samedi 4 novembre 2017

Qui était Aboubacar Somparé? L'homme et le politique



La plupart des Guinéens connaissent l’honorable Aboubacar Somparé en tant que leader du PUP et ancien président de l’Assemblée Nationale, qui aurait pu devenir président après le décès du Général Lansana Conté. Le coup d’état dont il a été victime a malheureusement caricaturé son brillant parcours de grand commis de l’Etat, qui a rendu service à son Pays en occupant des postes importants dans les différents paliers de l’administration guinéenne.  En exerçant ses fonctions avec beaucoup de patriotisme, il a rendu ainsi service à son Pays. Aboubacar Somparé a été d’abord un brillant élève et étudiant, toujours majeur de sa promotion, comme l’a rappelé ces jours-ci   son condisciple et ami d’enfance, l’ex premier ministre Sidya Touré.
Né en 1944, dans le village de Dakonta, à Boké, il est le fils d’Amara Somparé et de Aissata Bayo et  le petit-fils d’un chef de canton, Almamy Yayo Somparé.    L’ancien président de l’assemblée a été engagé dans un processus de promotion sociale à travers sa scolarisation par son oncle paternel et homonyme, Abou Yayo  Somparé. C’est de cet oncle enseignant qu’Aboubacar Somparé a hérité son comportement d’enseignant éducateur en tant que symbole de la réussite scolaire dans la famille. A l’école, Aboubacar se révèle rapidement doué et brillant dans les études en devenant toujours premier de sa classe ou promotion, depuis l’école primaire jusqu’à l’obtention de son diplôme d’études supérieures en Maths-physique à l’université Gamal Abdel Nasser en 1 969. D’ailleurs c’est sur injonction de l’oncle, qui était déjà proche de la retraite, qu’il renonça à sa bourse d’études de troisième cycle à l’étranger, pour rester en Guinée et accomplir sa mission d’éducateur. 
  Son mariage, trois  ans plus tard, avec Astou Ka, Sénégalaise d’origine peule, obéissait à la même contrainte de responsabilité, comme il disait  souvent lorsqu’il exhortait ses frères à se marier tôt : «Moi je me suis marié très tôt parce que je devais m’occuper d’abord de mes frères et sœurs, j’avais des responsabilités à assumer  ». Effectivement, dès son affectation à son premier poste d’inspecteur et professeur de maths – physique à Labé,   le nouveau fonctionnaire  a assuré  le suivi scolaire de ses frères et ses sœurs nés dans les  années ‘50 jusqu’aux  plus jeunes de la génération ’70.  Aboubacar Somparé  semble donc  achever la mission d’éducateur et protecteur  de son oncle, qui fut l’un des premiers instituteurs de la Guinée .  En plus de  ses enfants, tous les jeunes membres de la famille  Somparé qui ont vécu chez lui ont fait des études supérieures.
  Le tempérament du premier, à l’école et dans la vie, l’a animé pour gravir tous les échelons de l’administration jusqu’au sommet de l’Etat.   En tant que grand commis de l’Etat, il a assumé de très hautes fonctions stratégiques. A une époque où l’on orientait les meilleurs étudiants vers l’enseignement, il a été très tôt affecté comme inspecteur de l’académie à Labé, en 1970.  Vers la moitié des années 1970, il occupa successivement la fonction d’inspecteur académique de l’éducation de Conakry 2 et de directeur de la RTG ( Radio Télévision Guinéenne). Ce poste le rapprocha de son mentor, le premier Président Ahmed Sékou Touré, qui découvrit la belle plume de ce jeune fonctionnaire très cultivé. Ils partageaient ainsi des séances de rédaction dans le cadre de la communication politique du leader nationaliste, dont les discours devaient être diffusés à la radio et à la télévision .  Convaincu de l’intelligence et de l’intégrité d’Aboubacar Somparé, le Président Sékou Touré l’affecta en France en tant qu’ambassadeur, à peine âgé de 36 ans, en 1978. En France, sa mission était de contribuer à la réconciliation avec l’ancien Pays colonisateur. Il accomplit cette mission avec un succès matérialisé par la visite du Président Valéry Giscard d’Estaing en France, à la fin des années ‘7o, et celle de son homologue guinéen Ahmed Sékou Touré en 1982, à Paris. Aboubacar Somparé a été donc l’un des principaux artisans de cette réconciliation. Comme le témoigne Djibril Kassomba, un intellectuel guinéen de la diaspora dans son ouvrage, Aboubacar Somparé avait contribué à rapprocher plusieurs guinéens vivant à l’étranger de leur famille restée en Guinée, tout en contribuant au retour de certains d’entre eux.
