux crises économiques,  à travers des activités économiques informelles qui échappent le plus souvent au contrôle des gouvernements.

Il est utile de se rappeler aussi que les frontières  héritées de la colonisation ont un caractère fictif et que leur création a interrompu le processus de constitution des Etats-Nations en Afrique.   Les Pays de l’Afrique de l’Ouest appartiennent à un grand ensemble ayant des caractéristiques culturelles, économiques, sociales et politiques communes, cimentées par des liens socio-historiques. La difficulté à maitriser l’épidémie s’explique, d’abord par le fait qu’elle a été, dès le départ, très mal appréhendée  en le considérant  seulement dans sa dimension nationale, comme un problème de santé publique d’abord de la Guinée, puis de la Sierra Léone et du Libéria. Cette épidémie doit être appréhendée dans sa dimension transnationale car, comme l’a souligné récemment la présidente du Libéria Sirleaf, tant qu’un seul Pays est touché, toute la sous-région ne sera pas à l’abri de l’épidémie. La fièvre hémorragique d’ Ebola doit être considérée avant tout comme une épidémie des zones forestières de l’Afrique occidentale, sans pour autant stigmatiser les habitants de la forêt.  On doit être conscients que ce virus traverse constamment les frontières poreuses de ces Etats où les échanges de populations et de marchandises sont très intenses. Or, cette conscience d’appartenir à un même espace culturel et géographique, cette solidarité et cette vision stratégique ont  manqué à beaucoup de dirigeants. L’exemple le plus frappant est celui du président nigérian Goodluck Jonathan regrettant le premier cas d’Ebola dans son Pays : « Jusqu’à présent nous étions à l’abri de cette épidémie, si ce forcené n’avait pas quitté son Pays pour venir ici, alors qu’il se savait contaminé ». Le même manque de vision globale  transfrontalière et stratégique de l’épidémie empêche toujours les trois pays les plus touchés de mettre en place ensemble une stratégie concertée et coordonnée en renforçant davantage les contrôles dans les frontières. Les trois Pays devraient se concerter pour prendre ensemble des mesures contre l’épidémie, alors que les stratégies ont été différentes : par exemple le Libéria a proclamé l’état d’urgence, la Sierra Léone trois journées de confinement de la population, mais la Guinée n’a adopté aucune de ces mesures.

 

Sur le plan international en termes d’image et de  réputation  de l’Afrique et des Africains dans le monde, la fermeture des frontières n’a pas été réaliste et efficace, parce que les autorités politiques qui se sont désolidarisées des Pays touchés n’ont pas tenu compte du fait que la stigmatisation d’un ou deux Pays rejaillit sur tout le continent africain. Tel est l’exemple frappant de l’Ouganda. Dans le cadre de la compétition internationale de football, en se protégeant de l’épidémie, les autorités ougandaises ont mis presqu’en  quarantaine les footballeurs guinéens tout en réduisant au minimum les membres de la délégation qui accompagnait les joueurs. Ces derniers ont été isolés au point de les loger dans de très mauvaises conditions dans un hôtel miteux, afin de mettre selon eux leur population à l’abri de l’épidémie. Comme ironie du sort, une élève ougandaise vient de subir en Italie, le 23 octobre dernier, le même genre de marginalisation et d’ostracisme lorsque les parents d’élèves d’une école ont décidé de retirer leurs enfants car la petite venait tout juste de rentrer d’un voyage en Ouganda. Cela montre que, dans un contexte où on ne fait pas une très grande distinction entre les Pays africains et leurs populations, toute personne en provenance d’Afrique peut être considérée comme une menace de santé publique.

 

 

 

La nécessité d’une surveillance et d’une stratégie concertée : vers une solidarité réaliste et objective

 

La prise de conscience de la dimension transnationale de l’épidémie devrait amener tout naturellement à une attitude de solidarité réaliste, dictée, avant tout,  par la défense de ses propres intérêts. Il est évident que si les Pays de la sous-région  s’activent pour aider les Pays touchés à lutter contre l’épidémie d’Ebola, ils vont en même temps œuvrer pour mettre leurs populations à l’abri  d’un tel fléau.  Une telle solidarité objective et réaliste,    dictée par les intérêts des parties,  ne doit pas se traduire par un minimum  geste de solidarité de façade, comme l’ont fait le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, qui ont envoyé en Guinée quelques  médecins tout en fermant leurs frontières.

