mardi 25 novembre 2014

La solidarité africaine à l'épreuve de l'épidémie d'Ebola


 

Après avoir souligné la responsabilité de la Guinée dans la persistance de l’épidémie d’Ebola dans les trois Pays les plus touchés, dans un article publié   dans le lynx du 24 septembre, nous allons essayer de souligner maintenant celle de l’Afrique et plus précisément de la CEDEAO et l’Union Africaine. L’Afrique a toujours eu la réputation d’être la terre de solidarité que l’on oppose souvent, à tort ou à raison, à l’individualisme qui existe dans les sociétés occidentales et industrialisées.  C’est pourquoi, actuellement, plusieurs observateurs de la vie sociale et politique en Afrique sont désagréablement surpris de voir la majeure partie des Pays africains peu solidaires envers la Sierra Leone, le Libéria et la Guinée, confrontés à la pire épidémie d’Ebola de toute l’histoire, qui a déjà tué plus de 5000 personnes, avec près de 10.000 cas de contaminations.  Ils sont étonnés de voir les Pays limitrophes fermer brutalement leurs frontières et des attitudes d’inhospitalité voire  d’hostilité que les gouvernements et les  populations  des Pays non touchés ont manifesté. Cette attitude a atteint son point d’orgue,  lorsque des jeunes sénégalais se sont réunis pour aller tuer le jeune guinéen malade d’Ebola qui avait franchi illégalement la frontière pour aller se soigner au Sénégal. Dans cet article,  nous allons donc questionner les attitudes des Pays membres de la CEDEAO par rapport à cette épidémie, révélatrice de l’effritement des liens de solidarité dans le continent. Nous allons aussi  essayer de démontrer de quelle manière la solidarité entre les Pays africains pourrait permettre une éradication plus rapide de l’épidémie.

 

 Sur le plan international, après l’échec des tentatives des leaders panafricains tel que Kwame Nkrouma, de créer une seule nation Africaine unie, les pays africains issus des indépendances ont créé finalement des institutions formelles telles que l’OUA (Organisation de l’Unité  Africaine), devenue plus tard, par mimétisme occidental,  l’actuelle l’Union Africaine, et des organisations sous-régionales au niveau de chaque région. (Par exemple la CEDEAO en Afrique occidentale). Ces organisations, censées jouer le rôle de consolider la solidarité entre les Etats, en réalisant des projets socio-économiques d’intérêt sous régional ou  africain, tout en maintenant la paix dans le continent,  ne sont jamais parvenues à atteindre entièrement  leurs objectifs.  Malgré la fréquence des rencontres internationales très coûteuses  réunissant les Etats membres sur le dos des contribuables des différents pays concernés, nous attendons toujours en vain les résultats escomptés. La création de  l’Etat panafricain composé de pays solidaires et unis s’est toujours heurtée aux   égoïsmes nationaux,  à l’égocentrisme et aux querelles de leaderships des présidents africains et  au néocolonialisme des anciens pays colonisateurs.

   Cette épidémie d’Ebola est révélatrice du manque de volonté et de l’incapacité des organisations panafricaines à jouer leur rôle. Sinon, comment peut-on expliquer que le Maroc, qui n’est ni membre de l’Union Africaine ni de la CEDEAO, ait été plus solidaire que les Pays membres de ces institutions,  en maintenant ses vols tout en intensifiant sa coopération  avec les pays  touchés par l’épidémie ? Cela doit nous amener aujourd’hui à nous interroger sur la raison d’être même de ces institutions, dont les budgets de fonctionnement sont très coûteux pour le pauvre contribuable africain.

 

 

La nécessité d’une prise  de conscience de la dimension transnationale de l’épidémie 

 

Lorsqu’un être humain est confronté et exposé à une maladie si contagieuse et dangereuse qui menace sa vie, il réagit naturellement «  par instinct de conservation », pour rependre Thomas Hobbs dans sa philosophie morale et politique, en pensant à se protéger d’abord avant les autres. Telle a été la première  réaction   des gouvernements des pays limitrophes des Pays touchés  qui, à l’exception du Mali,  ont fermé instinctivement et brutalement leurs frontières avant de réfléchir profondément sur les conséquences néfastes d’une telle décision dans les pays contaminés et  sur son efficacité dans la protection  de leurs propres populations.  En même temps, le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont apporté une aide à travers l’envoi d’un certains nombre de médecins dans les Pays touchés. Cette décision, comprise et saluée par certains et critiquée par  beaucoup d’autres, est l’une des réponses possibles à une question fondamentale : comment peut-on être solidaires des pays contaminés sans pour autant exposer sa propre population  à l’épidémie ? Je pense que pour répondre à une telle question, il est nécessaire de considérer que   la décision de fermer les frontières n’a pas de fondement historique et anthropologique. Elle ne tient pas compte de l’existence des espaces économiques et politiques qui ont toujours existé en Afrique, bien avant la colonisation.  Bien des  historiens et anthropologues ont déjà montré cette réalité, notamment Elikia M’Bokolo, Jean-Loup Amselle et l’historien sénégalais d’origine guinéenne Boubacar Barry. Ces espaces internationaux africains, qui ont survécu aux  conjonctures historiques telles que  la colonisation et les indépendances, ont toujours été des lieux   d’échange des biens, de rencontre et de brassage des populations africaines. Ils sont matérialisés, par exemple par l’existence des marchés hebdomadaires internationaux dans ces zones frontalières, comme celui de Gueckedougou en Guinée forestière. Ils continuent d’exister  malgré la diversité des orientations ou les divergences, voire les conflits, entre les dirigeants. Ces échanges  ont largement contribué à la survie des populations africaines fragilisées et confrontées aux crises économiques,  à travers des activités économiques informelles qui échappent le plus souvent au contrôle des gouvernements.

