dimanche 18 janvier 2015

Les manifestations anti Charlie Hebdo entre l'attachement à la liberté d'expression et la provocation irresponsable

Il y a peu de jours,  “Eclairages guinéens”  avait souligné que le grand rassemblement de Paris suite à la tuerie de Charlie Hebdo ne devrait pas diviser le monde en deux grandes catégories, notamment  ceux qui sont Charlie et ceux qui ne le sont pas. Les participants à cette marche ont affiché  une union et une solidarité internationale, que le monde n’a peut-être plus  connues depuis la chute du mur de Berlin. Or, comme on l’avait souligné, dans cette marche  il y avait aussi tous ceux qui, tout en condamnant   le terrorisme,  ne sont pas forcément d’accord avec l’esprit de ce journal satirique. La preuve en est qu’un sondage récent prouve que 42% des Français se déclarent contraires à la une de Charlie Hebdo qui caricature le Prophète Mohamed. Maintenant les Occidentaux, au premier rang desquels se trouvent des dirigeants tels que François Hollande, sont désagréablement surpris de voir que certains dirigeants qui étaient à Paris ont interdit la publication de « Charlie Hebdo » une fois de retour dans leurs Pays. Tel est le cas des dirigeants sénégalais, nigériens, marocains, bref de la majeure partie des Pays musulmans.    En plus des déclarations officielles de la majeure partie des Etats musulmans condamnant la publication de Charlie Hebdo avec une caricature du Prophète Mohamed, il y a eu des émeutes et des soulèvements populaires au cours desquels une dizaine d’églises ont été brûlées au Niger, avec un bilan de dix morts. D’où l’amalgame paradoxal entre la ligne éditoriale de Charlie Hebdo qui est  un journal laïc, voire athée, et le Catholicisme considéré  en tant que religion du monde occidental. Or, le Pape même a condamné les caricatures de Charlie Hebdo, en disant qu’il ne faut pas tuer au nom de Dieu, mais qu’on ne doit pas non plus offenser la religion d’autrui. Beaucoup de catholiques et laïcs  européens ne sont pas d’accord avec la ligne éditoriale de ce journal malgré la condamnation unanime du crime dont ont  été victimes les membres de la  rédaction.  Donc, ceux qui protestent ont eu tort de s’en prendre aux églises catholiques !
De plus, comme on le disait dans le deuxième article, la jeunesse africaine ne doit pas transposer cette guerre de civilisation en Afrique. Elle ne doit pas oublier non plus que François Hollande a combattu le terrorisme au Mali dans l’intérêt de l’Afrique. C’est pourquoi il était d’ailleurs  désagréablement surpris des manifestations à Niamey et dans d’autres Pays africains. Cela montre encore une fois que les dirigeants occidentaux persistent à faire de mauvais choix en ignorant les réalités socioculturelles et la géopolitique  des Pays en conflit.   Pour reprendre  Max Weber, on a l’impression que les dirigeants des Pays Occidentaux agissent souvent au nom d’une rationalité inspirée et dictée par la défense de valeurs, telles que la démocratie ou la liberté d’expression. Même s’ils ont des intérêts économiques ou géostratégiques cachés, c’est au nom de ces valeurs  qu’ils ont soutenu, par exemple, les rebelles syriens  contre Bassar Al Asad ou qu’ils ont favorisé la chute de Kadhafi en Lybie. C’est ainsi qu’ils ont déstabilisé ces pays qui sont devenus ingouvernables tout en favorisant l’émergence d’un nouveau groupe terroriste, l’Etat islamique.  
Or, ces actions rationnelles par rapport à des valeurs ne le sont pas par rapport à un objectif qui devrait être partagé par tous, c'est-à-dire l’apaisement des tensions qui enflamment aujourd’hui le monde en empruntant trop souvent la voie  d’un choc des civilisations.  Pourquoi, par exemple, insister avec la caricature du Prophète Mohamed au nom des valeurs au sens wébérien du terme, sans se préoccuper des conséquences sur des populations peu scolarisées et facilement instrumentalisées ? En se souciant  de respecter les valeurs de tolérance et de laïcité sans se soucier des conséquences, les rédacteurs de Charlie Hebdo, autorisés par les dirigeants français, ont posé un acte irresponsable qui peut être facilement  perçu comme provocateur.
Il est vraiment dommage de voir certaines populations africaines bruler aujourd’hui les drapeaux de la France et en s’attaquant à ses installations de coopération et à ses biens pendant la présidence de François Hollande qui a été toujours présent quand l’Afrique eu besoin de lui, notamment au Mali, en Guinée et en Centrafrique,  en raison des amalgames et des incompréhensions qu’on aurait pu surmonter avec une bonne communication des uns et des autres. Il est aussi regrettable de voir le journal Charlie Hebdo, qui critique régulièrement le Front national et le racisme en France en défendant donc les populations étrangères,  y compris les Africains, au centre  et à l’origine de ces manifestations violentes en Afrique.  Ces soulèvements qui ont déjà couté la vie à dix  personnes en raison de l’entêtement de la presse française par rapport à  un idéal de liberté d’expression ressentie comme une provocation chez beaucoup de musulmans.
Quant aux jeunes africains et surtout nigériens en particulier, comme nous l’avons déjà souligné ci- haut, ils se trompent de lieu de combat en s’attaquant  injustement et aveuglement aux Eglises où les frères et sœurs catholiques prient dans un continent où il y a toujours eu une coexistence pacifique et un brassage entre les différentes communautés religieuses enracinées dans l’animisme et syncrétisme africain . C’est pourquoi les dirigeants des Pays africains devraient faire passer des messages apaisants à leurs populations tout en leur expliquant que la satire de Charlie Hebdo n’a rien d’une attaque des Catholiques contre les Musulmans. Il s’agit d’un journal irrévérent envers toutes les religions et ses dérives ou provocations ne doivent pas exposer à la violence nos frères et sœurs catholiques, qui ont le droit de pratiquer leur foi comme ils l’ont toujours fait en Afrique, dans la paix et dans le respect réciproque.