Cependant on peut s’interroger également  sur la décision de la fermeture de ces frontières par le fait que les autorités politiques sénégalaises, ivoirienne et celles de la Guinée Bissau n’étaient pas convaincues de la volonté et l’efficacité des Pays touchés par l’épidémie de prendre des mesures efficaces pour l’éradiquer rapidement.  Leurs médecins, qu’ils avaient dépêchés en Guinée, ont certainement constaté des défaillances et des lacunes du système de santé guinéen. Dans ce cas, au lieu de se contenter de fermer seulement la frontière, ils auraient dû signaler ces défaillances en mettant pression sur les autorités des Pays concernés. C’est comme quand la case d’un voisin direct brûle :  la meilleure façon de mettre la sienne à l’abri c’est de venir éteindre le feu. Et en aidant le voisin, quand on voit des éléments explosifs qui peuvent aggraver l’incendie, faut-il se taire ? Effectivement, telle a été l’attitude des Pays de la CEDEAO et l’ensemble des Pays africains. Ces Pays avaient un droit de regard et de pression sur les actions de lutte menées dans ces Pays-là, sans pour autant remettre en cause leurs souverainetés nationales respectives. Après avoir constaté que les gouvernements des Pays infectés par l’épidémie n’étaient pas en train de lutter de manière efficace, nous semble t-il, contre Ebola, les dirigeants des Pays voisins auraient dû leur faire des remarques, des suggestions, des directives. Si celles-ci n’avaient pas été acceptées, en tant que Pays frères, membres de la CEDEAO  ils ont avaient, et ils ont encore, le droit de dénoncer  ces défaillances en prenant ainsi en témoin les populations africaines et l’opinion internationale. Cela aurait constitué une pression supplémentaire sur les gouvernements  concernés.

 

Finalement, en fermant les frontières, les Pays africains   ont opté plus pour une stratégie de communication visant à rassurer leurs populations, les investisseurs étrangers et les touristes sans pour autant contribuer, de manière efficace,  à mettre leurs populations réellement  à l’abri de l’épidémie. En ce qui concerne le Sénégal, la décision de fermer la frontière n’est pas indépendante   d’un certain chauvinisme de ce Pays dont ma grand-mère est originaire, qui a tendance  à stigmatiser toutes les populations vivant dans les zones forestières d’Afrique noire  en les targuant de « Gnacs » . Leur attitude de manque de solidarité vis-à-vis des Pays voisins obéit certainement à la volonté de l’élite politique d’exprimer «  l’exception sénégalaise » , l’orgueil du Pays phare de l’ancienne Afrique Occidentale Française, dont Dakar était la capitale. Beaucoup de  Sénégalais considèrent ainsi Le Sénégal plus en avance par rapport aux autres Pays de l’Afrique occidentale, par exemple  du point de vue  de la démocratisation. Cela est bien perceptible dans les propos de la ministre Sénégalaise annonçant et justifiant la fermeture des frontières Sénégalaises en ses termes sur les antennes d’R F I, au mois de mars, «  comme nous sommes un pays organisé, nous avons décidé de  fermer les frontières avec la Guinée afin de protéger notre pays »

 Cette solidarité dont les peuples africains ont tant besoin souffre également de l’existence en Afrique, dans un contexte de personnification du pouvoir et de faiblesse des institutions, d’un mélange de genre entre les relations personnelles des chefs d’Etat-Africains et celles des relations objectives et rationnelles dictées par des intérêts économiques et géostratégiques. Par exemple  la fermeture de la frontière sénégalaise et l’ouverture de celle du Mali dont ne sont pas indépendantes des rapports que le président Guinéen  Alpha Condé entretient , avec les deux  chefs d’Etat de ces pays limitrophes. Or les décisions de fermetures d’ouverture ou de réouvertures ont été prises selon l’inspiration personnelle ou les humeurs des présidents ou des gouvernements, à l’insu des populations de ces pays qui n’ont pas été consultées ni par un referendum, ni par un simple sondage d’opinion. Leurs élus et représentants dans les  assemblées n’ont pas été non plus été consultées en soumettant de telles décisions si importantes à une approbation populaire sans laquelle il n y a pas de démocratie. L’histoire récente est-elle en train de donner raison au Président Barack Obama lorsqu’il disait «  que l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais des institutions fortes »  qui contribuent à impliquer les populations dans les processus de développement et de démocratisation des sociétés africaines tout en les protégeant dans un contexte de séparation des pouvoirs.          

