La semaine dernière, le scandale suscité par la
vidéo pornographique publiée sur les réseaux
sociaux a certainement produit un effet de diversion , en détournant notre attention de la tension engendrée par la
grève des enseignants. Ensuite, la polémique entre le ministère de
l’enseignement supérieur et les universités privées autour des étudiants
fictifs a aussi contribué à reléguer ce mouvement social au second plan
dans les média. Ce conflit est pourtant
très important, dans la mesure où il est porteur d’ enjeux qui déterminent la survie des familles des enseignants et l’avenir de
notre pays, pour lesquels les gens sont prêts à mourir. Mais doivent-ils mourir
pour rien, sans atteindre les objectifs escomptés en favorisant l’obtention des
avancées sociales ? Au lieu de résoudre
cette tension, le gouvernement s’est
limité à bricoler, en acceptant
seulement le recrutement des contractuels et en augmentant de manière dérisoire, pour ne
pas dire ridicule, les primes de craie à 80.000fg et de préparation à
100.000fg. Or, le principal point de
revendication concernant l’augmentation des salaires, n’a pas été satisfait.
C’est pourquoi une bonne partie des responsables syndicaux, surtout à la base,
n’ont pas été satisfait de ces accords, en soupçonnant leurs responsables négociateurs
d’avoir été corrompus. Des recherches récentes que nous avons menées à Conakry
et à l’intérieur, sur un échantillon d’une centaine d’enseignants, montrent que
les professeurs ne font pas confiance aux syndicats, qu’ils considèrent comme
corrompus. Par exemple, lors d’un entretien, un enseignant nous a dit :
« Ce sont des pantins. Ils s’agitent un peu, ils font quelques mouvements
quand ils veulent un peu d’argent, après, ils se calment ». Un autre
professeur ajoute : « Ils défendent leurs intérêts personnels avant
tout, pas les nôtres »
Les enseignants vont encore devoir continuer à
survivre avec leur bas salaire, nettement inférieur à la rémunération de leurs
collègues dans les Pays voisins, comme le Sénégal ou le Bénin.
D’où le phénomène d’absentéisme, qui a été
observé dans toutes les écoles de Guinée pendant la première semaine qui a
précédé les accords. Comment est-on parvenu à un tel résultat insignifiant, alors que la grève avait pourtant obtenu l’adhésion de toutes les
populations de la Guinée, qui ont pu créer, dans la capitale, une situation de ville morte ? A Conakry, même dans les quartiers les plus
paisibles, les habitants ont soutenu ce
mouvement en barrant les routes afin
d’empêcher les travailleurs de rejoindre leur service.
Rappelons – nous d’abord que dans les organisations, qu’il s’agisse de l’administration publique ou des entreprises
privées, les conflits latents sont omniprésents,
car il y a toujours des points, en fonction des intérêts du gouvernement ou du
patronat et des salaries, sur lesquels les deux parties prenantes ne
s’entendent jamais. C’est pourquoi le dialogue est indispensable pour aplanir
les points de vue afin de maintenir dans les organisations un climat social
paisible. Lorsque les deux parties prenantes du rapport de travail n’arrivent
pas à trouver un terrain d’entente, les conflits latents se transforment en
conflits manifestes et ouverts. D’où la grève, dont l’ampleur varie selon les
circonstances et la nature des revendications, qui doit être précédée par un préavis
d’avertissement dans une logique dissuasive et responsable. Les syndicats déclenchent
la grève pour engager un rapport de force visant à améliorer les conditions de travail
et de vie des travailleurs. Or, en Guinée,
les grèves se transforment toujours en émeutes urbaines et mouvements socio-politiques.
Peut-être cela est-il dû aussi à nos partis politiques, qui ne remplissent pas
l’une de leurs fonctions principales, celle de se faire porte-parole des
intérêts et des exigences des groupes et des catégories qu’ils représentent.
D’ailleurs, la plupart des partis politiques se contentent d’instrumentaliser les
grèves. C’est ce caractère politique des
grèves qui a affaibli le mouvement social guinéen, dont les leaders syndicaux
sont plus politiques que techniques. La
confusion autour des grèves en Guinée, où le gouvernement accuse souvent les
partis de l’opposition de récupération politique des revendications des
manifestants, s’explique aussi par le fait qu’on ne fait pas une bonne lecture
sociologique du mouvement social, qui nous montre que, dans une grève, les
acteurs ne poursuivent jamais les mêmes objectifs. Parmi eux, il y a des
leaders pionniers, des suivistes, des rebelles réticents. C’est ce que nous
observons dans le mouvement social en Guinée depuis le milieu des années
2000 : les grèves se transforment systématiquement en mouvements socio-politiques
de renversement du régime en place, soutenus par la main invisible des partis
de l’opposition et animés par les jeunes, en général chômeurs et frustrés.