jeudi 15 janvier 2015

Le massacre de Boko Haram dans l'ombre des attaques terroristes en France



Cette semaine, pendant que nos yeux étaient rivés à travers les medias du monde entier, sur la traque et la prise d’otage des terroristes islamistes que nous étions de suivre en direct comme au cinéma, Boko Haram était en train de tuer plus de 2000 personnes au Nigéria. En massacrant les populations, les soldats de la secte islamiste ont détruit 16 villages en provoquant ainsi les déplacements de milliers d’individus sans abris vers les pays voisins. C’est le massacre de 17 personnes à Paris qui a retenu plutôt l’attention, la mobilisation et la compassion du monde entier en oubliant ainsi les victimes inconnues et les sans voix assassinées par Boko Haram. Seuls quelques rares travailleurs humanitaires des ONG internationales sont restés au chevet de ces populations innocentes, désemparées et  meurtries par une violence inouïe,  qui sont devenues la cible des attaques terroristes régulières face à  un Etat impuissant, dans l’indifférence de l’Union Africaine. La communauté internationale et les Pays Occidentaux, plus engagés dans les autres foyers de conflit, comme l’Afghanistan, la Syrie et l’Iraq, semblent avoir relégué ce qui se passe au Nigéria  au second plan.    Dix- sept chefs d’Etats ont quitté l’Afrique pour venir assister au rassemblement mais ils ont oubliés le  drame nigérian. D’une part l’Afrique était surreprésentée à Paris et d’autre part elle a brillé par son absence et indifférence en terre africaine du Nigeria.    Or, si le Nigeria est touché par le terrorisme toute l’Afrique doit s’inquiéter. De plus l’Afrique, confrontée aux problèmes du développement politique et économique,  est sans doute la cible la plus vulnérable du terrorisme, où il trouve des terreaux plus favorables pour sa propagation et persistance. Les dirigeants africains n’arrivent toujours pas à comprendre que, dans un monde globalisé, «  lorsque quelqu’un tousse au Sahel ou au Nigeria, c’est toute l’Afrique qui sera enrhumé », pour reprendre l’expression de l’intellectuel nigérian et prix Nobel de littérature Wole Soyinka. En paraphrasant Soyinka, il est donc temps que tous les tigres africains arrêtent de parler maintenant avec des discours creux  au nom du «  politiquement correcte »,   pour sortir les griffes en faisant du terrorisme leur proie privilégiée, afin de protéger nos populations.  
Certes nous sommes choqués par les massacres de Paris mais n’oublions pas  non plus ces victimes et innocents du Nigeria  et des pays limitrophes, notamment le Cameroun et le Niger, confrontés aux problèmes de survie et qui tombent tous les jours sous les balles de ces robots tueurs corrompus, endoctrinés, manipulés, dressés et télécommandés contre leurs propres sociétés et populations. Depuis quand des attentats suicides Kamikaze sont-ils possibles  en terre africaine de syncrétisme,  de tolérance et de coexistence pacifique des populations de confessions religieuses différentes ?  Comment en est arrivé là au pays de Sinua Achebe dont le roman, « Le Monde S’effondre » est l’illustration même du syncrétisme africain, de la tolérance et du dialogue des religions ?
   La  jeunesse africaine ne doit absolument pas se tromper de lieu de combat en s’ingérant dans une stupide  guerre des civilisations transposées en Afrique. Cette guerre   n’est pas la nôtre alors que nous sommes confrontés au problème de développement et des catastrophes naturelles et sanitaires telles qu’Ebola en ce moment. Préservons donc nos vies, énergies, et intelligences en les consacrant au problème de développement au lieu de les gaspiller dans une guerre des civilisations masquées par la raison ou passion religieuse. Il ne faut pas perdre notre temps tout en compromettant notre avenir et donc celui du continent dans  une guerre peu respectueuse des vies humaines et destructrice des civilisations,  provoquée et entretenue par les élites religieuses et politiques du moyen Orient  et des pays du Golfe et alimentée par les erreurs  des dirigeants politiques occidentaux.  
 