Notre appel en faveur de la solidarité africaine n’est pas valable seulement dans le cas d’Ebola, car il y a un autre virus qui a infecté l’Afrique Occidentale. En effet, certains Pays sont déjà très atteint par le terrorisme islamiste, notamment le Mali et le Nigéria, sans bénéficier d’une solidarité des Etats voisins qui sont exposés à la même menace.  Qu’attendons-nous pour venir en aide des voisins dont la case est en train de brûler ? Même si les Pays africains n’ont pas suffisamment de moyens, il est possible de mettre en place  un dispositif africain de réaction contre les épidémies et une armée de lutte contre le terrorisme, à l’image de l’ECOMOG dans les années ‘90 en Afrique Occidentale.

           


 

jeudi 20 novembre 2014

Victoire du Syli National: un sursaut national dans un contexte de marginalisation de la Guinée à cause de l'épidémie d'Ebola.



 
Si la Guinée est, depuis six mois l’un des pays les plus médiatisés dans le monde, l’une des cibles préférées des media, ce n’est pas en raison de ses performances économiques ni de ses exploits,  mais plutôt, malheureusement,  en raison de l’épidémie d’Ebola. Cette épidémie n’a fait que consolider les clichés habituels de catastrophes et de misères qui occultent, en général, tous les aspects positifs de la vie et des évènements en Afrique. Depuis l’accession de notre pays à l’indépendance en 1958 et son rayonnement, sur le plan culturel et sportif grâce aux ballets africains, Bebeya Jazz national et Hafia, Horeya,  des années 60, le peuple de Guinée peine à relever la tête sur la scène internationale en se distinguant positivement des autres nations du monde. Finalement, La Guinée s’est reposée et s’est endormie sur les exploits de  ses premières années des indépendances tout en les surestimant, sans pour autant chercher à les dépasser. Comme un proverbe africain nous l’enseigne « un chasseur qui ne parle que de ces anciens proies ou  butins, un est chasseur qui n’a pas réussi à en faire d’autres depuis très longtemps »  C’est ainsi que nous sommes devenus en Guinée des nostalgiques d’un passé lointain et embellie sans regarder le présent en face et se projeter dans l’avenir.
Le sursaut national est possible
Il faut se relever maintenant en se tournant davantage vers l’avenir et en faisant un sursaut national à l’image de cette  victoire de qualification du Syli national pour la prochaine CAN. C’est pourquoi GUINEECLAIRAGES félicite l’entraîneur, ami fidele de la Guinée,  Michel Dessuer et ses joueurs pour l’ensemble de leurs performances. Pendant ce tournoi ils ont  préparé et joué des matchs dans des conditions très difficiles en raison de l’épidémie d’Ebola. Ils ont réalisé un véritable exploit en se qualifiant dans ces conditions, d’autant plus qu’ils ont joué tous ces six matchs à l’extérieur où ils ont été privés de leur douzième joueur, le public Guinéen du stade 28 septembre. Nous remercions également le Maroc qui a témoigné beaucoup de solidarité, d’amitié et d’hospitalité au peuple guinéen en acceptant d’héberger les matchs du Syli sur son sol, dans un contexte de marginalisation et de  stigmatisation de notre pays en l’absence d’une solidarité africaine.
Cela dit, en se qualifiant ils ont déjà remporté une partie de la bataille qui ne sera gagné entièrement que lorsqu’ils seront champions d’Afrique en 2015. Soyons lucides et plus ambitieux en évitant de fêter la moindre victoire  de notre équipe nationale de manière disproportionnée,  comme si elle était devenue championne du monde. De plus l’euphorie suscitée par une telle victoire ne doit pas nous distraire au point de nous faire oublier notre principal lieu de combat ( la lutte contre Ebola). Nous ne gagnerons la guerre que lorsque nous parviendrons à éradiquer l’épidémie d’Ebola.
Dr A Wotem Somparé       

    

jeudi 13 novembre 2014

Mon article dans "Corriere della sera"