Tel est le cas de la dernière
grève : si les enseignants veulent améliorer leurs conditions de travail
et de vie, les jeunes manifestants des quartiers les plus enclavés et
déshérités profitent de l’occasion pour exprimer leurs frustrations.
En tout cas, ces émeutes donnent
lieu à des affrontements violents entre les forces de l’ordre et les jeunes,
souvent victimes des bavures de la répression policière et surtout
militaire. Ce qui est frappant, à l’occasion
de chaque grève, en Guinée au lieu d’enregistrer la préservation des acquis sociaux
ou d’obtenir des avancées sociales, nous comptons les victimes qui tombent sous
des balles des forces de l’ordre. Or, ce
qui est encore regrettables, c’est la mort de sept jeunes, parmi lesquels il y
avait des innocents, qui ne participaient même pas à la grève. Cela est d’autant plus déplorable et choquant
que la police, depuis ces cinq dernières années, a fait beaucoup de progrès, en
évitant de tirer sur les populations. Nous avons vu en œuvre une complice
compétente, qui travaille avec professionnalisme, sans faire de confusion entre
les innocents et les coupables, tout en essuyant toutes les insultes, pendant
que les cailloux pleuvent sur les agents. C’est cette police, en l’occurrence
le BAC, qu’il faut soutenir en
renforçant ses capacités, en termes de formation et d’équipement, au lieu de
faire intervenir les militaires, dont les récentes bavures constituent encore
une régression.
Nous assistons également à des
actes de vandalismes qui se traduisent par la destruction des édifices publics
et les biens des citoyens. Ces manifestations violentes que l’on appelle, à
tort ou à raison, grève en Guinée, causent plusieurs désagréments qui empêchent
les populations de circuler librement et de vaquer à leurs occupations
quotidiennes, sans lesquelles elles ne peuvent pas survivre dans un contexte de
pauvreté et de chômage. D’ailleurs, rappelons-nous que les travailleurs du
secteur informel, composé d’ouvriers précaires et de femmes vendeuses, sont
beaucoup plus nombreux que les salariés ayant un revenu fixe. Ces travailleurs
du secteur informel constituent une majorité silencieuse, qui travaille dans l’ombre
des fonctionnaires et qui est particulièrement exposée aux impacts des grèves
et des initiatives de ville morte. Tel
est le cas des chauffeurs de taxi, qui ne peuvent pas circuler pour faire leur
recette quotidienne. Dans ce cas, il faut qu’on sorte de certains lieux communs
qui stigmatisent sans cesse les habitants des quartiers réputés « violents »
et appelés « l’Axe du mal ».
Ici aussi il y a des vendeuses, des ouvriers, des femmes qui font le
petit commerce, qui ne souhaiteraient pas que leur quartier soit paralysé.
En ce qui concerne la dernière grève des enseignants, l’une
des causes principales de son échec s’explique par le fait que les enseignants
ne constituent pas un corps de métier homogène avec une forte identité commune.
C’est pourquoi il y avait beaucoup d’intérêts catégoriels en jeu, portés par
les différents segments professionnels, tels que les contractuels, plus
préoccupés par leur titularisation, les enseignants en fin de carrière,
inquiets par rapport à la retraite et les fonctionnaires, soucieux de leur
augmentation salariale. Les
contractuels, qui avaient au départ bien bénéficié du soutien des organisations
syndicales, s’étaient désolidarisés du reste des enseignants après avoir obtenu
leur engagement. Les enseignants de la Guinée, même s’ils ont des
caractéristiques communes, ne partagent pas exactement les mêmes conditions de
travail et de vie, qui varient selon le niveau d’enseignement. Par exemple, en
général, les enseignants de l’école primaire n’ont pas le temps d’enseigner
dans plusieurs écoles, comme le font les professeurs du lycée, qui arrondissent
les fins de mois en multipliant les cours dans plusieurs établissements. La
situation des enseignants du supérieur est encore meilleure, dans la mesure où
les taux horaires sont plus élevés et qu’ils peuvent utiliser leur expertise
pour des activités plus rentables, telles que la consultance pour les bureaux
d’étude et les institutions internationales. Or, l’organisation syndicale n’a
pas tenu compte de tous ces paramètres permettant d’intégrer et concilier les
intérêts de tous les segments professionnels du monde enseignant. Pour cela, il faudrait que le bureau syndical
soit plus représentatif des différentes catégories d’enseignants, afin que les
intérêts de tout le monde soient défendus.
Dr Abdoulaye Wotem
Sompare.
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