 

lundi 12 janvier 2015

Etre ou ne pas être Charlie? Une fausse opposition: être humain, solidaire et lucide!



Comme tout n’est pas blanc ou noir, dans un schéma d’analyse simpliste et dichotomique teinté de manichéisme où on oppose, sans cesse, les bons et les méchants à l’image des films Hollywoodiens, ce slogan de solidarité et d’indignation diffusé partout après le drame   ne doit pas diviser donc le monde entier en deux catégories distinctes et réductrices. Notre planète ne saurait être réduite à une division entre ceux qui « sont Charlie » et ce qui ne le sont pas, en regroupant ainsi les gens en deux camps opposés. Malgré le sentiment d’indignation, de révolte, d’impuissance que de tels actes criminels et terroristes suscitent en nous, efforçons-nous de rester lucides et objectifs  en faisant une analyse froide d’une telle situation inquiétante et menaçante pour nous tous. Evitons donc de tomber dans le piège de la pensée unique.            
 Je suis Charlie en tant qu’être humain, citoyen du monde et partisan de la liberté d’expression, choqué par les actes de  violence et de barbarie qui ont couté la vie à l’équipe de rédaction de Charlie Hebdo.
Je ne suis pas   Charlie en tant qu’africain de Guinée, qui n’a pas  forcément la même la religion, ni le même sens de l’humour, que les français ou les Occidentaux, que les dessins de cet hebdomadaire font rire beaucoup plus que moi.
De plus,  tous les français n’ont pas d’ailleurs le même langage et les mêmes sens de l’humour, qui varient selon l’appartenance des individus aux différentes couches sociales notamment la classe populaire, la classe moyenne, la classe supérieure ou la bourgeoisie. Par exemple, si les films de Woody Allen, le réalisateur américain, font rire beaucoup les français de la classe moyenne, tel n’est pas le cas des individus de milieux populaires.
Dans l’humour des classes populaires qui est plus direct et moins sophistiqué il y a plus de gros mots et d’allusions sexuelles. Or un tel humour est considéré comme grossier, vulgaire, insolent dans la classe moyenne, voire impoli en milieu bourgeois.
Quant aux africains, si je ne me trompe pas par ethnocentrisme, ils ont en général un humour plus direct et innocent qui n’a pour objectif en général que de faire rire les gens afin de détendre l’atmosphère et de désamorcer les conflits. Il  n’y a pas non plus beaucoup de sous entendus ni de sarcasme. De plus on n’a pas droit,  en Afrique, d’utiliser l’humour avec quiconque. Les jeux de plaisanteries existent entre les grands parents et petits enfants, les beaux frères, belles sœurs et les cousins maternels.  Il y a également des relations de plaisanteries qui existent entre les groupes ethniques ou les personnes qui portent certains patronymes : les Camara plaisantent par exemple avec les Sylla.
En tentant compte de toutes ces considérations socioculturelles, le slogan « Je suis Charlie » et l’humour du journal satirique ne sauraient êtres universel. Certes ce slogan tente de s’identifier aux victimes du massacre,   tout en démontrant par solidarité que l’esprit de « Charlie Hebdo » n’est pas mort. Cependant, je suis certain que beaucoup de personnes, tout en manifestant leur solidarité aux  victimes du massacre et à leurs familles, préfèrent garder une certaine distance par rapport à un journal proposant des caricatures parfois  vulgaires sur les thèmes de la religion. Comme ce qui fait rire les uns choque les autres, il faut à notre avis éviter de se heurter à la susceptibilité, la colère et la frustration en faisant de l’humour sur certains thèmes tels que la race et la religion.
Malgré notre indignation face  à cette barbarie des tueurs de Charlie Hebdo, qui n’a d’égal que l’obscurantisme, la haine et la lâcheté qui l’ont engendrée, nous pensons très sincèrement que ces journalistes n’avaient pas besoin de caricaturer le prophète Mohamed dans la mesure où cela est interdit par la religion musulmane. De plus,  la France a fait beaucoup d’efforts pour respecter les religions de ses habitants étrangers. Par exemple dans les cantines scolaires, les mairies  et les écoles évitent aux enfants musulmans de consommer la viande de porc en leurs proposant toujours d’autres repas. Or, il est beaucoup plus difficile de respecter de telles prohibitions que de s’abstenir de faire les caricatures du prophète.