En 1984, suite au décès du Président Ahmed Sékou Touré et à la prise de pouvoir par les militaires, la situation était incertaine. Le diplomate guinéen a eu le courage de rentrer en Guinée, en se mettant encore au service de son Pays et en acceptant, dans un premier temps, les fonctions moins importantes. C’est ainsi qu’il a été d’abord nommé conseiller du Ministre de la Fonction publique, à l’époque Capitaine Mamadou Baldé du CMRN ; ensuite il est devenu  administrateur du Palais des Nations. Cette nouvelle nomination le rapprocha aussi  du nouveau Président, le Général Lansana Conté, auquel il preta également sa plume.  Vers la fin des années 1980, suite à la chute du mur de Berlin, dans un contexte de multipartisme et de révolte des étudiants partout en Afrique subsaharienne, Aboubacar Somparé a été affecté à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry comme recteur. Etant considéré en Guinée comme un modèle de réussite scolaire par beaucoup de jeunes, il a pu utiliser son charisme pour obtenir l’adhésion des étudiants, tout en contribuant à l’amélioration de leurs conditions de vie dans les campus. A l’Université de Conakry, il a su se montrer très accessible envers les leaders étudiants, tout en favorisant le retour des intellectuels de la diaspora au sein de cette institution. Il a ainsi fait preuve d’ouverture d’esprit, comme l’a témoigné l’un des plus grands  historiens guinéens Lanciné Kaba. Il favorisa également le retour et l’insertion professionnelle au sein de l’institution universitaire de plusieurs cadres guinéens issus de la diaspora, notamment le  Professeur Salifou Sylla.
 En 1990, dans un contexte de réforme et de transition de l’enseignement secondaire, il a été affecté comme le premier coordinateur du PASE (Programme Sectoriel de l’Education) pour épauler Madame Aicha Bah, Ministre de l’Enseignement et fonctionnaire internationale de l’UNESCO.  Il a sillonné avec elle plusieurs écoles de Guinée, en mettant son expérience encore une fois à la disposition de son Pays. Suite à l’adhésion de la Guinée au multipartisme, Aboubacar Somparé a été nommé Secrétaire général au Ministère de l’Intérieur et de la décentralisation, où il a contribué à organiser, avec les Ministres Sow et Alhassane Condé, la première élection communale de Guinée en 1991. Mais, à la veille des premières élections présidentielles, ce n’est pas une place de Ministre ou de Vice-Ministre qui l’intéressait. Il avait des idées et une ambition politique qu’il matérialisa en créant son parti avec des intellectuels tels que son ami, Mamadi Diawara.  En renonçant au poste de Secrétaire général du Ministère de l’intérieur pour se lancer dans l’arène politique, il intégra la coalition des Partis fédérés, créée par le Général Président Lansana Conté. Au PUP, en s’imposant comme leader charismatique, il finit par se positionner comme un successeur potentiel du président vieillissant. L’objectif de Somparé n’était pas d’occuper un poste ministériel pour se remplir les poches. D’ailleurs, après la mutinerie de 1996, il profitera de ses rares moments d’influence sur le Président pour favoriser la nomination de certains jeunes cadres à des postes ministériels, indépendamment de leur appartenance ethnique.  En poursuivant patiemment son objectif politique, Aboubacar Somparé finira par devenir Président de l’Assemblée Nationale, malgré la volonté du Président Lansana Conté et grâce au soutien de la base du parti, notamment des femmes du PUP.  D’où les conflits latents, alimentés par certains cadres du PUP, qui ont miné les relations entre les deux hommes politiques, jusqu’à la disparition du Général Conté en décembre 2008. A partir de cette date Aboubacar Somparé, le principal perdant du coup d’état de Dadis Camara, a subi un isolement politique.