Il est utile de se rappeler aussi que les frontières  héritées de la colonisation ont un caractère fictif et que leur création a interrompu le processus de constitution des Etats-Nations en Afrique.   Les Pays de l’Afrique de l’Ouest appartiennent à un grand ensemble ayant des caractéristiques culturelles, économiques, sociales et politiques communes, cimentées par des liens socio-historiques. La difficulté à maitriser l’épidémie s’explique, d’abord par le fait qu’elle a été, dès le départ, très mal appréhendée  en le considérant  seulement dans sa dimension nationale, comme un problème de santé publique d’abord de la Guinée, puis de la Sierra Léone et du Libéria. Cette épidémie doit être appréhendée dans sa dimension transnationale car, comme l’a souligné récemment la présidente du Libéria Sirleaf, tant qu’un seul Pays est touché, toute la sous-région ne sera pas à l’abri de l’épidémie. La fièvre hémorragique d’ Ebola doit être considérée avant tout comme une épidémie des zones forestières de l’Afrique occidentale, sans pour autant stigmatiser les habitants de la forêt.  On doit être conscients que ce virus traverse constamment les frontières poreuses de ces Etats où les échanges de populations et de marchandises sont très intenses. Or, cette conscience d’appartenir à un même espace culturel et géographique, cette solidarité et cette vision stratégique ont  manqué à beaucoup de dirigeants. L’exemple le plus frappant est celui du président nigérian Goodluck Jonathan regrettant le premier cas d’Ebola dans son Pays : « Jusqu’à présent nous étions à l’abri de cette épidémie, si ce forcené n’avait pas quitté son Pays pour venir ici, alors qu’il se savait contaminé ». Le même manque de vision globale  transfrontalière et stratégique de l’épidémie empêche toujours les trois pays les plus touchés de mettre en place ensemble une stratégie concertée et coordonnée en renforçant davantage les contrôles dans les frontières. Les trois Pays devraient se concerter pour prendre ensemble des mesures contre l’épidémie, alors que les stratégies ont été différentes : par exemple le Libéria a proclamé l’état d’urgence, la Sierra Léone trois journées de confinement de la population, mais la Guinée n’a adopté aucune de ces mesures.

 

Sur le plan international en termes d’image et de  réputation  de l’Afrique et des Africains dans le monde, la fermeture des frontières n’a pas été réaliste et efficace, parce que les autorités politiques qui se sont désolidarisées des Pays touchés n’ont pas tenu compte du fait que la stigmatisation d’un ou deux Pays rejaillit sur tout le continent africain. Tel est l’exemple frappant de l’Ouganda. Dans le cadre de la compétition internationale de football, en se protégeant de l’épidémie, les autorités ougandaises ont mis presqu’en  quarantaine les footballeurs guinéens tout en réduisant au minimum les membres de la délégation qui accompagnait les joueurs. Ces derniers ont été isolés au point de les loger dans de très mauvaises conditions dans un hôtel miteux, afin de mettre selon eux leur population à l’abri de l’épidémie. Comme ironie du sort, une élève ougandaise vient de subir en Italie, le 23 octobre dernier, le même genre de marginalisation et d’ostracisme lorsque les parents d’élèves d’une école ont décidé de retirer leurs enfants car la petite venait tout juste de rentrer d’un voyage en Ouganda. Cela montre que, dans un contexte où on ne fait pas une très grande distinction entre les Pays africains et leurs populations, toute personne en provenance d’Afrique peut être considérée comme une menace de santé publique.

 

 

 

La nécessité d’une surveillance et d’une stratégie concertée : vers une solidarité réaliste et objective

 

La prise de conscience de la dimension transnationale de l’épidémie devrait amener tout naturellement à une attitude de solidarité réaliste, dictée, avant tout,  par la défense de ses propres intérêts. Il est évident que si les Pays de la sous-région  s’activent pour aider les Pays touchés à lutter contre l’épidémie d’Ebola, ils vont en même temps œuvrer pour mettre leurs populations à l’abri  d’un tel fléau.  Une telle solidarité objective et réaliste,    dictée par les intérêts des parties,  ne doit pas se traduire par un minimum  geste de solidarité de façade, comme l’ont fait le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, qui ont envoyé en Guinée quelques  médecins tout en fermant leurs frontières.

