Le paradoxe guinéen réside du
fait que dans plusieurs domaines, au lieu de progresser, en tirant les enseignements
du passé pour mieux améliorer le présent et le futur, nous régressons plutôt. Tel
est le cas du secteur minier guinéen, où les premiers contrats ont été signés dans les années ‘60 et ’70, dans un contexte
difficile d’isolement de la Guinée par
rapport aux puissances occidentales et surtout à la France. Le jeune pays
venait d’accéder à l’indépendance, contre
la volonté de la France qui avait
déjà commencé à mettre en valeur la bauxite de Kassa, alors que la création de la société de Fria était en cours.
La vision macroéconomique du
premier régime guinéen consistait à s’appuyer sur le secteur minier afin
de développer les autre secteurs et
surtout l’agriculture ,par effet d’entraînement : cette politique
s’inspirait surement de la théorie économique du trickle down. Dans le cadre de
la mise en valeur de la bauxite de Boké par la CBG, Compagnie Bauxite de Guinée,
le président Sékou Toure s’était beaucoup battu pour la localisation de la
production, c’est-à-dire la réalisation de toutes les étapes de la production
sur place, de la transformation de la bauxite en alumine puis à la production
del’ aluminium. Il était convaincu que la localisation de la production était
plus avantageuse pour la Guinée, dans la mesure où elle contribuerait à créer plus
d’emplois qualifiés et plus de valeur ajoutée
pour l’économie.
Finalement, la Guinée a été perdante, sur tous les plans, dans
ses négociations avec des partenaires ayant plus de marges de
manœuvre. La Guinée était détentrice d’une
rente minière, alors que les pays occidentaux et leurs entreprises multinationales
détenaient le capital financier et la
rente technologique. Comme l’explique Bonnie Campbell[1],
l’interpénétration des intérêts de plusieurs entreprises multinationales
soutenues par leurs Etats et la solidarité que
cela implique n’ont pas permis au
jeune Etat guinéen d’atteindre tous ses objectifs. Des gouvernements occidentaux dont
les entreprises, notamment Pecheney, Montecany, Alcoa, étaient impliquées, avaient naturellement soutenu la délocalisation, afin de créer plus d’emplois
dans leurs pays dans un contexte de division internationale du travail. Or, la division
internationale attribuait à cette époque, avant la mondialisation, les emplois
qualifiés au pays développés du nord, comme les Etats-Unis. De plus, l’Etat guinéen était pressé de signer parce que ses caisses
étaient vides, dans un contexte d’embargo
et de sabotage économique de l’ancien Pays colonisateur , la France du General
De Gaulle.
Finalement, la Guinée n’a pu
détenir que les 50% du capital, alors que le reste appartient à ses partenaires
étrangers. Ces derniers avaient obligé la Guinée à financer la construction des
infrastructures de base, notamment les routes, les cités, les maisons, en lui
faisant comprendre qu’elles reviendraient à la Guinée, qui pourrait les
utiliser plus tard à d’autres fins,
différentes de la production de la bauxite.
Ils ont également bénéficié de plusieurs octrois fiscaux de la part de
l’Etat guinéen qui cherchait à attirer rapidement des investisseurs étrangers
De telles pertes, à l’époque,
pourraient s’expliquer par l’insuffisance de la marge de manœuvre de la Guinée
et le manque d’expérience et de niveau de scolarisation de ses négociateurs,
car le cerveau moteur de la Guinée dans toutes ces opérations était le
Président autodidacte , qui n’avait bénéficié que de six ans d’instruction à l’école primaire. D’ailleurs,
Jacques Larrue[2] rapporte
dans son ouvrage qu’il était surpris de voir Sékou Touré utiliser ses petites
notions acquises à l’école primaire, notamment la règle de trois, pour défendre
les intérêts de la Guinée. C’est dans ce
contexte que les entreprises minières ont été créées. Malgré la perte de la
Guinée et les injustices dont elle a été victime, toujours dénoncées par le premier président, elle n’avait jamais
renoncé à intégrer ces entreprises dans l’économie locale. Même si cet objectif
n’a jamais pu être entièrement atteint, les préfectures de Boké et de Fria ont
bénéficié quand même de l’implantation industrielle, à travers la création des
infrastructures, notamment la route, le chemin de fer, le port de Kamsar. C’est
dans ce but que OFAB (Office d’Aménagement de Boké), qui est devenu ANAIM, a
été créé pour construire, entretenir et intégrer les infrastructures minières
dans l’économie locale et nationale.
Pendant la première République
socialiste, les salaires étaient plus bas, mais les travailleurs bénéficiaient
de meilleures conditions de vie et protection sociale, car ils recevaient des denrées alimentaires, des
soins gratuits, des logements équipés avec accès à l’eau et à l’électricité. D’ailleurs, les syndicats sont parvenus à
préserver une bonne partie de ces acquis jusqu’à nos jours. Le régime libéral de
la deuxième République du Général Lansana Conté a contribué à élever le niveau
de vie et le pouvoir d’achat des travailleurs des zones minières, à travers
l’augmentation salariale.
