mercredi 30 août 2017

Les révendications catégorielles des assistants et l'intéret de l'enseignement supérieur guinéen



Depuis les dernières grèves  de revendication des enseignants, nous assistons à une division au sein d’une même catégorie socioprofessionnelle défavorisée et dévalorisée en Guinée, liée au manque de solidarité. C’est pourquoi dès l’acceptation des revendications catégorielles des enseignants contractuels du secondaire, ces derniers se sont désolidarisés de  leurs ainés, en refusant de poursuivre la grève. Pour une fois, le syndicat des enseignants a fait en Guinée une revendication qui est plus professionnelle que politique, en cherchant à comparer les salaires des enseignants de l’enseignement supérieur des Pays voisins, notamment le Sénégal, la Cote d’Ivoire, le Bénin et la Guinée. Les jeunes enseignants qui cherchaient à être recrutés et les vieux enseignants proches de la retraite sont sortis gagnants, car les mesures acceptées par le Ministère étaient plus favorables à leurs intérêts catégoriels. Je pense par exemple aux primes d’ancienneté et au recrutement des jeunes contractuels, même si, à cause de la corruption et des processus d’embauche peu transparents,   ce ne sont pas  forcément les plus méritant qui  ont intégré la fonction publique. Cela dit, le fait de régulariser les enseignants contractuels constitue un grand pas de notre système éducatif, qu’il faut préserver, si nous raisonnons en termes d’acquis sociaux en Guinée.
Depuis un mois, il a été annoncé aussi l’augmentation des salaires des enseignants du supérieur, en fonction des diplômes et des grades académiques. Du coup, des salaires qui n’atteignent pas 3 millions vont passer de 6 à 8, voire 10 millions, selon que les enseignants concernés soient des maitres assistants, des maitres de conférences ou des professeurs. Or, pour être maitre-assistant il faut être titulaire d’une thèse de doctorat, dont les détenteurs ne sont pas nombreux en Guinée. Certes il y a , dans l’enseignement supérieur, des maitrisards d’un très bon niveau ; dans mon domaine, la sociologie, je rencontre des collègues qui ont une expérience importante dans les enquêtes de terrain. Or, ils n’ont pas eu la possibilité, le temps, l’opportunité ou le courage de faire des études de troisième cycle aboutissant à l’obtention d’une thèse de doctorat. Du coup, ce sont ces derniers qui se sentent lésés, voire marginalisés par les récentes décisions, d’autant plus qu’ils donnent beaucoup de cours. Il y a lieu de reconnaitre aussi que beaucoup d’enseignants chercheurs guinéens sont utilisées par les Institutions Internationales et les ONG, pour lesquels ils travaillent au détriment de leur progression académique, dans le cadre de la recherche appliquée.  
Demandons-nous si ces enseignants, appelés assistants, le sont vraiment au sens académique du terme : partout, un assistant à l’Université  est un doctorant ou un docteur. A notre humble avis, ils doivent se montrer plus solidaires et prendre le train en marche, en revendiquant plutôt l’obtention de bourses pour pouvoir préparer leurs Masters et leurs thèses.  Ces assistants doivent  considérer  que ces mesures valorisent le métier d’enseignant à l’Université, tout en incitant à la recherche scientifique à travers des primes de publication dans les revues scientifiques. C’est là le mérite du jeune ministre Yero Baldé et de son équipe.  La catégorie socio-professionnelle des enseignants du supérieur n’a aucun intérêt à se diviser : il faut plutôt considérer ces mesures comme des acquis à préserver, car elles amènent à rehausser le niveau de l’enseignement supérieur guinéen, en attirant les personnes les plus qualifiées dans les salles de classe. Il faut aussi reconnaitre qu’il n’est pas normal d’enseigner à l’Université sans être au moins doctorant : il s’agit là d’une anomalie. C’est donc dans le sens de la qualification que les assistants doivent lutter, en demandant à être soutenus par l’Etat dans leur formation ultérieure et aussi à pouvoir mettre en avant, à travers des crédits et des équivalences, leur expérience d’enseignement et de terrain. D’ailleurs, il y a beaucoup d’enseignants qui sont titulaires d’une maitrise et d’un Master qui sont très pédagogues et performants et qui ont un immense potentiel à développer à travers la préparation d’une thèse de doctorat et de publications dans les revues scientifiques.  
Dr Abdoulaye Wotem Somparé
Enseignant-chercheur à l’Université Sonfonya et Kofi Annan de Guinée

mercredi 2 août 2017

Les résultats du Bac 2017: échec des élèves ou d'un système éducatif qui oppose public et privé?


Cet article veut souligner les effets pervers de deux décisions importantes prises par l’Etat, notamment la réduction drastique du nombre de bacheliers, liée à la suppression des notes de cours,  et la volonté d’orienter tous les bacheliers vers les Universités publiques.

Le résultats du bac de cette année avec un taux de réussite trop bas ( 27,5%) est étonnement perçu et interprété par les gouvernants et beaucoup de citoyens guinéens comme une performance, voire un exploit du ministère de l’enseignement préuniversitaire. Or, de tels mauvais résultats constituent plutôt un échec d’un système éducatif à bout de souffle et qui demande d’être reformé profondément.  Cela signifie que plus de la moitié des étudiants guinéens n’ont pas le niveau leur permettant de franchir le seuil de l’Université. Certes, le fait d’éviter de repêcher les candidats en se référant a leurs notes de cours, qui sont souvent falsifiées par leurs établissements, n’est pas mauvais en soi, dans la mesure où il permet de soumettre les écoliers à une évaluation plus rigoureuse pour un meilleur contrôle des connaissances. La prolifération des écoles privées, dans une situation de concurrence, sans un bon contrôle du Ministère en charge, fait en sorte que chaque école cherche à avoir le meilleur taux de succès au bac, pour favoriser les inscriptions.