Chers lecteurs,
voici un article et un entretien que j'ai publié dans le journal le plus important de l 'Italie, "Corriere della sera"
 Ne laissons pas  les autres expliquer notre situation à notre insue, en parlant toujours à notre place! Tel est l'objectif de notre contribution visant à analyser, dans une perspective socioanthropologique, les erreurs, les enjeux et les difficultés de la lutte contre l'épidémie d'Ebola. Cet article est écrit conformémement à l'approche socio-anthropologique adoptée par la Faculté des Sciences Sociales de Kofi Annan  et dans une perspective compréhensive. En comprenant l'autre qui n'est pas comme nous  dans la particularité et la complexité de sa situation on devient naturellement plus tolérant, en évitant de le rejeter. Ainsi, j'espère avoir contribué à lutter contre la stygmatisation dont les Africains souffrent en ce moment en Europe, tout en soulignant nos erreurs mais aussi les difficultés des populations les plus pauvres. Pour les lecteurs francophones, l'article est écrit en italien mais je suis sur que vous pourrez comprendre, les deux langues n'étant  pas très différentes. 
Voici le lien de l'article: 


lundi 22 septembre 2014

La marginalisation et la responsabilité de la Guinée face l'épidémie d'Ebola



La marginalisation et la responsabilité de la Guinée face à l’épidémie d’Ebola

Dr Abdoulaye Wotem Somparé
Sociologue et anthropologue

Après un demi siècle de mal gouvernance et de violence politique, qui ont pour corollaire la misère dans laquelle vivent la majeure partie des populations, Ebola est la pire des choses qui pouvait arriver encore à la Guinée. A l’image des clichés habituels sur l’Afrique,  il y a encore des millions d’individus qui vont découvrir, pour la première fois, ce pays peu connu à l’étranger dans ses plus mauvais jours. Cela va renforcer la tendance à associer l’Afrique aux catastrophes humanitaires et sanitaires, tout en aggravant le racisme : les partis d’extrême droite en France et en Italie tentent déjà d’instrumentaliser cette situation pour en faire une ressource politique. Ils présentent ainsi les migrants en provenance de l’Afrique  comme des personnes susceptibles de contaminer les Européens.  Comment s’est-on retrouvés dans une telle situation menaçante pour notre survie et source de marginalisation de la Guinée à l’échelle internationale ? Le risque d’isolement de notre Pays  commence déjà à se traduire par la fermeture des frontières avec les Pays voisins, sans parler de l’impossibilité d’effectuer le pèlerinage car la  Mecque  a fermé sans hésitations ses portes  aux pèlerins guinéens.  De nos jours, les sportifs issus des Pays touchés ne peuvent plus participer à des compétitions internationales dans certaines disciplines. Cette marginalisation frôle de plus en plus l’humiliation, dont les dirigeants africains même ne sont plus à l’abri, puisque lors du dernier sommet Etats – Unis –Afrique, ils ont été contraints de se soumettre à des examens médicaux. A présent, les grandes compagnies  aériennes telles que Air France, Bruxelles Airlines etc. risquent de supprimer les vols pour la Guinée et les autres pays concernés. 
Les media occidentaux ont privilégié, comme d’habitude, un schéma d’interprétation culturaliste, en expliquant la difficulté à éradiquer l’épidémie d’Ebola par la réticence des Africains à renoncer à leurs traditions, comme par exemple les rites funéraires. Sans nier ces facteurs culturels, nous souhaitons souligner dans cet article qu’il y a d’autres réalités économiques, sociales et politiques qui ont favorisé la propagation de cette maladie et qui constituent un obstacle à  son éradication rapide.

Impunité et ethnocentrisme : quand les responsabilité des individus sont imputées à toute une communauté

