Depuis une semaine, s’il y a un
problème qui a encore divisé inutilement les Guinéens, c’est l’opposition entre
le SLEG ( Syndicat Libre des Enseignants de Guinée) et le SNAESURS (Syndicat
National Autonome de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique),
qui existe depuis mai 2018. Cette opposition est d’autant plus surprenante et
absurde que beaucoup de Guinéens ne font
pas une distinction nette entre les professeurs du secondaire et du supérieur.
Ils les considèrent tous comme des
travailleurs intellectuels pauvres, en dépit de toutes leurs connaissances et
de leur utilité sociale dans la formation des nouvelles générations.
Cependant, tout en appartenant au
même système éducatif, ces deux catégories d’enseignants n’ont pas exactement
les mêmes problèmes en termes d’aspirations et de conditions de travail et de vie : il est
donc tout à fait normal, à notre avis, qu’ils appartiennent à des syndicats
différents, comme dans les autres Pays voisins, notamment le Sénégal, la Cote
d’Ivoire et le Bénin. L’existence d’un syndicat de l’enseignement supérieur ne
doit pas être interprétée comme une volonté de se diviser et de se
désolidariser, en créant des clivages inutiles au sein du milieu professionnel
des enseignants. Le projet de création d’un syndicat du supérieur n’obéit pas non plus à une stratégie de distinction,
c’est-à-dire à une volonté des enseignants du supérieur de se démarquer de
leurs collègues du pré-universitaire, en les regardant de haut car ils ont un
niveau d’études plus élevé. Nous évoluons tous dans le même système et il y a
une interdépendance entre les différents piliers du système éducatif.
Cependant, l’existence d’un syndicat de l’enseignement supérieur obéit avant
tout à un souci d’efficacité de l’action syndicale, afin de mieux défendre les
intérêts et les objectifs spécifiques des professeurs des universités.
Si l’ensemble des enseignants, à
tous les niveaux, a pour vocation fondamentale l’enseignement, à travers la
transmission des connaissances aux élèves et aux étudiants, ceux du supérieur
ont également pour mission la recherche scientifique. D’ailleurs, c’est en
publiant les résultats de leurs recherches dans les revues scientifiques, que
ces enseignants parviennent à accéder aux grades académiques de
maitre-assistant, maitre de conférence et de professeur. L’enseignant du
supérieur commence sa carrière au terme de longues années d’études car, dans
les conditions normales, il doit être titulaire d’un doctorat pour pouvoir
commencer à enseigner. Il ressemble à
un soldat qui entame une longue carrière, où il doit gravir tous les échelons
grâce à l’enseignement, aux publications et à l’encadrement des mémoires, qui
lui permet de diriger des chercheurs
débutants dans leurs premiers travaux de recherche. En Guinée, cependant,
beaucoup d’enseignants n’ont pas eu la possibilité de soutenir des
thèses ; ce sont souvent les meilleurs étudiants qui se sont orientés vers
l’enseignement supérieur, où ils commencent par assister leurs professeurs.
La réforme de l’enseignement
supérieur entamée par le Ministre Abdoulaye Yero Baldé tend vers l’alignement
de la Guinée aux standards internationaux, notamment avec l’intégration du
CAMES (Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement Supérieur), qui permet à
nos enseignants de valider leur carrière et de faire reconnaitre leurs grades
au niveau international. C’est dans ce cadre que le Ministère de l’Enseignement
Supérieur a récemment exigé que tous les nouveaux enseignants recrutés dans les
Universités soient titulaires d’une thèse de doctorat. Pour pouvoir valider
leur carrière au sein du CAMES, les enseignants guinéens doivent également
produire des publications scientifiques dans les revues internationales plus
sélectives, alors qu’ils n’en ont pas toujours l’habitude. Cette réforme
nécessite forcément d’un accompagnement institutionnel, afin que les jeunes
enseignants puissent préparer des Masters et des thèses de doctorat, souvent à
l’étranger, car il y a seulement deux ou
trois écoles doctorales en Guinée, de date très récente. C’est pourquoi les premières revendications
des enseignants du supérieur concernent, en ce moment, l’accompagnement de leur
formation. Cela est ressorti, par
exemple, à l’occasion de la récente visite du Ministre Abdoulaye Yero Baldé à l’Université
de Kankan, où plus d’une centaine de professeurs sont inscrits en Master ou en thèse
de doctorat, dans le cadre de la formation continue.