Cela dit, nous avons plutôt assisté à une évaluation plus sélective, dont le but est de diminuer le nombre  de bacheliers et de réduire, du même coup, les couts de la formation en les orientant uniquement dans les universités publiques.  Or, un système éducatif performant doit plutôt opter pour une évaluation formative. L’école doit être un lieu d’acquisition des connaissances scientifiques et de formation globale de l’individu, pour faire de lui une personne épanouie et un bon citoyen de son Pays.  C’est pourquoi, avant de décider de supprimer les notes de cours, il fallait préparer davantage les candidats en prenant des mesures d’accompagnement, notamment du soutien scolaire. Si l’objectif de l’examen est d’amener les élèves à apprendre leurs cours, en sanctionnant leur formation, il est d’ailleurs possible d’organiser une deuxième session de rattrapage qui doit être réalisée dans les mêmes conditions d’exigence et de rigueur que la précédente. De plus, le fait de n’avoir que trois options diminue la chance de réussite scolaire de beaucoup de candidats, tout en contraignant  d’autres à rater leur vocation en faisant des choix par défaut. C’est pourquoi il est maintenant urgent de créer des bacs professionnels en Guinée. C’est ce qui va contribuer également à valoriser la formation professionnelle, en incitant ainsi beaucoup de jeunes à s’orienter vers les métiers  qui les mettraient à l’abri du chômage.

Les nouvelles dispositions prises par le MEPU par rapport au Baccalauréat s’inspirent d’une rigueur qui est souhaitable dans le contexte d’un système éducatif miné par la corruption et par des logiques où l’école apparait plus comme un lieu de distribution de diplômes que comme une institution chargée de la transmission du savoir.  Or, la rigueur seule n’est pas suffisante si elle n’est pas accompagnée par une véritable réforme visant à rehausser la qualité de la formation. De tels  examens aux résultats catastrophiques ne contribuent pas à augmenter le nombre de cadres et de techniciens dont le pays a besoin, contrairement à la vision néolibérale de la réforme des systèmes éducatifs prônée par les technocrates de la Banque Mondiale. Ils contribuent également à la mise en place d’un système éducatif élitiste, source d’inégalité sociale. D’ailleurs plusieurs études sociologiques en Afrique ont montré que seule la sélection ne rend pas un système éducatif performant : elle peut même déboucher sur une sélectivité pathologique qui créé ainsi des goulots d’étranglements. Dans de telles conditions, seuls les élèves issus de familles de cadres aisées ont plus de chance de réussir à l’école, car leurs familles peuvent adopter certaines mesures (écoles privées, répétiteurs, achat de livres et ordinateurs etc.) qui favorisent leur réussite.  Pour lutter contre l’inégalité scolaire, l’Etat doit tendre la main aux élèves issues des  familles et des communautés pauvres, surtout en milieu rural, en les rapprochant de l’institution scolaires et  en créant des mesures d’accompagnement pour les élèves en difficulté scolaire.

En ce qui concerne l’orientation des élèves  dans l’enseignement supérieur, elle doit ne doit pas avoir pour unique objectif de réduire les couts  de la formation en opposant, de manière stérile et manichéenne, économiciste et simpliste, les Universités publiques et privées.

Les deux systèmes doivent être complémentaires : chaque partie doit utiliser les atouts de l’autre. Les Universités privées ne sauraient  faire l’économie de l’expérience et des acquis des Universités publiques : c’est d’ailleurs ce qu’elles ont fait intelligemment, en recrutant les enseignants fonctionnaires les plus qualifiés.  De plus, certaines  Universités ont créé des partenariats avec les Universités publiques de la Guinée et de la sous-région, comme Cheikh Anta Diop de Dakar.  Si l’UNC ou Kofi Annan font venir des enseignants plus qualifiés des Pays voisins, cela doit être considéré comme un acquis à préserver.

Les Universités privées ont des atouts sur lequel l’Etat peut s’appuyer, par exemple des systèmes d’évaluation plus rigoureux . A  l’Université Kofi Annan il y a  une bibliothèque moderne, meilleure par rapport à celle du public ; dans un contexte de partenariat, les étudiants de Gamal et de Sonfonya pourraient aussi consulter ses livres. Ils pourraient également bénéficier de l’expertise de certains enseignants étrangers, dont  les Universités privées payent les honoraires, en les faisant venir pour des missions. Cette complémentarité ne peut se réaliser que dans un contexte où les Universités privées respectent certains critères académiques. Dans ce cas, à notre avis, le rôle de l’Etat est de garantir le respect de ces normes et de ces critères et d’amener les Institutions d’enseignement privées à rehausser leur niveau. Il faut reconnaitre qu’il y a de petites Universités qui sont loin de respecter les critères académiques : celles-ci ont tout intérêt à se regrouper pour mutualiser les moyens et conjuguer les efforts.  Nous allons ainsi parvenir à une situation bien connues dans les Pays Occidentaux, où dans chaque grande ville il y a une Université publique avec deux ou trois grandes Universités privées, qui se présentent comme une alternative de qualité.

 Sur le plan économique et social, n’oublions pas non plus que les Universités privées offrent des emplois à des centaines d’enseignants qui peuvent ainsi faire vivre leurs familles et jouir d’un minimum de pouvoir d’achat, nécessaire pour le bon fonctionnement de l’économie nationale. Les Universités privées favorisent ainsi l’insertion professionnelle des jeunes brillants tout les engageant dans un processus de formation continue, à l’instar de plusieurs jeunes enseignants qui sont en train de préparer, à présent, des Masters et des doctorats.