Même si l’apparition de la fièvre d’Ebola en Guinée, à plus de 2000 km de la zone endémique habituelle,  est un évènement catastrophique indépendant de la volonté de l’homme, on peut néanmoins identifier certains niveaux de responsabilité dans son apparition et sa propagation. Comme l’a souligné le prix Nobel de l’économie Amartya Sen, face à un évènement   comme une épidémie ou une famine, ce qui permet une résolution rapide du problème est la gestion de la situation d’urgence, donc la réaction rapide et efficace des autorités locales et de l’Etat.
C’est pourquoi il y a lieu de souligner  que les autorités guinéennes   ne sont pas exemptes de tout reproche concernant la propagation d’Ebola et la multiplication des foyers de contagion en Afrique de l’Ouest.  L’apparition d’une telle maladie est toujours liée à l’erreur d’un individu ou d’un petit groupe d’individus, par exemple un chasseur qui tue ou ramasse un animal déjà contaminé, pour le consommer ou le vendre. Ceux qui tombent malade en consommant de la viande peuvent ensuite contaminer leurs proches et les personnes avec lesquelles ils entrent en contact, avant tout le personnel médical qui essaie de les soigner. Les autorités sanitaires et administratives des préfectures de Guéckédou et Macenta auraient dû s’activer pour détecter cette première chaîne de transmission et remonter rapidement l’information relative à l’épidémie au niveau du gouvernement. A son tour, les autorités centrales auraient dû mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour endiguer la progression de la maladie, en élaborant, entre autre, une stratégie de communication et de sensibilisation cohérente.   Si le système de santé  publique guinéen fonctionnait normalement la maladie, qui existe en Guinée depuis le mois de janvier, aurait pu être détectée avant le mois de mars, dès les premières semaines de son apparition. Il y a donc lieu de s’interroger sur les raisons multiples de ce retard dans le diagnostic de la maladie et des défaillances et réticences des autorités locales et étatiques à prendre les mesures nécessaires pour contrôler l’épidémie.
En Guinée, il y a  une culture de l’impunité qui empêche de situer les  responsabilités individuelles. Même au sein de l’administration guinéenne ou dans les entreprises privées, il y a des disfonctionnements, comme des détournements de deniers publics,  sans que les responsabilités individuelles ne soient situées. L’effet pervers d’une telle attitude est l’attribution des responsabilités individuelles à l’ensemble d’une communauté, dans un contexte d’ethnocentrisme et de surcommunautarisation de la vie politique. Ainsi, dans le cas de l’épidémie d’Ebola, c’est toute la communauté forestière, déjà victime de beaucoup de préjugés,  qui a été stigmatisée et considérée responsable de la propagation de ce fléau, notamment en raison de ses habitudes alimentaires consistant à consommer de la viande de brousse.  L’ethnocentrisme étant humain, en Guinée chaque groupe ethnique a développé des préjugés sur les autres, tout en valorisant sa propre culture, sa langue et ses pratiques. Cela dit, il y a lieu de reconnaître que ce sont les habitants de cette région du Sud de la Guinée qui souffrent plus des préjugés de la part de leurs compatriotes guinéens. La Guinée forestière est une région très enclavée, caractérisée par une forêt très dense et des infrastructures et routes en mauvais état. En raison de son isolement géographique, elle a été moins touchée par la pénétration de l’Islam et du Christianisme, à l’image de la Casamance au Sénégal. Or, l’attachement de ces populations aux pratiques et valeurs traditionnelles,   est souvent interprété  par les autres guinéens comme un « manque de civilisation ». Les populations de la région forestière ont subi et intériorisé  ces stigmatisations et clichés, au point d’en faire un complexe d’infériorité. Leur particularité géographique, leurs spécificités culturelles  et la marginalisation dont elles sont victimes leur confèrent une forte identité ethnique.
Lors de l’apparition de la maladie, les originaires de cette région, au premier rang desquels se trouvent les cadres et les personnes les plus scolarisées,  ont réagi négativement aux critiques teintées d’ethnocentrisme, de préjugés et de soupçons de leurs compatriotes,    en questionnant, minimisant ou même   niant l’existence de la maladie ou en cherchant des boucs émissaires.