Cependant,  Somparé apparaissait dans l’arène politique guinéenne comme un rassembleur dans un contexte de  bipolarisation et de surcommunautarisation  de la vie politique, marquée par l’ethnocentrisme. C’est pourquoi il n’a jamais rompu le dialogue avec des leaders tels que Jean Marie Dore, Bah Oury, Kory Koundiano etc. Ils discutaient chaleureusement, de manière très détendue, avec beaucoup d’humour. Il acceptait d’être traité en petit frère par l’actuel Président, puisqu’ils étaient tous les deux natifs de Kakandé et que leurs parents se connaissaient.  D’ailleurs, ces cérémonies de funérailles, qui réunissent toutes les grandes personnalités politiques de ce Pays, au premier rang desquelles se trouvent le Président Alpha Condé,  Sidya Touré, Hadja Saran Daraba, Cellou Dalein, Fodé Bangoura et Monsieur Makanera, Youssouf Kiridi Bangoura, témoignent bien de sa carrure d’homme d’Etat au-dessus des clivages politiques et ethniques.
Sur  le plan politique, certains pourraient lui    reprocher   d’avoir  parfois  manqué du  courage politique nécessaire pour se démarquer davantage de  Lansana Conté, dans la mesure où il y avait beaucoup de divergence de points de vue et de conflits latents entre les deux hommes politiques.  Ces critiques concernent surtout le refus, de la part de Somparé, de déclarer la vacance de pouvoir au moment où Conté était très vieux et malade, pour accéder à la présidence de la République. Il serait très long d’analyser ici la raison de cette réticence de Somparé à prendre le pouvoir, mais nous pouvons juste évoquer, ici, qu’il a été prisonnier d’un pacte moral avec l’ancien président, selon lequel, malgré leurs désaccords profonds, il lui devait une grande fidélité et loyauté. La rupture de ce pacte aurait constitué une trahison pour cet homme profondément croyant et imprégné des valeurs traditionnelles africaines, selon lesquelles le bien sera toujours remboursé en bien et le mal en mal.  De plus, la très grande croyance de Somparé  dans le destin, sa conviction qu’il serait président un jour par la grâce de Dieu,  l’a également empêché de mettre en place une véritable  stratégie de conquête du pouvoir. Il n’a pas su tisser ainsi autour de lui des réseaux de cadres et d’hommes d’affaires susceptibles de financer sa campagne, en sollicitant par exemple le soutien de nombreux hauts cadres guinéens dont il a favorisé l’émergence. Cela était très perceptible pendant l’élection de 2010, car il manquait cruellement de moyens financiers contrairement aux autres candidats, et de soutiens de poids des personnalités importantes à l’échelle nationale et internationale.   
 Comme Somparé était très croyant, voire fataliste et pacifiste, il n’a pas cherché non plus à avoir  ses hommes dans l’armée. Il savait que la destitution du Président, avec la déclaration de la vacance de pouvoir, comporterait    des risques en termes de pertes de vies humaines et d’instabilité politique sources d’insécurité dans le pays. La nature hybride du régime de Conté, à la fois civil et surtout militaire ne favorisait pas la réalisation d’un tel projet à un moment où le général président avait le soutien de l’armée malgré son impopularité au sein de la population civile.