Lorsqu’on utilise l’humour pour se moquer de la vision sérieuse d’une religion  en caricaturant son prophète, cela peut choquer et révolter naturellement ses fidèles. Cela peut être instrumentalisé par les extrémistes qui souhaitent, à tout prix, une guerre des civilisations. Selon les élites politiques et intellectuelles françaises une telle attitude de provocation est conforme au droit et aux traditions républicaines françaises protégeant  la liberté d’expression. Ce raisonnement  obéit également à la politique assimilationniste des colonies et des étrangers, moins attentive aux réalités socioculturelles des communautés.   Il en va autrement  en Angleterre et aux Etats-Unis, où il est interdit de caricaturer les personnages religieux  ou faire des blagues en utilisant la couleur de la peau des individus. Cette interdiction n’est pas, à notre avis, une abdication à la liberté d’expression, ni un compromis avec le fanatisme religieux, mais simplement une question de réalisme et de bon sens. Nous pensons que, pour favoriser la coexistence pacifique dans une société multiculturelle, il vaut mieux ne pas faire des provocations touchant aux croyances les plus sacrées des uns et des autres.
 De plus,  le monde a beaucoup évolué, car dans l’ère de la mondialisation les territoires nationaux ne sont plus comme avant. Les nouvelles technologies via internet ont fait éclater  les traditionnelles barrières nationales. C’est pourquoi toute information diffusée en France est accessible en quelques secondes dans le monde entier. De plus les sociétés Occidentales sont devenues très cosmopolites et  multiculturelles. Dans un tel contexte, toute publication de  la presse ne s’adresse pas qu’aux français et aux occidentaux qui ont en général un niveau de scolarisation plus élevé et sont plus imprégnés de certaines valeurs démocratiques, notamment la liberté d’expression. Sans être évolutionniste, les européens se rappellent bien  qu’autrefois, quand il y avait plus d’obscurantisme et de dogmatisme dans leurs sociétés catholiques, toute critique voire la moindre contradiction avec les dogmes de la religion chrétienne, exposaient les auteurs à la sanction très sévère de l’Église pour l’hérésie. Tel a été le cas de Galilée. Les sociétés européennes ont connu des conjonctures historiques et des courants philosophiques, à partir de l’époque des Lumières jusqu’au marxisme, qui ont profondément changé le rapport des individus à la religion, en introduisant une remise en question, un questionnement ou une distanciation qui n’existent pas ailleurs.
Notre appel au compromis, au bon sens et à la tolérance des États Occidentaux vis-à-vis des populations d’origine étrangère vivant dans leur territoire ne  devraient exonérer ces dernières de leur effort de s’intégrer dans leurs sociétés d’accueil.
Certes les populations d’origine étrangère sont  plus victimes de l’échec scolaire et du manque d’insertion professionnelle et sociale qui créent des frustrations, instrumentalisées et transformées en haine par les extrémistes religieux. Mais ce n’est pas en commettant de tels actes criminels et terroristes qu’ils défendront les musulmans ou leurs communautés. Au contraire en agissant de la sorte ils n’ont fait qu’aider le Front National et les autres partis d’extrême droite  tout en rendant la vie plus difficile aux musulmans en Europe. Ils doivent plutôt se battre pour mieux étudier et défendre leurs causes par la plume et par le discours comme le fait, Tariq Ramadan, l’un des rares intellectuels musulmans issus de l’immigration. D’ailleurs une semaine avant cet attentat, ce dernier affirmait dans l’hebdomadaire Français « Le Point » que les musulmans ne devaient pas répondre aux provocations de Charlie Hebdo. Pierre Bourdieu, le grand sociologue français et intellectuel engagé ne disait pas autre chose  lorsqu’il déplorait le rejet de la culture et du milieu intellectuel par les jeunes de la banlieue parisienne. Il leur disait   qu’ils étaient  des crétins lorsqu’ils refusaient de lire même les livre  concernant leurs origines, leurs problèmes liés  à  la situation des jeunes issus de l’immigration.
La question n’est donc pas  d’être Charlie ou de ne pas l’être. A notre humble avis et en tenant compte de toutes les considérations socioculturelles évoquées ci-haut dans leur complexité et particularité, il s’agit d’être à la fois humain, solidaire tout en demeurant responsable, lucide et objectif indépendamment de notre appartenance à  une religion, une communauté, une société ou pays.   

