vendredi 24 août 2018

L'insoutenable procès à l'Imam de Kindia sur fond de faux débat




Au moment où nous devons nous pencher sur les problèmes de développement socio-économique de notre Pays, qui ne se réalisent que dans un climat de quiétude et de coexistence pacifique, nous sommes en train de gaspiller notre temps et nos énergies dans un débat stérile et teinté de formalisme juridique. Il s’agit de polémiques autour des propos jugés ethnocentristes et incendiaires de l’Imam de Kindia. Plusieurs acteurs politiques, au premier rang desquels se trouvent le Ministre de l’Unité nationale et de la citoyenneté, des leaders de l’UFDG et certaines associations et personnalités de la société civile, se focalisent sur les propos de ce chef religieux. Les plus virulents s’acharnent sur El Hadji Camara et menacent même de le traduire en justice. En toute vraisemblance, l’Imam aurait dit publiquement que le maire de Kindia devrait être[Utente1]  un ressortissant de cette ville ou, du moins, selon les diverses interprétations, il aurait exhorté les fidèles musulmans à soutenir un candidat de ce profil. Or, de tels propos, qui constituent une ingérence d’un chef religieux dans la sphère politique et publique, prétendent exclure de la compétition politique des candidats et des partis protagonistes du micro-champ politique de la commune urbaine de Kindia. D’où l’indignation et les agissements de ces derniers. De plus, le Ministre de l’Unité nationale et certains acteurs et associations de la société civile, plus soucieux du respect des droits de l’homme, s’indignent et s’attaquent également à l’Imam.

Si nous examinons en toute objectivité ce problème, en tenant compte des réalités socioculturelles de la vie politique en Guinée, il y a lieu de reconnaitre que ce leader religieux a dit tout haut ce que la majeure partie des guinéens pense tout bas, dans un contexte de culture politique paroissiale. Comme l’ont déjà montré des politologues américains, certains Etats, notamment les plus récents, présentent de fortes identités ethniques et régionales. Cela amène les populations à faire confiance à des leaders issus de leur propre région ou groupe ethnique, dans la conviction qu’ils seront les seuls à pouvoir défendre les intérêts de leur communauté.  C’est pourquoi, dans le cas guinéen, à l’exception de quelques rares préfectures plus cosmopolites, notamment Fria, Boké ou Mamou, pendant les élections communales, les candidats sont en général des natifs autochtones des localités. De plus, dans le cadre d’une élection communale qui est par définition locale, le fait de souhaiter qu’un natif soit élu n’est pas vide de sens, dans la mesure où la politique de la décentralisation a pour objectif de favoriser la participation des populations concernées et de les rapprocher des institutions et des services, pour qu’elles s’engagent davantage dans le projet de développement local. Dans ce cas, même dans les Pays occidentaux dont nous imitons la démocratie, pendant les élections locales les candidats sont souvent des natifs des localités ou des personnes qui y vivent depuis longtemps, où ils ont fait leur preuve en termes d’implication et de réalisation de certains projets d’intérêt collectif. Dans ce cas, les candidats à la mairie de Kindia, sans afficher leur identité ethnique, doivent plutôt prouver leur ancrage et appartenance à cette ville. A notre humble avis, il serait donc exagéré et injuste de traduire en justice l’imam au lieu de plutôt chercher à nuancer son discours tout en le mettant en garde sur les éventuelles dérives et effets pervers de ses propos.  L’Imam a certainement fait une erreur de communication en s’ingérant dans les affaires de l’Etat tout en transgressant ainsi les principes de la mission d’un chef religieux dont le discours doit être au-dessus de la mêlée politique et aller toujours dans le sens d’un apaisement des tensions sociales, qui empruntent souvent des connotations ethniques et régionalistes.  Mais il ne saurait être sacrifié sur l’autel des valeurs républicaines, qui ne sont pas toujours respectées même par ceux qui les poursuivent. Nous pensons qu’il est nécessaire de poser ce problème en termes de communication des leaders religieux, qui demande d’être contrôlée et recadrée par le Ministère des Affaires Religieuses et la HAC (Haute Autorité de la Communication), afin d’éviter des ingérences dans la vie politique. Enfin, il y a lieu de rappeler que nous sommes de tradition gérontocratique et nous vivons dans un Pays où le sentiment religieux est encore très fort. Nous ne sommes pas en France, le Pays des Droits de l’Homme, où la Révolution de 1789 a fait reculer de manière très violente l’influence des institutions religieuses sur l’opinion. Si l’on peut, en Guinée, remettre en cause les propos d’un Imam et les contester, on ne saurait l’attaquer de manière très violente en menaçant de le traduire en justice. Un éventuel procès d’un tel notable constituerait une blessure profonde de la conscience collective des populations de cette localité, ce qui pourrait menacer la coexistence pacifique des communautés et des religions. 

Dr Abdoulaye Wotem  Sompare