La plupart des Guinéens connaissent l’honorable
Aboubacar Somparé en tant que leader du PUP et ancien président de l’Assemblée
Nationale, qui aurait pu devenir président après le décès du Général Lansana
Conté. Le coup d’état dont il a été victime a malheureusement caricaturé son
brillant parcours de grand commis de l’Etat, qui a rendu service à son Pays en
occupant des postes importants dans les différents paliers de l’administration
guinéenne. En exerçant ses fonctions
avec beaucoup de patriotisme, il a rendu ainsi service à son Pays. Aboubacar
Somparé a été d’abord un brillant élève et étudiant, toujours majeur de sa
promotion, comme l’a rappelé ces jours-ci
son condisciple et ami d’enfance,
l’ex premier ministre Sidya Touré.
Né en 1944, dans le village de Dakonta, à Boké, il est
le fils d’Amara Somparé et de Aissata Bayo et le petit-fils d’un chef de canton, Almamy Yayo
Somparé. L’ancien président de l’assemblée a été engagé
dans un processus de promotion sociale à travers sa scolarisation par son oncle
paternel et homonyme, Abou Yayo Somparé.
C’est de cet oncle enseignant qu’Aboubacar Somparé a hérité son comportement
d’enseignant éducateur en tant que symbole de la réussite scolaire dans la famille.
A l’école, Aboubacar se révèle rapidement doué et brillant dans les études en
devenant toujours premier de sa classe ou promotion, depuis l’école primaire
jusqu’à l’obtention de son diplôme d’études supérieures en Maths-physique à
l’université Gamal Abdel Nasser en 1 969. D’ailleurs c’est sur injonction de
l’oncle, qui était déjà proche de la retraite, qu’il renonça à sa bourse
d’études de troisième cycle à l’étranger, pour rester en Guinée et accomplir sa
mission d’éducateur.
Son mariage, trois ans plus tard, avec Astou Ka, Sénégalaise
d’origine peule, obéissait à la même contrainte de responsabilité, comme il
disait souvent lorsqu’il exhortait ses
frères à se marier tôt : «Moi je me suis marié très tôt parce que je devais
m’occuper d’abord de mes frères et sœurs, j’avais des responsabilités à
assumer ». Effectivement, dès son
affectation à son premier poste d’inspecteur et professeur de maths – physique
à Labé, le nouveau fonctionnaire a assuré
le suivi scolaire de ses frères et ses sœurs nés dans les années ‘50 jusqu’aux plus jeunes de la génération ’70. Aboubacar Somparé semble donc
achever la mission d’éducateur et protecteur de son oncle, qui fut l’un des premiers instituteurs
de la Guinée . En plus de ses enfants, tous les jeunes membres de la
famille Somparé qui ont vécu chez lui
ont fait des études supérieures.
Le tempérament du premier, à l’école et dans
la vie, l’a animé pour gravir tous les échelons de l’administration jusqu’au
sommet de l’Etat. En tant que grand
commis de l’Etat, il a assumé de très hautes fonctions stratégiques. A une
époque où l’on orientait les meilleurs étudiants vers l’enseignement, il a été
très tôt affecté comme inspecteur de l’académie à Labé, en 1970. Vers la moitié des années 1970, il occupa
successivement la fonction d’inspecteur académique de l’éducation de Conakry 2
et de directeur de la RTG ( Radio Télévision Guinéenne). Ce poste le rapprocha
de son mentor, le premier Président Ahmed Sékou Touré, qui découvrit la belle
plume de ce jeune fonctionnaire très cultivé. Ils partageaient ainsi des
séances de rédaction dans le cadre de la communication politique du leader
nationaliste, dont les discours devaient être diffusés à la radio et à la
télévision . Convaincu de l’intelligence
et de l’intégrité d’Aboubacar Somparé, le Président Sékou Touré l’affecta en
France en tant qu’ambassadeur, à peine âgé de 36 ans, en 1978. En France, sa
mission était de contribuer à la réconciliation avec l’ancien Pays
colonisateur. Il accomplit cette mission avec un succès matérialisé par la
visite du Président Valéry Giscard d’Estaing en France, à la fin des années ‘7o,
et celle de son homologue guinéen Ahmed Sékou Touré en 1982, à Paris. Aboubacar
Somparé a été donc l’un des principaux artisans de cette réconciliation. Comme
le témoigne Djibril Kassomba, un intellectuel guinéen de la diaspora dans son
ouvrage, Aboubacar Somparé avait contribué à rapprocher plusieurs guinéens
vivant à l’étranger de leur famille restée en Guinée, tout en contribuant au
retour de certains d’entre eux.