Si, jusqu’ici, j’ai retracé le parcours de l’homme public, que beaucoup de gens connaissent déjà,  je voudrais maintenant parler de l’homme que je connais très bien, car il a été non seulement mon grand frère, mais aussi mon tuteur, chez  lequel j’ai grandi. Aboubacar était un pilier de la famille Somparé et un garant de son unité. Accessible à tout le monde, accueillant et aimable, sa cour était toujours ouverte aux plus puissants et aux plus modestes ; il savait adapter son discours et ses sujets de conversation au niveau et aux intérêts des uns et des autres. Il avait un attachement particulier pour son village natal, Dakonta, et pour la région de Boké, si bien que sa maison était un point de chute pour beaucoup de ressortissants de cette région, pour des parents venus se soigner ou chercher du travail, pour des élèves et des étudiants désireux de poursuivre leur éducation à Conakry. Il avait une sensibilité particulière pour les problèmes des femmes les plus fragiles de sa famille : ses sœurs, tantes et cousines ont souvent bénéficié de son aide et de son écoute. Jamais hautain, toujours attentif à tous les problèmes sociaux, généreux et rassembleur, il était d’une gentillesse rare et ses actions étaient inspirés par un profond sens de responsabilité vis-à-vis de sa famille.
C’était aussi un homme de culture, qui chérissait le savoir et la connaissance et qui savait, dans ce domaine aussi, rassembler ce qui, à première vue, peut paraitre opposé. Ainsi, sa parfaite maitrise de la langue française, qui lui permettait de rédiger des dizaines de pages sans aucune faute, sa connaissance des cultures et des civilisations européennes allait de pair avec un profond intérêt pour la tradition et l’histoire africaine. Il était à la fois un scientifique, diplômé de Mathématiques et enseignant de physique, et un littéraire profondément cultivé, qui aimait l’histoire et la littérature. Quelques jours avant sa mort, j’étais assis à son chevet, en train de l’écouter parler de la résistance de Samory Touré à la colonisation française. Son épouse Astou Ka, intellectuelle et cultivée, qui participait à ses discussions savantes et à son amour pour la connaissance, m’a exhorté à cette occasion à venir le voir plus souvent, pour écrire les histoires qu’il aimait raconter. Avec lui, je mettais de côté mon titre de docteur, tellement je me plaisais à écouter l’ancien enseignant, toujours désireux de partager son savoir.  Si notre relation a débuté autour des études, lorsqu’il m’encourageait à travailler en classe et qu’il me reprochait d’aimer trop le football au détriment des livres, c’est avec l’une de nos discussions intellectuelles qu’elle s’est terminée. Maintenant qu’il n’est plus là, il revient aux membres de sa famille et à tous les guinéens de maintenir vivant son héritage moral et intellectuel.
Dr Abdoulaye Wotem Somparé, sociologue

vendredi 22 septembre 2017

Kolaboui dans le cercle vicieux des émeutes de Boké



Décidément nous nous sommes retrouvés dans un cercle  vicieux de violences à Boké, depuis deux semaines, qui est entretenu par la gestion de l’amateurisme politicien de nos dirigeants et la culture de violence des jeunes qui sont très mal organisés. En tant qu’enseignant et originaire du village de Kolaboui, nous déplorons le caractère violent et anarchique  de la révolte des jeunes, qui ont détruit la gendarmerie, la police et se sont attaqué à la résidence du sous-préfet et du sous-préfet adjoint.  Même si nous sommes sociologues, notre propos, n’est pas d’expliquer, à tout prix, l’’inexplicable au point d’excuser l’inexcusable.
