lundi 15 avril 2019

Quel syndicat pour les réformes de l'enseignement supérieur en Guinée? Comment dépasser l'opposition stérile entre le SLEG et le SNAESURS.


Depuis une semaine, s’il y a un problème qui a encore divisé inutilement les Guinéens, c’est l’opposition entre le SLEG ( Syndicat Libre des Enseignants de Guinée) et le SNAESURS (Syndicat National Autonome de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique), qui existe depuis mai 2018. Cette opposition est d’autant plus surprenante et absurde que  beaucoup de Guinéens ne font pas une distinction nette entre les professeurs du secondaire et du supérieur. Ils les considèrent tous  comme des travailleurs intellectuels pauvres, en dépit de toutes leurs connaissances et de leur utilité sociale dans la formation des nouvelles générations.

Cependant, tout en appartenant au même système éducatif, ces deux catégories d’enseignants n’ont pas exactement les mêmes problèmes en termes d’aspirations et de  conditions de travail et de vie : il est donc tout à fait normal, à notre avis, qu’ils appartiennent à des syndicats différents, comme dans les autres Pays voisins, notamment le Sénégal, la Cote d’Ivoire et le Bénin. L’existence d’un syndicat de l’enseignement supérieur ne doit pas être interprétée comme une volonté de se diviser et de se désolidariser, en créant des clivages inutiles au sein du milieu professionnel des enseignants. Le projet de création d’un syndicat du supérieur n’obéit  pas non plus à une stratégie de distinction, c’est-à-dire à une volonté des enseignants du supérieur de se démarquer de leurs collègues du pré-universitaire, en les regardant de haut car ils ont un niveau d’études plus élevé. Nous évoluons tous dans le même système et il y a une interdépendance entre les différents piliers du système éducatif. Cependant, l’existence d’un syndicat de l’enseignement supérieur obéit avant tout à un souci d’efficacité de l’action syndicale, afin de mieux défendre les intérêts et les objectifs spécifiques des professeurs des universités. 

Si l’ensemble des enseignants, à tous les niveaux, a pour vocation fondamentale l’enseignement, à travers la transmission des connaissances aux élèves et aux étudiants, ceux du supérieur ont également pour mission la recherche scientifique. D’ailleurs, c’est en publiant les résultats de leurs recherches dans les revues scientifiques, que ces enseignants parviennent à accéder aux grades académiques de maitre-assistant, maitre de conférence et de professeur. L’enseignant du supérieur commence sa carrière au terme de longues années d’études car, dans les conditions normales, il doit être titulaire d’un doctorat pour pouvoir commencer à enseigner.   Il ressemble à un soldat qui entame une longue carrière, où il doit gravir tous les échelons grâce à l’enseignement, aux publications et à l’encadrement des mémoires, qui lui permet de diriger  des chercheurs débutants dans leurs premiers travaux de recherche. En Guinée, cependant, beaucoup d’enseignants n’ont pas eu la possibilité de soutenir des thèses ; ce sont souvent les meilleurs étudiants qui se sont orientés vers l’enseignement supérieur, où ils commencent par assister  leurs professeurs.

La réforme de l’enseignement supérieur entamée par le Ministre Abdoulaye Yero Baldé tend vers l’alignement de la Guinée aux standards internationaux, notamment avec l’intégration du CAMES (Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement Supérieur), qui permet à nos enseignants de valider leur carrière et de faire reconnaitre leurs grades au niveau international. C’est dans ce cadre que le Ministère de l’Enseignement Supérieur a récemment exigé que tous les nouveaux enseignants recrutés dans les Universités soient titulaires d’une thèse de doctorat. Pour pouvoir valider leur carrière au sein du CAMES, les enseignants guinéens doivent également produire des publications scientifiques dans les revues internationales plus sélectives, alors qu’ils n’en ont pas toujours l’habitude. Cette réforme nécessite forcément d’un accompagnement institutionnel, afin que les jeunes enseignants puissent préparer des Masters et des thèses de doctorat, souvent à l’étranger, car il y  a seulement deux ou trois écoles doctorales en Guinée, de date  très récente. C’est pourquoi les premières revendications des enseignants du supérieur concernent, en ce moment, l’accompagnement de leur formation.  Cela est ressorti, par exemple, à l’occasion de la récente visite du Ministre Abdoulaye Yero Baldé à l’Université de Kankan, où plus d’une centaine de professeurs sont inscrits en Master ou en thèse de doctorat, dans le cadre de la formation continue.

