samedi 4 novembre 2017

Qui était Aboubacar Somparé? L'homme et le politique



La plupart des Guinéens connaissent l’honorable Aboubacar Somparé en tant que leader du PUP et ancien président de l’Assemblée Nationale, qui aurait pu devenir président après le décès du Général Lansana Conté. Le coup d’état dont il a été victime a malheureusement caricaturé son brillant parcours de grand commis de l’Etat, qui a rendu service à son Pays en occupant des postes importants dans les différents paliers de l’administration guinéenne.  En exerçant ses fonctions avec beaucoup de patriotisme, il a rendu ainsi service à son Pays. Aboubacar Somparé a été d’abord un brillant élève et étudiant, toujours majeur de sa promotion, comme l’a rappelé ces jours-ci   son condisciple et ami d’enfance, l’ex premier ministre Sidya Touré.
Né en 1944, dans le village de Dakonta, à Boké, il est le fils d’Amara Somparé et de Aissata Bayo et  le petit-fils d’un chef de canton, Almamy Yayo Somparé.    L’ancien président de l’assemblée a été engagé dans un processus de promotion sociale à travers sa scolarisation par son oncle paternel et homonyme, Abou Yayo  Somparé. C’est de cet oncle enseignant qu’Aboubacar Somparé a hérité son comportement d’enseignant éducateur en tant que symbole de la réussite scolaire dans la famille. A l’école, Aboubacar se révèle rapidement doué et brillant dans les études en devenant toujours premier de sa classe ou promotion, depuis l’école primaire jusqu’à l’obtention de son diplôme d’études supérieures en Maths-physique à l’université Gamal Abdel Nasser en 1 969. D’ailleurs c’est sur injonction de l’oncle, qui était déjà proche de la retraite, qu’il renonça à sa bourse d’études de troisième cycle à l’étranger, pour rester en Guinée et accomplir sa mission d’éducateur. 
  Son mariage, trois  ans plus tard, avec Astou Ka, Sénégalaise d’origine peule, obéissait à la même contrainte de responsabilité, comme il disait  souvent lorsqu’il exhortait ses frères à se marier tôt : «Moi je me suis marié très tôt parce que je devais m’occuper d’abord de mes frères et sœurs, j’avais des responsabilités à assumer  ». Effectivement, dès son affectation à son premier poste d’inspecteur et professeur de maths – physique à Labé,   le nouveau fonctionnaire  a assuré  le suivi scolaire de ses frères et ses sœurs nés dans les  années ‘50 jusqu’aux  plus jeunes de la génération ’70.  Aboubacar Somparé  semble donc  achever la mission d’éducateur et protecteur  de son oncle, qui fut l’un des premiers instituteurs de la Guinée .  En plus de  ses enfants, tous les jeunes membres de la famille  Somparé qui ont vécu chez lui ont fait des études supérieures.
  Le tempérament du premier, à l’école et dans la vie, l’a animé pour gravir tous les échelons de l’administration jusqu’au sommet de l’Etat.   En tant que grand commis de l’Etat, il a assumé de très hautes fonctions stratégiques. A une époque où l’on orientait les meilleurs étudiants vers l’enseignement, il a été très tôt affecté comme inspecteur de l’académie à Labé, en 1970.  Vers la moitié des années 1970, il occupa successivement la fonction d’inspecteur académique de l’éducation de Conakry 2 et de directeur de la RTG ( Radio Télévision Guinéenne). Ce poste le rapprocha de son mentor, le premier Président Ahmed Sékou Touré, qui découvrit la belle plume de ce jeune fonctionnaire très cultivé. Ils partageaient ainsi des séances de rédaction dans le cadre de la communication politique du leader nationaliste, dont les discours devaient être diffusés à la radio et à la télévision .  Convaincu de l’intelligence et de l’intégrité d’Aboubacar Somparé, le Président Sékou Touré l’affecta en France en tant qu’ambassadeur, à peine âgé de 36 ans, en 1978. En France, sa mission était de contribuer à la réconciliation avec l’ancien Pays colonisateur. Il accomplit cette mission avec un succès matérialisé par la visite du Président Valéry Giscard d’Estaing en France, à la fin des années ‘7o, et celle de son homologue guinéen Ahmed Sékou Touré en 1982, à Paris. Aboubacar Somparé a été donc l’un des principaux artisans de cette réconciliation. Comme le témoigne Djibril Kassomba, un intellectuel guinéen de la diaspora dans son ouvrage, Aboubacar Somparé avait contribué à rapprocher plusieurs guinéens vivant à l’étranger de leur famille restée en Guinée, tout en contribuant au retour de certains d’entre eux.