Nous avons été les premiers à montrer les impacts négatifs des implantations industrielles dans la sous-préfecture de Kolaboui, sur le plan économique, social et sanitaire. Cela dit, rien ne justifie de tels actes de violence et de vandalisme, dans une localité très cosmopolite, où les populations autochtones landouma, soussou et baga ont toujours vécu en harmonie avec leurs voisins diakhanké, peul et mikhiforè, qu’ils ont accueilli sur leurs terres et sont même devenus des parents à travers le brassage ethnique.  Ce chef-lieu de la préfecture, carrefour de la région, très riche en ressources agricoles et minières, ressemble désormais à une petite ville, mais qui n’a aucune infrastructure urbaine. Par exemple, il n’y a pas de route bitumée, au-delà de la route nationale reliant Boké à Kamsar et Conakry, pas d’adduction d’eau potable et ce sont les populations même qui s’organisent pour s’abonner à une entreprise qui leur fournit de l’électricité.  De plus, les infrastructures scolaires sont largement insuffisantes. Comme nous l’avons déjà expliqué dans un précédent article, l’unique complexe scolaire est surpeuplé, avec des effectifs pléthoriques entassés dans les classes et des enseignants débordés. Paradoxalement, après les premières émeutes, les autorités, qui ont toujours des solutions réactive, ont ignoré tous ces problèmes pour aller amadouer les jeunes de Boké ou de Kamsar, où il y a eu plus de révoltes.  Pourtant,Kolaboui est la sous-préfecture la plus directement touchée par les nouvelles exploitations minières. A Kolaboui centre,  où nous avons compté plus de deux-cent départs clandestins des jeunes candidats vers la Lybie, la migration témoigne du désespoir et du manque de perspectives de cette jeunesse. Dans les classes du lycée, plus de 80% des jeunes rêvent de suivre l’exemple de ceux qui partent . Les seuls à avoir profité de cette manne minière sont les rares jeunes hommes embauchés comme conducteurs de machines lourdes et de camions. Cela est dû  au manque d’intégration des entreprises dans l’économie locale, en l’absence de la transformation de la bauxite en alumine et en aluminium sur place. Nous assistons plutôt à une exploitation sauvage de la bauxite, chargés dans les bateaux en direction de la Chine sans qu’il n’y ait même pas un vrai port. De plus,  le manque de transparence et le népotisme rendent les processus d’embauche arbitraires et peu transparents, sources de frustrations des jeunes, comme nous l’avons souvent entendu. Comme le disait un jeune chauffeur au carrefour de la gare routière de Boké : « Allez-y là-bas, c’est le lieu de regroupement des travailleurs des entreprises minière. Tu ne verras pratiquement aucun natif de Kolaboui parmi eux ».   De telles réalités, qui entrainent des frustrations, créent forcément des groupes d’intérêt latents, dont les actions collectives se caractérisent le plus souvent par la violence et l’anarchie, s’ils n’agissent pas de manière concertée avec un projet de société. C’est ce qui manque à ces jeunes de Boké, qui ne pensent se faire entendre que par la violence, en détruisant leur bien collectif ; en s’attaquant au commissariat et à la gendarmerie ils exposent toute une ville à l’insécurité. Si les revendications des jeunes de Kolaboui, à l’instar des autres jeunes, sont légitimes quant au contenu,  elles perdent leur légitimité parce qu’elles adoptent une forme inacceptable : celle de la violence. Du coup, cette violence efface même le contenu de la revendication.  De telles violences, cependant, sont entretenues par les autorités, qui doivent comprendre que, dans un mouvement collectif, il y a plusieurs intérêts en jeu : à côté des  jeunes engagés pour le développement de leur localité, il y en a d’autres qui ne posent que des actes de vandalisme. Ces émeutes sont donc d’une maladresse et d’une violence qui n’ont d’égal que l’amateurisme politicien et le cynisme des dirigeants politiques, qui ne font que de tenter de calmer la situation. Sinon, comment peut-on comprendre que, après dix jours d’émeutes, ce soit le directeur des Impôts qui se retrouve là-bas en position de médiateur, dans une République où il  y a un Ministère chargé de la jeunesse, et un autre qui doit s’occuper de la sécurité ? Le directeur a certes quelques possibilités de négocier avec les entreprises minières et surtout la CBG  en faveur de la population , mais les entreprises minières doivent simplement s’acquitter de leurs impôts, qui doivent être utilisées pour le développement local. C’est cette gestion catastrophique, en raison de l’amateurisme et de l’incompétence de quelques dirigeants et de la mauvaise foi des entreprises, qui contribue à envenimer les émeutes de Boké.  