samedi 3 janvier 2015

Une leçon de démocratie pour les présidents africains: le discours présidentiel italien du Nouvel An

Le très vieux sage président Italien issu du consensus national a surpris les téléspectateurs italiens et l’opinion internationale en déclarant calmement et fermement qu’il  ne compte plus terminer son mandat parce qu’il est désormais trop âgé.  Selon lui, il a pu constater que son âge  représente une limite importante dans la bonne exécution de son mandat. En tenant compte des incertitudes que comporte  son âge, il a peur de mourir en laissant le pays sans guide. D’ailleurs il rappelle qu’il ne voulait pas  ce deuxième mandat, qu’il accepta pour aider l’Italie à sortir d’un moment de grande instabilité, suite à la démission de Mario Monti dont les reformes libérales de l’économie ont été contestées. Enfin il invite les analystes politiques et les historiens à faire le bilan de son mandat avec esprit critique et objectivité, d’où son sens de l’histoire. Il s’agit là d’un personnage politique qui veut entrer dans l’histoire de son pays au lieu de se cramponner au pouvoir.  
 Dans ce discours le président Napolitano a fait preuve de sagesse, d’humilité,  de responsabilité et de patriotisme sans limites : des qualités  qui manquent cruellement aux chefs d’Etat africains qui s’accrochent au pouvoir.  Tel est le cas de l’ancien Président de la Guinée le General Lansana Conté : en dépit de sa très grave et longue maladie qui l’avait rendu complètement incapable de diriger le pays, il s’accrocha au pouvoir jusqu’à sa mort. Malgré les contestations,  les soulèvements populaires et  l’explosion sociale qui menaçait de déstabiliser la Guinée, où le pouvoir était dans la rue en 2007, il n’avait pas eu ce sens de responsabilité historique en démissionnant ou en préparant sa succession.
Apres deux mandats prévus par la constitution, l’ancien président Sénégalais, Abdouaye Wade, qui était également très vieux avait cherché à se maintenir au pouvoir ou à le transmettre à son fils , malgré son niveau intellectuel tres élevé. C’est comme si cet opposant historique, brillant universitaire très cultivé et passionné de l’histoire, était convaincu que ce n’était qu’en transmettant le  pouvoir à son fils qu’il allait entrer dans l’histoire. Le président Wade avait certainement tenté d’imiter le président togolais Gnassingbé  Eyadema et l’ancien président gabonais qui s’étaient arrangés en se faisant remplacer au pouvoir  par leurs fils, respectivement Fort Gnassigbe et Ali Bongo, après leurs décès. Ensuite  il y a eu des élections qui ont tenté de masquer ou légitimer le caractère dynastique de ces successions que d’autres chefs d’Etat africains en exercice sont en train de préparer actuellement.   
Quant à Abdoulaye Wade, en   perdant l’élection, celui qui incarnait la renaissance africaine et l’afroptimisme avec Thabo Mbeki,  est sorti   par la petite porte, malheureusement pour l’Afrique.
Blaise Compaoré, ancien  président du Burkina Faso, qui vient d’être chassé du pouvoir par une insurrection populaire, voulait également modifier la constitution afin de se faire réélire pour une énième fois après 27 ans au pouvoir. Le cas de Blaise Compaoré et Thomas Sankara , son compagnon révolutionnaire du début des années 80, qu’il avait supplanté en accédant au pouvoir par un coup d’Etat en 1987, est emblématique. Blaise Compaoré avait essayé de se racheter de ce coup d’état  fratricide qui coûta la vie à son ami et frère   Sankara, qui était le révolutionnaire et modèle de toute la jeunesse progressiste africaine, en travaillant pour son pays tout en cherchant à se maintenir au pouvoir pendant près de trois décennies. En revanche, c’est Thomas Sankara, dont le pouvoir avait duré à peine plus de trois ans, qui est entré dans l’histoire.  Contrairement à Compaoré,   sa mémoire demeure toujours vivante au Burkina Faso et en Afrique Subsaharienne.  Comme ironie du sort, tandis que Comparé cherchait à fuir, les jeunes révolutionnaires étaient encore en train de scander le nom de Sankara, en inscrivant ainsi leur soulèvement en continuité avec la révolution entamée en 1983 par le Che Guevara africain   . Cet exemple montre donc que ce n’est pas en se maintenant  au pouvoir pendant très longtemps   qu’un chef d’Etat ou un dirigeant politique entre dans l’histoire. C’est   plutôt en posant   des actes allant dans le sens de l’intérêt national qu’ils deviendront des grands hommes dont l’histoire retiendra toujours les œuvres : leurs mémoires seront ainsi  immortalisées.