La demande de formation précède même les revendications salariales, ce qui constitue un progrès important. Cependant, les enseignants  expriment aussi des revendications visant à l’amélioration de leurs conditions de travail et de vie, à commencer par les salaires. Le Ministre a d’ailleurs pris en compte ces exigences en demandant aux syndicats, pour la première fois, de comparer le salaire des professeurs guinéens à la rémunération de leurs homologues dans les Pays voisins. Toutes ces réformes visent, fondamentalement, à aligner la Guinée aux standards internationaux, sur le plan académique et salarial, afin d’apporter une amélioration décisive à la qualité de l’enseignement à travers la qualification des enseignants.

Les conditions de travail et de vie des enseignants dans le système éducatif guinéens sont   très hétérogènes,  car elles varient en fonction du statut de l’enseignant (titulaire, contractuelsetc.), du niveau (primaire, secondaire, universitaire), du caractère privé ou public des institutions et du milieu urbain ou rural.  Pour approfondir ce sujet, on peut d’ailleurs se référer à notre article publié dans une revue de sociologie de l’éducation en France, à travers ce lien:

https://journals.openedition.org/cres/3304

Cette hétérogénéité  constitue d’ailleurs l’une des très grandes faiblesses du système éducatif, car les enseignants appartiennent à des segments professionnels différents, aux intérêts parfois divergents, ce qui les empêche de mener une action concertée, car le syndicat a souvent du mal à concilier les intérêts catégoriels.  D’où l’opportunité et la pertinence d’un syndicat de plus,  qui se consacre uniquement à la défense des intérêts catégoriels de l’enseignement supérieur, ce qui ne peut qu’alléger la tâche du SLEG, tout en rendant le syndicalisme guinéen plus professionnel et technique.  Il s’agit aussi d’une question de bon sens ; les syndicalistes de l’enseignement supérieur sont des professeurs qui travaillent à l’Université et qui connaissent mieux ce milieu : ils sont donc mieux placés pour défendre les intérêts de leurs collègues.  

Enfin, la création du syndicat du supérieur constitue un rempart à la politisation et à l’ethnicisation de l’action syndicale, au profit d’un syndicalisme plus technique, professionnel et objectif. Rappelons-nous que l’une des faiblesses du syndicalisme guinéen a été, depuis 2007, au moment des émeutes vers la fin de règne de Lansana Conté, le glissement progressif des syndicats dans le champ politique. Leurs revendications avaient, en ce moment, un caractère plus politique que professionnel, du moment où ils demandaient la démission du chef du gouvernement ou du Président de la République. Finalement, certains leaders syndicaux ont été cooptés par le pouvoir en occupant des fonctions au niveau de l’appareil d’Etat.

Actuellement, le syndicat de l’enseignement supérieur se démarque d’une telle culture syndicale, en se focalisant sur  des   aspects très concrets et objectifs.  D’ailleurs, suite au  refus   d’adhérer aux récentes grèves du SLEG, les syndicats du supérieur ont été injustement qualifiés de  syndicats du gouvernement ou du ministre, mais en réalité ils  ont toujours continué à faire des revendications à l’interne, au niveau de leurs institutions respectives.   Par exemple, à l’Université Julius Nyerere de Kankan, nous tendons vers un syndicalisme de consensus, car les syndicats posent leurs problèmes à la hiérarchie de l’Université de manière réaliste et responsable, en évitant autant que possible des affrontements stériles.

La création du SNAESURS n’est donc pas une demande de divorce avec le SLEG car, même si chaque syndicat défend les intérêts de ses travailleurs, rien ne les empêche de mener des batailles communes lorsqu’il y a une convergence des intérêts de l’ensemble des enseignants.  Ce qui compte, c’est de dépasser les querelles d’ego ou du moins les cultes de personnalité, qui opposent les différents leaders syndicaux au détriment de la défense des intérêts des travailleurs.  

Dr Abdoulaye Wotem Sompare

Enseignant-chercheur, sociologue du travail

Vice- Recteur chargé des études, Université de Kankan