lundi 8 août 2016

Quelques paradoxes du système éducatif guinéen: les écoles et les Universités privées



Comme nous l’avons déjà souligné, notre objectif dans cette rubrique n’est pas de critiquer seulement pour critiquer, en caricaturant ainsi  les réalités de la Guinée, où se passent de très bonnes choses. Or, notre Pays est aussi miné par plusieurs contradictions et des paradoxes négatifs.

Le paradoxe des Ecoles

Rappelons-nous d’abord qu’un système est avant tout un ensemble compose d’éléments interdépendants entre lesquels il y a une cohérence et une harmonie. Or, le système éducatif guinéen, à multiples vitesses, mal cordonné par le Ministère en charge, apparait très hétérogène. Son mode de fonctionnement est très cacophonique, dans la mesure où il est composé d’écoles et d’universités de qualités différentes. Dans la plupart des Pays du monde, même de tradition plus libérale, les écoles publiques sont toujours plus nombreuses. Or, en Guinée, un Pays qui a été socialiste jusqu’en 1984, les écoles privées sont presque deux fois plus nombreuses que les établissements publics, surtout dans les grandes agglomérations, telles que Conakry. Cela engendre des inégalités scolaires criantes, tout en contribuant à la dégradation de la qualité de l’enseignement, dans la mesure où la majeure partie des fondateurs n’ont ni l’expertise ni la déontologie nécessaire pour fournir une meilleure offre scolaire. Le plus souvent, c’est le profit qui l’emporte sur les préoccupations éducatives : nous avons d’ailleurs observé une affiche très emblématique, promettant aux étudiants des formations allant de la maternelle jusqu’au doctorat. 

Le paradoxe des Universités

 Il y a incontestablement, en Guinée, plus d’Universités privées que d’établissements d’enseignement supérieur public, avec des niveaux et des modes de fonctionnement complètement différents. Or, nous savons que la plupart des Pays africains au Sud du Sahara ont des problèmes pour entretenir une Université publique de bonne qualité, qui suppose le recrutement d’enseignants de rang magistral et l’allocation de moyens pour la recherche. Or, le contraste le plus frappant en Guinée est qu’il y a aujourd’hui plus d’Universités dans notre capitale que dans toute la région parisienne, où l’Université existe depuis des siècles. Certes, ces Universités ont été créées dans une certaines mesures pour combler les lacunes et le manque de moyens de l’Etat, dans un contexte d’ajustement structurel, où les Etats sont obligés de réduire leurs dépenses sociales. Certes, il y a quelques Universités qui déploient des efforts pour fournir une offre éducative de bonne qualité, mais elles sont malheureusement peu nombreuses. Ici encore, la logique commerciale l’emporte, dans un contexte de libéralisme sauvage et de corruption, où les enseignants, pour arriver à la fin du mois, sont obligés de devenir des pèlerins du savoir, qui errent entre les Universités pour vendre leur expertise. D’où le phénomène de « ouvrierisation » et de dévalorisation du métier d’enseignant en Guinée.

Cette triste réalité, inquiétante pour l’avenir de la jeunesse, est entretenue également par les étudiants et leurs familles, qui ont de plus en plus tendance à choisir les établissements d’enseignement supérieur plus proches de leurs lieux d’habitation, en considérant ainsi l’université comme un simple prolongement du lycée. Ce mode de fonctionnement ne favorise pas l’intégration des jeunes dans la République ; au contraire, dans des quartiers qui se constituent sur base ethnique, les écoles et même les Universités obéissent à des logiques communautaires. Je trouve qu’il est inquiétant de retrouver sur les bancs d’une Université, qui se veut lieu de confrontation, creuset d’idées et d’apports divers, des étudiants ayant tous la même origine ethnique et les mêmes conceptions religieuses, à quelques exceptions près.   

D’ailleurs, il y a beaucoup de fondateurs qui ne sont pas universitaires, qui considèrent et gèrent leurs universités comme un gros lycée, qui constitue pour eux un patrimoine personnel. C’est pourquoi il  y a des fondateurs qui se sont permis de donner leurs propres noms à leurs universités, ou de donner d’autres noms fantaisistes. Ce qui est déplorable, ce fonctionnement anormal apparait normal aux yeux des plus jeunes. Il est donc temps de prôner, de la part de l’Etat, un contrôle plus stricte et sérieux des institutions universitaires. Cela ne signifie pas seulement procéder à des évaluations et à des classements, comme on le fait maintenant, de manière souvent superficielle et subjective, mais de  veiller au respect d’un minimum de critères académiques internationaux, en encourageant la formation de qualité et la recherche.