Les enjeux géopolitiques de la Guinée forestière

 Les hésitations de l’Etat à prendre des mesures efficaces pour éradiquer l’épidémie en Guinée forestière peuvent s’expliquer, à notre avis, par le fait que cette région entretient un rapport particulier avec l’Etat et les autorités centrales. La Guinée forestière se trouve dans une situation paradoxale, où des populations très pauvres, confrontées à des problèmes de subsistance alimentaire, vivent sur des terres très riches en ressources minières et convoitées par les entreprises minières les plus importantes du monde, entre lesquelles il y a une forte concurrence et des conflits ouverts. Les populations de cette zone ont développé une forte attente d’accéder à des emplois bien rémunérés au sein de ces entreprises, alors que celles-ci ne peuvent pas trouver sur place toutes les compétences dont elles ont besoin et sont parfois obligées de les rechercher ailleurs. Cela entraine des frustrations qui se traduisent par des revendications, des manifestation violentes voire des émeutes des communautés, qui réclament aux entreprises et à L’Etat  plus d’emplois et de développement de la région en échange de leurs ressources naturelles, comme il a été le cas à Zogota.  De plus, les habitants de cette région sont frustrés parce que l’un de leurs ressortissants les plus célèbres et objet de fierté, Moussa Dadis Camara, n’a pas pu se maintenir longtemps au pouvoir. Puisque les Pays Occidentaux sont considérés responsables de l’éviction de Dadis au pouvoir, cela a réveillé un vieux reflexe antioccidental et nationaliste qui s’enracine dans l’histoire politique de la Guinée, dans les contextes d’accession à  l’indépendance  et  dans les tentatives de la France de saboter le régime de Sékou Touré.  Le manque de coopération des populations de la Guinée forestière envers des ONG tels que Médecins sans frontières peut en partie s’expliquer par ce reflexe.  Malgré toutes ces tensions,  , le gouvernement d’Alpha Condé compte énormément  sur les investissements privés et étrangers de cette région pour obtenir de très bon résultats économiques nécessaires pour sa réélection. Par exemple les études économiques montrent que la mise en place du projet Rio-Tinto contribuera à doubler le PIB de la Guinée.         
Sur le plan politique la région de la Guinée forestière représente un important électorat sans lequel le Président risque de ne pas être réélu en 2015. Il fallait donc chercher à ménager la susceptibilité des populations de la Guinée Forestière, tout en rassurant les investisseurs étrangers. C’est ainsi que le gouvernement a opté pour une stratégie de gestion d’Ebola et  de communication  visant à dédramatiser l’épidémie, en évitant des mesures plus énergiques et contraignantes. Or à notre avis l’actuel ministre de la santé, qui est médecin militaire colonel,  a le bon profil et il est bien placé, en tant qu’originaire de la région, pour mener une politique de rigueur,  de fermeté, de bâtons et de carottes   afin d’éradiquer rapidement l’épidémie.  

Une stratégie de communication à améliorer

L’une des mesures les plus importantes pour la lutte contre Ebola a été la sensibilisation de la population et la campagne de communication menée par le gouvernement, notamment à travers les messages texto envoyés à tous les citoyens. Or, deux lacunes principales peuvent être détectées dans cette stratégie :
-Certaines réalités socioéconomiques n’ont pas été prise en compte. L’un des points les plus importants de la sensibilisation vise à éviter que les populations consomment  de la viande de brousse, notamment en Guinée forestière, où cet aliment est consommé plus abondamment. Les habitants de la forêt ont été stigmatisés comme des gens « qui mangent tout » et qui ont des habitudes alimentaires dangereuses. Or, ces préjugés ne sont pas fondés, dans la mesure où le système du totémisme, qui interdit à chaque famille ou lignage de manger un animal particulier, a favorisé la survie de plusieurs espèces dans cette region. Ainsi, il faut plutôt rendre hommage à ces populations qui ont été en avance dans la lutte contre la dégradation de l’environnement. Il y a lieu de souligner aussi que la viande de brousse est très appréciée aussi par les citadins des villes de Guinée, notamment les clients des bars  maquis et de certains restaurants de Conakry.
    En fait, la Guinée forestière fait partie des zones où il y a un déséquilibre entre la nature et la population, source de conflits interethniques et communautaires  qui s’enracinent dans des problèmes concrets d’accès à la terre et de survie. La pression démographique croissante va de pair avec une diminution des terres cultivables, aussi bien à cause de l’exploitation minière que des programmes de préservation de l’environnement. Le poisson est très rare et l’élevage presqu’inexistant, ce qui rend la viande de brousse un complément incontournable de l’alimentation de beaucoup de famille et surtout une source fondamentale de protéines. Le métier du chasseur est d’ailleurs très valorisé culturellement, tout comme la viande de brousse,   à laquelle on attribue des vertus thérapeutique et un goût exotique et délicieux. Toutes ces réalités doivent nous amener à comprendre qu’une simple recommandation de ne pas consommer la viande de brousse ,sans une bonne communication qui intègre toutes ces réalités et tient compte des représentations des populations concernées est irréaliste, voire illusoire. C’est pourquoi les populations ont continué d’ailleurs à consommer, ce qui est interprété par les Occidentaux comme une incapacité des Africains à renoncer à leurs traditions, en ignorant du même coup les enjeux économiques liés à la filière de la viande de brousse. Il aurait donc fallu remplacer les stock de viande de brousse dans les familles et dans les commerces avec d’autres aliments.
- La communication de lutte contre Ebola n’a pas bien fonctionné parce qu’elle  est porteuse de deux logiques concurrentes. D’une part il y a la stratégie de communication  du Gouvernement, qui tente de sensibiliser les populations en les rassurant au point de minimiser la gravité de la situation épidémique. D’autre part, il y a la stratégie de communication des Médecins Sans Frontières et de l’OMS maintenant, qui a tendance à aggraver la situation épidémique afin de sensibiliser davantage et d’attirer l’attention de la communauté internationale et surtout des bailleurs de fonds sur la menace représentée par l’épidémie et l’importance de leur action. Comme la sociologie du développement nous montre d’ailleurs, dans les projets de développement , les interactions, les concurrences et les rivalités entre les institutions et les acteurs impliqués constituent aussi des obstacles à leurs réalisations. C’est pourquoi, dans le cadre de la lutte contre Ebola, il est indispensable et urgent de faire une analyse des parties prenantes afin de les amener à conjuguer les efforts de manière plus cohérente et efficace dans l’intérêt des populations victimes et de toute l’Afrique de l’Ouest. De plus plusieurs chefs religieux surtout musulmans ont instrumentalisé l’épidémie afin d’inciter les fideles, par la peur, à pratiquer correctement la religion. Selon ces derniers Ebola, comme d’autres épidémie dans le passé serait une malédiction, une punition divine  pour que les gens respectent davantage les principes religieux. De tels messages ont amenés une population peu scolarisée, fataliste et très croyante à considérer cette épidémie comme une fatalité, au lieu de situer les responsabilités individuelles en parvenant, du même coup, à trouver des moyens plus efficace pour arrêter la propagation de la maladie.