Cependant on peut s’interroger également  sur la décision de la fermeture de ces frontières par le fait que les autorités politiques sénégalaises, ivoirienne et celles de la Guinée Bissau n’étaient pas convaincues de la volonté et l’efficacité des Pays touchés par l’épidémie de prendre des mesures efficaces pour l’éradiquer rapidement.  Leurs médecins, qu’ils avaient dépêchés en Guinée, ont certainement constaté des défaillances et des lacunes du système de santé guinéen. Dans ce cas, au lieu de se contenter de fermer seulement la frontière, ils auraient dû signaler ces défaillances en mettant pression sur les autorités des Pays concernés. C’est comme quand la case d’un voisin direct brûle :  la meilleure façon de mettre la sienne à l’abri c’est de venir éteindre le feu. Et en aidant le voisin, quand on voit des éléments explosifs qui peuvent aggraver l’incendie, faut-il se taire ? Effectivement, telle a été l’attitude des Pays de la CEDEAO et l’ensemble des Pays africains. Ces Pays avaient un droit de regard et de pression sur les actions de lutte menées dans ces Pays-là, sans pour autant remettre en cause leurs souverainetés nationales respectives. Après avoir constaté que les gouvernements des Pays infectés par l’épidémie n’étaient pas en train de lutter de manière efficace, nous semble t-il, contre Ebola, les dirigeants des Pays voisins auraient dû leur faire des remarques, des suggestions, des directives. Si celles-ci n’avaient pas été acceptées, en tant que Pays frères, membres de la CEDEAO  ils ont avaient, et ils ont encore, le droit de dénoncer  ces défaillances en prenant ainsi en témoin les populations africaines et l’opinion internationale. Cela aurait constitué une pression supplémentaire sur les gouvernements  concernés.

 

Finalement, en fermant les frontières, les Pays africains   ont opté plus pour une stratégie de communication visant à rassurer leurs populations, les investisseurs étrangers et les touristes sans pour autant contribuer, de manière efficace,  à mettre leurs populations réellement  à l’abri de l’épidémie. En ce qui concerne le Sénégal, la décision de fermer la frontière n’est pas indépendante   d’un certain chauvinisme de ce Pays dont ma grand-mère est originaire, qui a tendance  à stigmatiser toutes les populations vivant dans les zones forestières d’Afrique noire  en les targuant de « Gnacs » . Leur attitude de manque de solidarité vis-à-vis des Pays voisins obéit certainement à la volonté de l’élite politique d’exprimer «  l’exception sénégalaise » , l’orgueil du Pays phare de l’ancienne Afrique Occidentale Française, dont Dakar était la capitale. Beaucoup de  Sénégalais considèrent ainsi Le Sénégal plus en avance par rapport aux autres Pays de l’Afrique occidentale, par exemple  du point de vue  de la démocratisation. Cela est bien perceptible dans les propos de la ministre Sénégalaise annonçant et justifiant la fermeture des frontières Sénégalaises en ses termes sur les antennes d’R F I, au mois de mars, «  comme nous sommes un pays organisé, nous avons décidé de  fermer les frontières avec la Guinée afin de protéger notre pays »

 Cette solidarité dont les peuples africains ont tant besoin souffre également de l’existence en Afrique, dans un contexte de personnification du pouvoir et de faiblesse des institutions, d’un mélange de genre entre les relations personnelles des chefs d’Etat-Africains et celles des relations objectives et rationnelles dictées par des intérêts économiques et géostratégiques. Par exemple  la fermeture de la frontière sénégalaise et l’ouverture de celle du Mali dont ne sont pas indépendantes des rapports que le président Guinéen  Alpha Condé entretient , avec les deux  chefs d’Etat de ces pays limitrophes. Or les décisions de fermetures d’ouverture ou de réouvertures ont été prises selon l’inspiration personnelle ou les humeurs des présidents ou des gouvernements, à l’insu des populations de ces pays qui n’ont pas été consultées ni par un referendum, ni par un simple sondage d’opinion. Leurs élus et représentants dans les  assemblées n’ont pas été non plus été consultées en soumettant de telles décisions si importantes à une approbation populaire sans laquelle il n y a pas de démocratie. L’histoire récente est-elle en train de donner raison au Président Barack Obama lorsqu’il disait «  que l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais des institutions fortes »  qui contribuent à impliquer les populations dans les processus de développement et de démocratisation des sociétés africaines tout en les protégeant dans un contexte de séparation des pouvoirs.          

Notre appel en faveur de la solidarité africaine n’est pas valable seulement dans le cas d’Ebola, car il y a un autre virus qui a infecté l’Afrique Occidentale. En effet, certains Pays sont déjà très atteint par le terrorisme islamiste, notamment le Mali et le Nigéria, sans bénéficier d’une solidarité des Etats voisins qui sont exposés à la même menace.  Qu’attendons-nous pour venir en aide des voisins dont la case est en train de brûler ? Même si les Pays africains n’ont pas suffisamment de moyens, il est possible de mettre en place  un dispositif africain de réaction contre les épidémies et une armée de lutte contre le terrorisme, à l’image de l’ECOMOG dans les années ‘90 en Afrique Occidentale.

           


 

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