En 1984, suite au décès du Président Ahmed Sékou Touré
et à la prise de pouvoir par les militaires, la situation était incertaine. Le
diplomate guinéen a eu le courage de rentrer en Guinée, en se mettant encore au
service de son Pays et en acceptant, dans un premier temps, les fonctions moins
importantes. C’est ainsi qu’il a été d’abord nommé conseiller du Ministre de la
Fonction publique, à l’époque Capitaine Mamadou Baldé du CMRN ; ensuite il
est devenu administrateur du Palais des
Nations. Cette nouvelle nomination le rapprocha aussi du nouveau Président, le Général Lansana
Conté, auquel il preta également sa plume. Vers la fin des années 1980, suite à la chute
du mur de Berlin, dans un contexte de multipartisme et de révolte des étudiants
partout en Afrique subsaharienne, Aboubacar Somparé a été affecté à
l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry comme recteur. Etant considéré en
Guinée comme un modèle de réussite scolaire par beaucoup de jeunes, il a pu
utiliser son charisme pour obtenir l’adhésion des étudiants, tout en
contribuant à l’amélioration de leurs conditions de vie dans les campus. A
l’Université de Conakry, il a su se montrer très accessible envers les leaders
étudiants, tout en favorisant le retour des intellectuels de la diaspora au
sein de cette institution. Il a ainsi fait preuve d’ouverture d’esprit, comme
l’a témoigné l’un des plus grands historiens
guinéens Lanciné Kaba. Il favorisa également le retour et l’insertion
professionnelle au sein de l’institution universitaire de plusieurs cadres
guinéens issus de la diaspora, notamment le Professeur Salifou Sylla.
En 1990, dans
un contexte de réforme et de transition de l’enseignement secondaire, il a été
affecté comme le premier coordinateur du PASE (Programme Sectoriel de
l’Education) pour épauler Madame Aicha Bah, Ministre de l’Enseignement et
fonctionnaire internationale de l’UNESCO.
Il a sillonné avec elle plusieurs écoles de Guinée, en mettant son
expérience encore une fois à la disposition de son Pays. Suite à l’adhésion de
la Guinée au multipartisme, Aboubacar Somparé a été nommé Secrétaire général au
Ministère de l’Intérieur et de la décentralisation, où il a contribué à
organiser, avec les Ministres Sow et Alhassane Condé, la première élection
communale de Guinée en 1991. Mais, à la veille des premières élections
présidentielles, ce n’est pas une place de Ministre ou de Vice-Ministre qui
l’intéressait. Il avait des idées et une ambition politique qu’il matérialisa
en créant son parti avec des intellectuels tels que son ami, Mamadi Diawara. En renonçant au poste de Secrétaire général du
Ministère de l’intérieur pour se lancer dans l’arène politique, il intégra la
coalition des Partis fédérés, créée par le Général Président Lansana Conté. Au
PUP, en s’imposant comme leader charismatique, il finit par se positionner
comme un successeur potentiel du président vieillissant. L’objectif de Somparé
n’était pas d’occuper un poste ministériel pour se remplir les poches.
D’ailleurs, après la mutinerie de 1996, il profitera de ses rares moments d’influence
sur le Président pour favoriser la nomination de certains jeunes cadres à des
postes ministériels, indépendamment de leur appartenance ethnique. En poursuivant patiemment son objectif
politique, Aboubacar Somparé finira par devenir Président de l’Assemblée
Nationale, malgré la volonté du Président Lansana Conté et grâce au soutien de
la base du parti, notamment des femmes du PUP. D’où les conflits latents, alimentés par
certains cadres du PUP, qui ont miné les relations entre les deux hommes
politiques, jusqu’à la disparition du Général Conté en décembre 2008. A partir
de cette date Aboubacar Somparé, le principal perdant du coup d’état de Dadis
Camara, a subi un isolement politique.
Cependant, Somparé apparaissait dans l’arène politique
guinéenne comme un rassembleur dans un contexte de bipolarisation et de
surcommunautarisation de la vie
politique, marquée par l’ethnocentrisme. C’est pourquoi il n’a jamais rompu le
dialogue avec des leaders tels que Jean Marie Dore, Bah Oury, Kory Koundiano
etc. Ils discutaient chaleureusement, de manière très détendue, avec beaucoup
d’humour. Il acceptait d’être traité en petit frère par l’actuel Président,
puisqu’ils étaient tous les deux natifs de Kakandé et que leurs parents se
connaissaient. D’ailleurs, ces
cérémonies de funérailles, qui réunissent toutes les grandes personnalités
politiques de ce Pays, au premier rang desquelles se trouvent le Président
Alpha Condé, Sidya Touré, Hadja Saran
Daraba, Cellou Dalein, Fodé Bangoura et Monsieur Makanera, Youssouf Kiridi
Bangoura, témoignent bien de sa carrure d’homme d’Etat au-dessus des clivages
politiques et ethniques.