 Nous souhaitons à l’actuel Président guinéen, en tant qu’opposant historique, d’entrer dans l’histoire en posant des actes qui s’inscrivent à long terme et dans le sens de l’intérêt national,  quitte à aller à l’encontre des intérêts partisans, communautaires, régionalistes ou ethniques. Donc, nous lui souhaitons, en ce début d’année 2015 à un an de l’expiration de son premier mandat, d’avoir la stature des véritables hommes d’Etat. Pour ces derniers,  le sort  de la Nation vient avant l’intérêt des réseaux et clans affairistes qui   incitent souvent les  présidents africains à se cramponner au pouvoir ou à le transmettre à tout prix à un proche. 

jeudi 1 janvier 2015

Les zones d'ombre et les effets pervers de la récente évaluation des Ministres guinéens



     La récente évaluation des ministres suscite beaucoup d’interrogations par rapport à la nécessité, la régularité et la pertinence d’une telle initiative. Dans un contexte de lutte contre l’épidémie d’ébola où nous avons besoin de la solidarité gouvernementale, on peut s’interroger également sur  l’opportunité et les effets pervers d’une telle initiative.
Le fait d’évaluer les ministères est en soi une très bonne chose, si elle est effectuée dans les règles de l’art conformément aux critères requis et  de manière objective dans un souci de transparence. Certes le président et sont premier ministre doivent suivre et évaluer les activités de chaque ministre de leur gouvernement mais ils ne sont pas obligés de publier les résultats de leurs appréciations, qui devraient plutôt  se traduire par des actes concrets notamment les avertissements, des suggestions, des encouragements, de la pression supplémentaire ou des remaniements ministériels. En cas de faute grave le ministre concerné doit démissionner ou il est limogé directement. 
Il y a lieu de rappeler d’abord que ce sont les citoyens guinéens et les usagers de l’administration guinéenne qui sont mieux placés pour apprécier les fonctionnements des différents ministères et leurs titulaires. Dans une démocratie où il y a la liberté d’expression les journalistes sont encore mieux placés pour évaluer la performance des ministres en faisant des investigations et des sondages d’opinion qui déterminent dans la transparence les cotes de popularité de chaque ministre. Or les critères et les résultats qui ont permis aux évaluateurs de classer les ministres en trois catégories notamment, les ministres excellents, bons et tocards n’ont pas été présentés, même si l’on parle de feuille de route. De plus nous ne pouvons pas  évaluer les ministres de façon objective, sans aucune distinction entre leurs ministères respectifs en termes de spécificité et d’importance en fonction de la politique générale du gouvernement et ses priorités. Il y a  donc une hiérarchie gouvernementale logiquement déterminée par l’importance des portefeuilles qui confèrent à chaque ministre un poids. D’où l’expression « les poids lourds du gouvernement ». Par exemple en raison de l’importance des problèmes de l’immigration et de la sécurité en France pendant ces deux dernières décennies, le ministre de l’intérieur est considéré comme le numero 3 des gouvernements français qui se sont succédés dernièrement. Et c’est en tenant compte des résultats obtenus par Manuel Valls  qu’il a été nommé premier ministre. La promotion à l’intérieur du gouvernement constitue donc un facteur de motivation et de performance des ministres. Avant d’évaluer les ministres le gouvernement devrait donc offrir aux citoyens une certaine lisibilité de sa politique générale et de ses priorités. Dans le cas guinéen en raison de l’épidémie d’Ebola, le ministère de la santé devient le plus important. Comment peut-on ’évaluer