vendredi 15 septembre 2017

Les émeutes de Boké: de l'amateurisme politicien aux solutions durables





Il y a 5 mois, nous avons assisté, à Boké, à des émeutes très violentes, au cours desquelles les jeunes avaient exprimé leur colère contre le gouvernement, les autorités préfectorales et les entreprises minières chinoises qui venaient de s’implanter dans la région. Cette semaine, nous observons encore des manifestations très violentes des populations des quartiers périphériques de la ville minière de Kamsar, puis celles de Boké. Ce qui est frappant, les manifestants des deux plus grandes agglomérations urbaines, situées à 55km l’une de l’autre, ont fait exactement la même revendication en réclamant de l’électricité, qui apparait comme le gros arbre qui cache une forêt de problèmes auxquels les habitants de Boké sont confrontés. L’électricité n’est que la cause immédiate et apparente de leurs révoltes.  Cela montre que les populations de Kakande sont de plus en plus conscientes de partager les mêmes conditions de vie qui leur confèrent désormais une forte identité.  Or la sociologie montre que les actions collectives menées par des individus qui partagent une forte identité sont très difficiles à affaiblir.  Comme nous avons déjà souligné dans un précédent article, les mouvements sociaux auxquels les populations adhèrent pendant très longtemps ont des causes profondes, sur lesquelles les dirigeants doivent se pencher pour trouver une solution durable. Le gouvernement ne saurait résoudre une crise sociale si sérieuse sans établir un dialogue franc et sincère avec les populations, en les écoutant suffisamment avant de prendre des engagements dans la mesure de ses possibilités. Or, les autorités étatiques n’ont cherché qu’à trouver, jusqu’à présent, des solutions réactives de bricolage avec beaucoup d’amateurisme. Pour calmer les jeunes de Boké, le président s’était contenté d’offrir 70 camions à la jeunesse de cette localité. Ensuite, depuis quelques mois, les sociétés minières chinoises, au premier rang desquelles se trouve la SMB (Société Minière de Boké), offrent des dons tout en procédant à des dédommagements aux populations riveraines de ses zones d’implantation. Par exemple, à l’occasion de la fête de Tabasky elles ont offert des moutons et du riz dans certaines localités de la région. Mais il s’agit là d’actions très dérisoires, pour ne pas dire ridicules, par rapport à l’ampleur des impacts négatifs de l’exploitation minière. Parmi ceux-ci, on peut citer la dégradation de l’environnement, la privation des populations de leurs terres destinées à l’agriculture, l’inflation des prix des denrées de première nécessité, l’insécurité et le surpeuplement des écoles, insuffisantes pour répondre à la demande scolaire d’une population qui a énormément augmenté suite à l’arrivée des ouvriers. De plus, ces implantations minières ont suscité beaucoup d’espoirs chez les populations, qui étaient convaincues que les nouvelles entreprises allaient contribuer à la création de plusieurs emplois et au développement local de la région. Or, toutes ces attentes n’ont pas été satisfaites pour plusieurs raisons que nous allons détailler.