Après 50 ans d’exploitation
minière, l’usine de Fria est fermée et
les habitants de cette ville, qui était une vitrine de la modernité,
sont victimes de la paupérisation. La gestion calamiteuse de Fria par la
deuxième République et le manque d’information des syndicats dans un contexte
de corruption n’ont pas favorisé sa survie. Quant à la Compagnie Bauxite de
Guinée (CBG) ,ses zones industrielles constituent toujours une enclave moderne dans un Pays
sous-développé, mais il y a lieu de noter qu’elle demeure de nos jours la meilleure entreprise de Guinée en ce qui
concerne la capacité d’offrir aux employés de bonnes conditions de travail et
la sécurité de l’emploi.
C’est pourquoi aujourd’hui,
au moment où d’autres entreprises telles que Rio Tinto nous promettent
monts et merveilles, nous devons nous
appuyer sur les acquis et les limites de la CBG pour signer de nouveaux
contrats miniers. Ce qui est paradoxal et révoltant, les nouvelles sociétés
minières qui ont été créées récemment, par exemple à Forecariah, Katougouma,
Dapolon, dans la région de Boké, sont encore moins intégrées dans l’économie
locale que la CBG et Fria, ou la SAG même. Il s’agit d’entreprises qui ne
viennent que pour extraire la bauxite et l’envoyer, sans construire de routes,
ni de port. On fait croire aux populations locales, de manière hypocrite, qu’elles
pourraient obtenir des emplois, mais en réalité ces exploitations vont
contribuer à dégrader l’environnement et engendrer des problèmes sociaux, comme
on a pu le constater, la semaine
dernière, à travers des manifestations dans le village de Katougouma. Ces
nouvelles installations minières risquent de renforcer les identités ethniques
et régionalistes, sources de conflit, alors que l’entreprise de Fria avait été
un creuset de toutes les ethnies, une vitrine de la multiethnicité.
Le problème d’attribution des emplois revendiqués par les
communautés de la Guinée Forestière, de Siguiri et dernièrement dans la région
de Boké, est à notre avis un faux débat que l’on doit dépasser. Il faut faire
comprendre aux jeunes que lorsqu’une entreprise est installée et intégrée dans
une localité donnée, ses populations auraient forcément des retombées, si elles
ont des ressources humaines adéquates. Or, les entreprises qui s’installent
dans nos villages ne peuvent pas y
trouver toutes les compétences qu’elles recherchent : elles sont donc
obligées d’élargir leur bassin de l’emploi.
Je suis originaire de Boké, mais les emplois du secteur minier
n’appartiennent pas qu’à nous, les ressortissants des zones minières : de
la même manière l’or de Siguiri et le fer de la Guinée forestière
n’appartiennent pas qu’aux ressortissants de ces localités. Ce sont de bonnes négociations, où l’Etat impose
aux entreprises de garantir de bonnes conditions de travail et de vie à leurs
employés, qui pourront permettre à tous les Guinéens se profiter des ressources
de notre sol. C’est une bonne politique fiscale qui peut permettre aux
collectivités locales de bénéficier de ristournes, à travers les taxes payées
par les entreprises qui s’installent dans leurs localités. Enfin, c’est la
formation des jeunes de ces localités qui leur permettra d’être embauchés.
Cessons de croire qu’on nous donnera des emplois comme des cadeaux : ce
sont des promesses ayant le seul objectif de signer des contrats.
Concentrons-nous plutôt sur la réalisation d’études d’impact sérieuses, soucieuses
de comprendre véritablement l’impact socio-économique de l’installation minière sur la vie des
populations locales et sur leur environnement.
Dr Abdoulaye Wotem Sompare.
Sociologue du travail,
spécialiste du secteur minier guinéen et des questions de développement.
franchement vous avez bien fait de démasquer les vrais réalités du secteur minier guinéen avec ces promesses fallacieuses qui n'ont jamais et qui ne seront jamais ete réalisées. une fois encore merci Dr somparé pour votre participation active à la construction d'une guinée unie et prospère
RépondreSupprimerNous avons l'impression d'entendre le Somparé partisan, intellectuel défenseur que le scientifique.
RépondreSupprimerJe pense que cet article souffre de la sociologie réflexive. La distanciation dans l'analyse démasque plus la réalité de l'objet que ce rapprochement vain dont témoigne les discours politiques(Engagement).
"la sociologie ne vaut pas la paine sans une spéculation" je pense que les partisans des expressions similaires ont quelques de plus en commun avec la vie politique que scientifique.
je me demande en fin pourquoi tant de sociologues finissent dans cet engagement qui obscurcit et épuise le corps scientiste? Bourdieu, a la fin de sa vie était dans le cas paraît.