La demande de formation précède même
les revendications salariales, ce qui constitue un progrès important. Cependant,
les enseignants expriment aussi des
revendications visant à l’amélioration de leurs conditions de travail et de
vie, à commencer par les salaires. Le Ministre a d’ailleurs pris en compte ces
exigences en demandant aux syndicats, pour la première fois, de comparer le
salaire des professeurs guinéens à la rémunération de leurs homologues dans les
Pays voisins. Toutes ces réformes visent, fondamentalement, à aligner la Guinée
aux standards internationaux, sur le plan académique et salarial, afin d’apporter
une amélioration décisive à la qualité de l’enseignement à travers la
qualification des enseignants.
Les conditions de travail et de
vie des enseignants dans le système éducatif guinéens sont très
hétérogènes, car elles varient en
fonction du statut de l’enseignant (titulaire, contractuelsetc.), du niveau
(primaire, secondaire, universitaire), du caractère privé ou public des
institutions et du milieu urbain ou rural. Pour approfondir ce sujet, on peut d’ailleurs
se référer à notre article publié dans une revue de sociologie de l’éducation
en France, à travers ce lien:
https://journals.openedition.org/cres/3304
https://journals.openedition.org/cres/3304
Cette hétérogénéité constitue d’ailleurs l’une des très grandes
faiblesses du système éducatif, car les enseignants appartiennent à des
segments professionnels différents, aux intérêts parfois divergents, ce qui les
empêche de mener une action concertée, car le syndicat a souvent du mal à
concilier les intérêts catégoriels. D’où
l’opportunité et la pertinence d’un syndicat de plus, qui se consacre uniquement à la défense des intérêts
catégoriels de l’enseignement supérieur, ce qui ne peut qu’alléger la tâche du
SLEG, tout en rendant le syndicalisme guinéen plus professionnel et technique. Il s’agit aussi d’une question de bon sens ;
les syndicalistes de l’enseignement supérieur sont des professeurs qui
travaillent à l’Université et qui connaissent mieux ce milieu : ils sont
donc mieux placés pour défendre les intérêts de leurs collègues.
Enfin, la création du syndicat du
supérieur constitue un rempart à la politisation et à l’ethnicisation de l’action
syndicale, au profit d’un syndicalisme plus technique, professionnel et
objectif. Rappelons-nous que l’une des faiblesses du syndicalisme guinéen a été,
depuis 2007, au moment des émeutes vers la fin de règne de Lansana Conté, le
glissement progressif des syndicats dans le champ politique. Leurs revendications
avaient, en ce moment, un caractère plus politique que professionnel, du moment
où ils demandaient la démission du chef du gouvernement ou du Président de la
République. Finalement, certains leaders syndicaux ont été cooptés par le
pouvoir en occupant des fonctions au niveau de l’appareil d’Etat.
Actuellement, le syndicat de l’enseignement
supérieur se démarque d’une telle culture syndicale, en se focalisant sur des aspects très concrets et objectifs. D’ailleurs, suite au refus d’adhérer aux récentes grèves du SLEG, les
syndicats du supérieur ont été injustement qualifiés de syndicats du
gouvernement ou du ministre, mais en réalité ils ont toujours continué à faire des revendications
à l’interne, au niveau de leurs institutions respectives. Par
exemple, à l’Université Julius Nyerere de Kankan, nous tendons vers un syndicalisme
de consensus, car les syndicats posent leurs problèmes à la hiérarchie de l’Université
de manière réaliste et responsable, en évitant autant que possible des
affrontements stériles.
La création du SNAESURS n’est
donc pas une demande de divorce avec le SLEG car, même si chaque syndicat
défend les intérêts de ses travailleurs, rien ne les empêche de mener des
batailles communes lorsqu’il y a une convergence des intérêts de l’ensemble des
enseignants. Ce qui compte, c’est de
dépasser les querelles d’ego ou du moins les cultes de personnalité, qui opposent
les différents leaders syndicaux au détriment de la défense des intérêts des
travailleurs.
Dr Abdoulaye Wotem Sompare
Enseignant-chercheur, sociologue
du travail
Vice- Recteur chargé des études,
Université de Kankan