Tout d’abord, les implantations et les exploitations minières n’ont pas été précédées de sérieuses études d’impact- socio-économiques, ou elles n’ont pas respecté les recommandations des experts socio- anthropologues et des spécialistes de l’environnement. Les populations riveraines n’ont pas été suffisamment informées et préparées à une implantation d’une telle ampleur, à ses inconvénients et ses avantages sur le plan économique et social. Tous les habitants des localités et les originaires de la région de Boké que j’ai rencontré sont dépassés par la rapidité, voire la brutalité et le manque de transparence avec lesquels les entreprises ont commencé l’exploitation minière. Ils sont aussi désagréablement surpris de l’ampleur et de l’intensité des exploitations, qui peuvent être mesurées par le nombre important des camions qui circulent et stationnent dans la région, en encombrant et en dégradant les routes et en exposant la population aux accidents.  
De surcroit, ces entreprises ne créent pas suffisamment d’emploi, parce que nous n’assistons pas à une localisation de la production, c’est-à-dire à une transformation de la bauxite en alumine, puis en aluminium sur place. Même CBG, qui embauchait dans le passé jusqu’à 4000 salariés, n’a pas pu procéder à une telle transformation : elle ne fait qu’extraire la bauxite, la sécher et la transporter à l’état brut dans les bateaux. Cependant, elle a créé un minimum d’infrastructures, notamment toute la Cité de Kamsar, une enclave moderne, avec l’eau et l’électricité, des routes, un hôpital et une école. Or, les nouvelles sociétés chinoises n’ont même pas bitumé les routes et construit des ports. La bauxite est transportée à l’aide des barques dans les bateaux et les camions qui la transportent soulèvent beaucoup de poussière qui dégrade l’environnement et la santé des riverains. Donc, cette installation minière ne contribue pas au développement local de la région, mais plutôt à la dégradation de la qualité de vie des populations. Nous assistons à un déséquilibre entre l’exploitation abusive d’une région très riche en ressources naturelles et l’extrême pauvreté des populations.  C’est ce qui constitue vraiment la cause profonde des révoltes des populations, qui se sentent pillées et sous-estimées. Après les premières émeutes de Boké, le gouvernement a opté pour une approche plus communautaire et politique, qui consistait à transformer ce problème en ressource politique pour le Président et à amadouer les populations. Les entreprises minières ont été encouragées à offrir des dons aux communautés locales, qui n’ont été, finalement, que des calmants qui n’ont pas endormi les populations pendant longtemps. D’ailleurs, les émeutes en cours n’ont fait que montrer les limites, voire les effets pervers d’une telle approche, que j’ai déjà critiqué dans ma première étude sur le secteur minier, il y a plus de dix ans .  D’ailleurs, l’approche communautaire, comme nous l’avons vu en haute Guinée et en Guinée forestière,  crée plus de problèmes qu’elle ne résout, dans la mesure où elle fait croire aux ressortissants des localités d’implantation qu’ils seront les premiers bénéficiaires de l’emploi. Les ressources naturelles de la Guinée appartiennent à tous les Guinéens mais, lorsque leur exploitation est bien intégrée dans les économies locales, les populations riveraines seront naturellement les premiers et les principaux bénéficiaires. Cela dépendra donc de leur capacité d’appropriation à travers les initiatives locales. C’est pourquoi, au lieu de distribuer des dons, il faut plutôt contribuer au renforcement des capacités des populations locales, à travers des formations.
 Finalement, cette crise est révélatrice des défaillances de la démocratisation de notre pays, dans la mesure où la démocratie ne se limite pas à l’organisation des élections. Elle doit se traduire dans les consultations des élus du peuple, au niveau national et régional, de la sociétés civiles, des universitaires qui détiennent l’expertise sur ces questions. Elle doit s’appuyer sur une communication politique transparente, visant à rendre compte aux populations des actions des autorités, mais aussi à écouter les demandes, les revendications et les inquiétudes des populations à travers leurs représentants. Bref, il faut un cadre de transparence et de dialogue pour nous mettre à l’abri de la violence et permettre une meilleure mise en valeur de nos ressources.
Dr Abdoulaye Wotem Somparé
awsompare@gmail.com
Sociologue du travail et spécialiste du secteur minier guinéen.