Sur le plan
politique, certains pourraient lui
reprocher d’avoir parfois
manqué du courage politique
nécessaire pour se démarquer davantage de
Lansana Conté, dans la mesure où il y avait beaucoup de divergence de
points de vue et de conflits latents entre les deux hommes politiques. Ces critiques concernent surtout le refus, de
la part de Somparé, de déclarer la vacance de pouvoir au moment où Conté était
très vieux et malade, pour accéder à la présidence de la République. Il serait
très long d’analyser ici la raison de cette réticence de Somparé à prendre le
pouvoir, mais nous pouvons juste évoquer, ici, qu’il a été prisonnier d’un
pacte moral avec l’ancien président, selon lequel, malgré leurs désaccords
profonds, il lui devait une grande fidélité et loyauté. La rupture de ce pacte
aurait constitué une trahison pour cet homme profondément croyant et imprégné
des valeurs traditionnelles africaines, selon lesquelles le bien sera toujours
remboursé en bien et le mal en mal. De
plus, la très grande croyance de Somparé
dans le destin, sa conviction qu’il serait président un jour par la
grâce de Dieu, l’a également empêché de
mettre en place une véritable stratégie
de conquête du pouvoir. Il n’a pas su tisser ainsi autour de lui des réseaux de
cadres et d’hommes d’affaires susceptibles de financer sa campagne, en
sollicitant par exemple le soutien de nombreux hauts cadres guinéens dont il a
favorisé l’émergence. Cela était très perceptible pendant l’élection de 2010,
car il manquait cruellement de moyens financiers contrairement aux autres
candidats, et de soutiens de poids des personnalités importantes à l’échelle
nationale et internationale.
Comme Somparé
était très croyant, voire fataliste et pacifiste, il n’a pas cherché non plus à
avoir ses hommes dans l’armée. Il savait
que la destitution du Président, avec la déclaration de la vacance de pouvoir,
comporterait des risques en termes de pertes de vies
humaines et d’instabilité politique sources d’insécurité dans le pays. La
nature hybride du régime de Conté, à la fois civil et surtout militaire ne
favorisait pas la réalisation d’un tel projet à un moment où le général
président avait le soutien de l’armée malgré son impopularité au sein de la
population civile.
Si, jusqu’ici, j’ai retracé le parcours de l’homme
public, que beaucoup de gens connaissent déjà, je voudrais maintenant parler de l’homme que
je connais très bien, car il a été non seulement mon grand frère, mais aussi mon
tuteur, chez lequel j’ai grandi.
Aboubacar était un pilier de la famille Somparé et un garant de son unité.
Accessible à tout le monde, accueillant et aimable, sa cour était toujours
ouverte aux plus puissants et aux plus modestes ; il savait adapter son
discours et ses sujets de conversation au niveau et aux intérêts des uns et des
autres. Il avait un attachement particulier pour son village natal, Dakonta, et
pour la région de Boké, si bien que sa maison était un point de chute pour
beaucoup de ressortissants de cette région, pour des parents venus se soigner ou
chercher du travail, pour des élèves et des étudiants désireux de poursuivre
leur éducation à Conakry. Il avait une sensibilité particulière pour les problèmes
des femmes les plus fragiles de sa famille : ses sœurs, tantes et cousines
ont souvent bénéficié de son aide et de son écoute. Jamais hautain, toujours
attentif à tous les problèmes sociaux, généreux et rassembleur, il était d’une
gentillesse rare et ses actions étaient inspirés par un profond sens de
responsabilité vis-à-vis de sa famille.
C’était aussi un homme de culture, qui chérissait le
savoir et la connaissance et qui savait, dans ce domaine aussi, rassembler ce
qui, à première vue, peut paraitre opposé. Ainsi, sa parfaite maitrise de la
langue française, qui lui permettait de rédiger des dizaines de pages sans
aucune faute, sa connaissance des cultures et des civilisations européennes
allait de pair avec un profond intérêt pour la tradition et l’histoire
africaine. Il était à la fois un scientifique, diplômé de Mathématiques et
enseignant de physique, et un littéraire profondément cultivé, qui aimait l’histoire
et la littérature. Quelques jours avant sa mort, j’étais assis à son chevet, en
train de l’écouter parler de la résistance de Samory Touré à la colonisation
française. Son épouse Astou Ka, intellectuelle et cultivée, qui participait à
ses discussions savantes et à son amour pour la connaissance, m’a exhorté à
cette occasion à venir le voir plus souvent, pour écrire les histoires qu’il
aimait raconter. Avec lui, je mettais de côté mon titre de docteur, tellement
je me plaisais à écouter l’ancien enseignant, toujours désireux de partager son
savoir. Si notre relation a débuté
autour des études, lorsqu’il m’encourageait à travailler en classe et qu’il me
reprochait d’aimer trop le football au détriment des livres, c’est avec l’une
de nos discussions intellectuelles qu’elle s’est terminée. Maintenant qu’il
n’est plus là, il revient aux membres de sa famille et à tous les guinéens de
maintenir vivant son héritage moral et intellectuel.
Dr Abdoulaye Wotem Somparé, sociologue