Dr A.Wotem Sompare

samedi 6 août 2016

La relance du blog et le paradoxe guinéen


Je m’excuse de cette longue interruption de nos publications en raison de notre engagement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie d’Ebola en Guinée en tant que consultant de l’Organisation Mondiale de la Sante. Tout notre temps a été complètement absorbé par ces activités de recherche et de médiation, car il fallait rendre, en moyenne, un rapport tous les deux jours. Après cette crise sanitaire, Guineeclairages tente de se relancer, à l’image du pays qui doit se relever en reconstruisant son système de santé et son économie, dont l’épidémie a révélé toutes les lacunes.

Nous vous annonçons à cette occasion l’ouverture d’une nouvelle rubrique dénommée le paradoxe guinéen.

Le paradoxe guinéen le plus connu et souvent cité,  à juste titre, est le contraste entre les gigantesques ressources naturelles du pays et l‘extrême pauvreté de ses populations ayant des conditions de vie difficiles. Comme on le dit souvent, la Guinée est dotée de beaucoup de ressources hydrauliques, au point d’être considérée comme le  château de  l’Afrique de l’Ouest par les géographes, mais la majeure partie de ses populations vivent sans eau potable ni électricité. D’ailleurs, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie d’Ebola, la majeure partie des villages et des quartiers ont profité de la présence des représentants des institutions pour exprimer  des revendications légitimes relatives à leurs problèmes quotidiens. Tel est le cas des villages situés  auprès du fleuve Konkoure, dans la sous-préfecture de Tanene, situés entre Dubreka et Boffa, dont les populations souffrent énormément des problèmes d’eau.

 Cependant, cet exemple désormais célèbre est le gros arbre qui cache une forêt de paradoxes en Guinée. C’est la partie émergée de l’Iceberg, que l’on voit  si nous   ne regardons pas   les choses plus en profondeur. En Guinée,   nous vivons quotidiennement dans des situations paradoxales qui constituent également des obstacles à notre progrès économique, social et politique. Cette nouvelle rubrique tente d’attirer notre regard ou, du moins, de rappeler que nous nous sommes habitués à ces conduites et à ces réalités anormales, au point de les tolérer comme des pratiques normales ou en se résignant simplement. Ceux qui ont un minimum de niveau d’instruction et qui s’informent, ou  qui ont observé le fonctionnement des autres pays au cours de voyages à l’étranger, savent très bien que nous faisons souvent en Guinée le contraire de ce que nous devons faire. Ces derniers, qui doivent indiquer aux jeunes la voie à suivre, se contentent dans la plupart des cas de jouer les intellectuels dans les  cafés ou philosophes au  comptoir des  bars. La majeure partie des guinéens, notamment les plus jeunes et analphabètes  qui ne comprennent pas ces réalités, pensent que la Guinée est frappée par une malédiction divine. D’où les séances de prières pour notre pays  régulièrement organisées par nos chefs religieux, qui caressent en général dans le sens des poils de ceux qui sont au pouvoir. C’est ainsi qu’une bonne partie de nos concitoyens ont sombré dans le fatalisme. Or, Dieu nous aide dans ce que nous faisons. Mais si nous faisons le contraire de ce que nous voulons, en empruntant  ainsi la voie inverse, nous n’arriverons jamais à la destination souhaitée

Nous ne voulons pas faire un portrait caricaturale de notre[AW1]  société en soulignant seulement ce qui ne va pas. Il y a certes de très bonnes choses qui se passent dans notre Pays,  mais les paradoxes  négatifs qui se nourrissent de permissivité, de laisser-aller , sont de plus en plus nombreux et persistants au point de donner le jour à une  société anomique, caractérisée par absence de règles et de repères.

Notre rubrique « Le  paradoxe guinéen » est une invitation à nous  regarder droit dans le miroir, à nous observer avec un recul et un esprit critique qu’il est difficile de garder lorsque nous observons notre propre société. Il s’agit non seulement d’avoir un regard critique, mais aussi autocritique, car nous contribuons aussi à entretenir des situations paradoxales, à l’image de nos voitures, qui alimentent les embouteillages-monstres de Conakry dont nous nous plaignons pourtant si souvent.   A notre humble avis il est urgent de regarder maintenant  les choses en face, afin de se projeter vers le futur en empruntant la bonne voie. Pour cela, le regard du sociologue s’avère particulièrement utile, du fait que, comme le dit Pierre Bourdieu, la sociologie dérange car elle dévoile des choses cachées et parfois refoulées. Ceci dit, je suis sûr de ne pas être le seul à avoir saisi le caractère paradoxal de nombreuses réalités que nous vivons en Guinée, et peut-être aussi dans d’autres Pays africains.  J’invite ainsi tous les lecteurs à témoigner des paradoxes qu’ils rencontrent dans leur vie de tous les jours et  à utiliser ce blog aussi pour exprimer leurs réflexions.