En 1984, suite au décès du Président Ahmed Sékou Touré et à la prise de pouvoir par les militaires, la situation était incertaine. Le diplomate guinéen a eu le courage de rentrer en Guinée, en se mettant encore au service de son Pays et en acceptant, dans un premier temps, les fonctions moins importantes. C’est ainsi qu’il a été d’abord nommé conseiller du Ministre de la Fonction publique, à l’époque Capitaine Mamadou Baldé du CMRN ; ensuite il est devenu  administrateur du Palais des Nations. Cette nouvelle nomination le rapprocha aussi  du nouveau Président, le Général Lansana Conté, auquel il preta également sa plume.  Vers la fin des années 1980, suite à la chute du mur de Berlin, dans un contexte de multipartisme et de révolte des étudiants partout en Afrique subsaharienne, Aboubacar Somparé a été affecté à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry comme recteur. Etant considéré en Guinée comme un modèle de réussite scolaire par beaucoup de jeunes, il a pu utiliser son charisme pour obtenir l’adhésion des étudiants, tout en contribuant à l’amélioration de leurs conditions de vie dans les campus. A l’Université de Conakry, il a su se montrer très accessible envers les leaders étudiants, tout en favorisant le retour des intellectuels de la diaspora au sein de cette institution. Il a ainsi fait preuve d’ouverture d’esprit, comme l’a témoigné l’un des plus grands  historiens guinéens Lanciné Kaba. Il favorisa également le retour et l’insertion professionnelle au sein de l’institution universitaire de plusieurs cadres guinéens issus de la diaspora, notamment le  Professeur Salifou Sylla.
 En 1990, dans un contexte de réforme et de transition de l’enseignement secondaire, il a été affecté comme le premier coordinateur du PASE (Programme Sectoriel de l’Education) pour épauler Madame Aicha Bah, Ministre de l’Enseignement et fonctionnaire internationale de l’UNESCO.  Il a sillonné avec elle plusieurs écoles de Guinée, en mettant son expérience encore une fois à la disposition de son Pays. Suite à l’adhésion de la Guinée au multipartisme, Aboubacar Somparé a été nommé Secrétaire général au Ministère de l’Intérieur et de la décentralisation, où il a contribué à organiser, avec les Ministres Sow et Alhassane Condé, la première élection communale de Guinée en 1991. Mais, à la veille des premières élections présidentielles, ce n’est pas une place de Ministre ou de Vice-Ministre qui l’intéressait. Il avait des idées et une ambition politique qu’il matérialisa en créant son parti avec des intellectuels tels que son ami, Mamadi Diawara.  En renonçant au poste de Secrétaire général du Ministère de l’intérieur pour se lancer dans l’arène politique, il intégra la coalition des Partis fédérés, créée par le Général Président Lansana Conté. Au PUP, en s’imposant comme leader charismatique, il finit par se positionner comme un successeur potentiel du président vieillissant. L’objectif de Somparé n’était pas d’occuper un poste ministériel pour se remplir les poches. D’ailleurs, après la mutinerie de 1996, il profitera de ses rares moments d’influence sur le Président pour favoriser la nomination de certains jeunes cadres à des postes ministériels, indépendamment de leur appartenance ethnique.  En poursuivant patiemment son objectif politique, Aboubacar Somparé finira par devenir Président de l’Assemblée Nationale, malgré la volonté du Président Lansana Conté et grâce au soutien de la base du parti, notamment des femmes du PUP.  D’où les conflits latents, alimentés par certains cadres du PUP, qui ont miné les relations entre les deux hommes politiques, jusqu’à la disparition du Général Conté en décembre 2008. A partir de cette date Aboubacar Somparé, le principal perdant du coup d’état de Dadis Camara, a subi un isolement politique.
Cependant,  Somparé apparaissait dans l’arène politique guinéenne comme un rassembleur dans un contexte de  bipolarisation et de surcommunautarisation  de la vie politique, marquée par l’ethnocentrisme. C’est pourquoi il n’a jamais rompu le dialogue avec des leaders tels que Jean Marie Dore, Bah Oury, Kory Koundiano etc. Ils discutaient chaleureusement, de manière très détendue, avec beaucoup d’humour. Il acceptait d’être traité en petit frère par l’actuel Président, puisqu’ils étaient tous les deux natifs de Kakandé et que leurs parents se connaissaient.  D’ailleurs, ces cérémonies de funérailles, qui réunissent toutes les grandes personnalités politiques de ce Pays, au premier rang desquelles se trouvent le Président Alpha Condé,  Sidya Touré, Hadja Saran Daraba, Cellou Dalein, Fodé Bangoura et Monsieur Makanera, Youssouf Kiridi Bangoura, témoignent bien de sa carrure d’homme d’Etat au-dessus des clivages politiques et ethniques.