alors le ministre de la santé actuellement au  même titre que ses homologues de l’enseignement secondaires et supérieurs, dans la mesure où les écoles et les universités sont toujours fermées en raison de l’épidémie. Dans un contexte d’épidémie d’Ebola sur fonds de crise économique et sociale, en raison de quels résultats certains ministres ont-ils  été qualifiés d’excellents ? A notre avis on ne peut pas faire le classement des ministres et de demander implicitement aux populations, en le publiant, de l’accepter comme tel, sans le justifier en présentant les résultats de manière détaillée.  Si l’évaluation est faite dans un esprit de transparence, il fallait y aller alors jusqu’au bout.
Même si les media guinéens ne disposent pas de suffisamment de données quantitatives fiables et d’instruments d’analyses sophistiqués et précis, comme dans les pays développés, pour faire des sondages, tous les observateurs de la vie politique en Guinée peuvent constater aisément les performances des ministres. Par exemple en tant que citoyen guinéen et observateur de la vie politique en Guinée, dans ce contexte d’épidémie, je constate qu’il a fallu une intense activité diplomatique pour mettre la Guinée a l’abri de la marginalisation et d’isolement en maintenant les vols aériens tout en poursuivant la coopération. Certes les carnets d’adresse du président ont contribué à ce succès diplomatique qui s’est traduit par exemple par la visite du président français  Mr François Hollande en Guinée. Mais il ne saurait être indépendant de l’expérience et de la compétence du ministre des affaires étrangère, Mr François Fall.
A la limite l’assemblée nationale qui accueille et écoute tous les ministres tout en leur posant des questions est encore mieux placée que la primature et  la présidence pour évaluer les ministres, dans un esprit de séparation des pouvoirs, cher à Montesquieu, où l'exécutif demande d’être tempéré, contrôlé et arrêté par les pouvoirs législatifs et judiciaires. D’autant plus que, parmi les députés, il y a des technocrates, des hauts cadres de l’administration guinéenne et des anciens ministres qui ont de l’expertise et de l’expérience pour ce genre d’exercice.


Les Effets Pervers de la publication des résultats de l’évaluation
Les effets pervers sont les   résultats non souhaités et  non désirés, voire les conséquences néfastes d’une action,  auxquelles on ne s’attendait pas en agissant.  Ces effets étant omniprésents au sein des organisations administratives, pour reprendre Michel Crozier, une telle évaluation qui est certainement partie d’un bon sentiment, pourrait créer d’autres problèmes au gouvernement. En publiant ce classement certains ministres peuvent se sentir frustrés et injustement appréciés, comme le secrétaire général du ministère de l’éducation l’a d’ailleurs manifesté. En classant les ministres en trois catégories, cela  pourrait contribuer à entretenir une division au sein du gouvernement et porter atteinte à la solidarité gouvernementale dont on n’a  jamais eu tant  besoin comme maintenant  dans un contexte de lutte contre l’épidémie d’Ebola.
Afin de chercher à se classer très bien et de garder leurs postes certains ministres tenteront naturellement d’occulter les faiblesses de leurs ministères en soulignant plutôt leurs performances au point de falsifier leurs résultats. Dans ce cas au lieu de faire la lumière sur les efforts et les acquis des ministères, la dite évaluation contribuerait à cacher les faiblesses des ministres. Elle pourrait être instrumentalisée également par certains ministres qui maitrisent mieux la communication pour faire leur propre publicité personnelle afin de favoriser leur ascension et maintien au sommet de l’État.