Il vaut mieux tard que jamais : agir vite pour arrêter l’épidémie d’Ebola.
Il est  impératif d’avoir un seul plan de communication, qui intègre les croyances et les pratiques des populations par rapport aux maladies en impliquant les guérisseurs traditionnels comme il a été suggéré par le medecin-anthropologue de MSF .
Les autorités de l’Etat et  les institutions internationales impliquées dans la lutte contre l’épidémie doivent élaborer ensemble ce plan . Ensuite il faut    sanctionner tous ceux qui s’en écarteraient en lançant de fausses accusations, en semant la panique ou en minimisant l’épidémie. De plus, tous ceux qui ne vont pas respecter les mesures de recommandation pour endiguer l’épidémie doivent  être sanctionnés par la loi.  Ceux qui ont été à l’origine des émeutes et révoltes qui se sont soldées par le sabotage et le saccage des installation des médecins sans frontières doivent être identifiés et punis, pour mettre fin à la culture de l’impunité et éviter, du même coup, que les accusations rejaillissent sur toute la communauté forestière.  
Après la découverte tardive de l’épidémie, la première stratégie de communication consistait à marquer les esprits et attirer l’attention de tout le monde  sur la maladie par une déclaration solennelle d’une journée de deuil national proclamé par le Président de la République. A l’occasion de cette journée, il fallait rendre hommage aux vingt-six médecins et membre du personnel de santé décédés dans l’exercice de leur métier, en tentant de sauver la vie à leurs compatriotes. Ils devraient être élevés au rang de l’ordre national du mérite et leurs familles ( épouses et enfants) doivent être prises en charges désormais par l’Etat guinéen.  
Il fallait rendre hommage également au personnel du MSF et les ONG impliquées dans la lutte contre Ebola en soulignant leur solidarité et humanisme.  Un tel acte symbolique,  mis en scène par le gouvernement aurait attiré l’attention de tout le monde sur Ebola pour en faire un ennemi commun qu’il faut combattre rapidement ensemble. Dans un contexte de clivages ethniques et de bipolarisation de la vie politique en Guinée, le président et les autorités politiques devaient tenir un discours mobilisateur. Quant aux membres de  l’opposition guinéenne, en tant que leader d’opinion,  ils devaient  s’inscrire dans la même dynamique de rassemblement en se montrant plus responsables et solidaires aux actions de lutte menées par le gouvernement et les institutions contre Ebola. Les leaders politiques devaient renoncer à leur traditionnel rôle de critique du gouvernement pour sensibiliser leurs militants et l’ensemble des Guinéens, en se montrant plus préoccupés de la santé de leurs compatriotes, comme les artistes avaient tenté de le faire sans un grand succès.  Or, il n’est pas trop tard pour prendre toutes ces mesures.
Enfin, il y a lieu de noter qu’il y a une responsabilité  internationale  et surtout africaine face à Ebola, mais notre propos dans cet article est celui d’un citoyen guinéen et voisin du monde qui veut balayer d’abord devant sa porte.