Sur  le plan politique, certains pourraient lui    reprocher   d’avoir  parfois  manqué du  courage politique nécessaire pour se démarquer davantage de  Lansana Conté, dans la mesure où il y avait beaucoup de divergence de points de vue et de conflits latents entre les deux hommes politiques.  Ces critiques concernent surtout le refus, de la part de Somparé, de déclarer la vacance de pouvoir au moment où Conté était très vieux et malade, pour accéder à la présidence de la République. Il serait très long d’analyser ici la raison de cette réticence de Somparé à prendre le pouvoir, mais nous pouvons juste évoquer, ici, qu’il a été prisonnier d’un pacte moral avec l’ancien président, selon lequel, malgré leurs désaccords profonds, il lui devait une grande fidélité et loyauté. La rupture de ce pacte aurait constitué une trahison pour cet homme profondément croyant et imprégné des valeurs traditionnelles africaines, selon lesquelles le bien sera toujours remboursé en bien et le mal en mal.  De plus, la très grande croyance de Somparé  dans le destin, sa conviction qu’il serait président un jour par la grâce de Dieu,  l’a également empêché de mettre en place une véritable  stratégie de conquête du pouvoir. Il n’a pas su tisser ainsi autour de lui des réseaux de cadres et d’hommes d’affaires susceptibles de financer sa campagne, en sollicitant par exemple le soutien de nombreux hauts cadres guinéens dont il a favorisé l’émergence. Cela était très perceptible pendant l’élection de 2010, car il manquait cruellement de moyens financiers contrairement aux autres candidats, et de soutiens de poids des personnalités importantes à l’échelle nationale et internationale.   
 Comme Somparé était très croyant, voire fataliste et pacifiste, il n’a pas cherché non plus à avoir  ses hommes dans l’armée. Il savait que la destitution du Président, avec la déclaration de la vacance de pouvoir, comporterait    des risques en termes de pertes de vies humaines et d’instabilité politique sources d’insécurité dans le pays. La nature hybride du régime de Conté, à la fois civil et surtout militaire ne favorisait pas la réalisation d’un tel projet à un moment où le général président avait le soutien de l’armée malgré son impopularité au sein de la population civile.
Si, jusqu’ici, j’ai retracé le parcours de l’homme public, que beaucoup de gens connaissent déjà,  je voudrais maintenant parler de l’homme que je connais très bien, car il a été non seulement mon grand frère, mais aussi mon tuteur, chez  lequel j’ai grandi. Aboubacar était un pilier de la famille Somparé et un garant de son unité. Accessible à tout le monde, accueillant et aimable, sa cour était toujours ouverte aux plus puissants et aux plus modestes ; il savait adapter son discours et ses sujets de conversation au niveau et aux intérêts des uns et des autres. Il avait un attachement particulier pour son village natal, Dakonta, et pour la région de Boké, si bien que sa maison était un point de chute pour beaucoup de ressortissants de cette région, pour des parents venus se soigner ou chercher du travail, pour des élèves et des étudiants désireux de poursuivre leur éducation à Conakry. Il avait une sensibilité particulière pour les problèmes des femmes les plus fragiles de sa famille : ses sœurs, tantes et cousines ont souvent bénéficié de son aide et de son écoute. Jamais hautain, toujours attentif à tous les problèmes sociaux, généreux et rassembleur, il était d’une gentillesse rare et ses actions étaient inspirés par un profond sens de responsabilité vis-à-vis de sa famille.
C’était aussi un homme de culture, qui chérissait le savoir et la connaissance et qui savait, dans ce domaine aussi, rassembler ce qui, à première vue, peut paraitre opposé. Ainsi, sa parfaite maitrise de la langue française, qui lui permettait de rédiger des dizaines de pages sans aucune faute, sa connaissance des cultures et des civilisations européennes allait de pair avec un profond intérêt pour la tradition et l’histoire africaine. Il était à la fois un scientifique, diplômé de Mathématiques et enseignant de physique, et un littéraire profondément cultivé, qui aimait l’histoire et la littérature. Quelques jours avant sa mort, j’étais assis à son chevet, en train de l’écouter parler de la résistance de Samory Touré à la colonisation française. Son épouse Astou Ka, intellectuelle et cultivée, qui participait à ses discussions savantes et à son amour pour la connaissance, m’a exhorté à cette occasion à venir le voir plus souvent, pour écrire les histoires qu’il aimait raconter. Avec lui, je mettais de côté mon titre de docteur, tellement je me plaisais à écouter l’ancien enseignant, toujours désireux de partager son savoir.  Si notre relation a débuté autour des études, lorsqu’il m’encourageait à travailler en classe et qu’il me reprochait d’aimer trop le football au détriment des livres, c’est avec l’une de nos discussions intellectuelles qu’elle s’est terminée. Maintenant qu’il n’est plus là, il revient aux membres de sa famille et à tous les guinéens de maintenir vivant son héritage moral et intellectuel.
Dr Abdoulaye Wotem Somparé, sociologue