La récente évaluation des ministres suscite beaucoup d’interrogations par
rapport à la nécessité, la régularité et la pertinence d’une telle initiative.
Dans un contexte de lutte contre l’épidémie d’ébola où nous avons besoin de la
solidarité gouvernementale, on peut s’interroger également sur l’opportunité et les effets pervers d’une
telle initiative.
Le fait d’évaluer les ministères est en soi une très bonne chose, si elle est effectuée dans
les règles de l’art conformément aux critères requis et de manière objective dans un souci de
transparence. Certes le président et sont premier ministre doivent suivre et
évaluer les activités de chaque ministre de leur gouvernement mais ils ne sont
pas obligés de publier les résultats de leurs appréciations, qui devraient
plutôt se traduire par des actes
concrets notamment les avertissements, des suggestions, des encouragements, de
la pression supplémentaire ou des remaniements ministériels. En cas de faute
grave le ministre concerné doit démissionner ou il est limogé directement.
Il y a lieu de rappeler d’abord
que ce sont les citoyens guinéens et les usagers de l’administration guinéenne
qui sont mieux placés pour apprécier les fonctionnements des différents
ministères et leurs titulaires. Dans une démocratie où il y a la liberté
d’expression les journalistes sont encore mieux placés pour évaluer la
performance des ministres en faisant des investigations et des sondages
d’opinion qui déterminent dans la transparence les cotes de popularité de chaque
ministre. Or les critères et les résultats qui ont permis aux évaluateurs de
classer les ministres en trois catégories notamment, les ministres excellents,
bons et tocards n’ont pas été présentés, même si l’on parle de feuille de
route. De plus nous ne pouvons pas
évaluer les ministres de façon objective, sans aucune distinction entre
leurs ministères respectifs en termes de spécificité et d’importance en
fonction de la politique générale du gouvernement et ses priorités. Il y a donc une hiérarchie gouvernementale
logiquement déterminée par l’importance des portefeuilles qui confèrent à
chaque ministre un poids. D’où l’expression « les poids lourds du
gouvernement ». Par exemple en raison de l’importance des problèmes de
l’immigration et de la sécurité en France pendant ces deux dernières décennies,
le ministre de l’intérieur est considéré comme le numero 3 des gouvernements
français qui se sont succédés dernièrement. Et c’est en tenant compte des
résultats obtenus par Manuel Valls qu’il
a été nommé premier ministre. La promotion à l’intérieur du gouvernement
constitue donc un facteur de motivation et de performance des ministres. Avant
d’évaluer les ministres le gouvernement devrait donc offrir aux citoyens une
certaine lisibilité de sa politique générale et de ses priorités. Dans le cas
guinéen en raison de l’épidémie d’Ebola, le ministère de la santé devient le
plus important. Comment peut-on ’évaluer alors le ministre de la santé
actuellement au même titre que ses
homologues de l’enseignement secondaires et supérieurs, dans la mesure où les
écoles et les universités sont toujours fermées en raison de l’épidémie. Dans
un contexte d’épidémie d’Ebola sur fonds de crise économique et sociale, en
raison de quels résultats certains ministres ont-ils été qualifiés d’excellents ? A notre avis
on ne peut pas faire le classement des ministres et de demander implicitement
aux populations, en le publiant, de l’accepter comme tel, sans le justifier en
présentant les résultats de manière détaillée.
Si l’évaluation est faite dans un esprit de transparence, il fallait y
aller alors jusqu’au bout.
Même si les media guinéens ne
disposent pas de suffisamment de données quantitatives fiables et d’instruments
d’analyses sophistiqués et précis, comme dans les pays développés, pour faire
des sondages, tous les observateurs de la vie politique en Guinée peuvent
constater aisément les performances des ministres. Par exemple en tant que
citoyen guinéen et observateur de la vie politique en Guinée, dans ce contexte d’épidémie, je constate qu’il a fallu une intense activité diplomatique pour
mettre la Guinée a l’abri de la marginalisation et d’isolement en maintenant
les vols aériens tout en poursuivant la coopération. Certes les carnets
d’adresse du président ont contribué à ce succès diplomatique qui s’est traduit
par exemple par la visite du président français
Mr François Hollande en Guinée. Mais il ne saurait être indépendant de
l’expérience et de la compétence du ministre des affaires étrangère, Mr
François Fall.
A la limite l’assemblée nationale
qui accueille et écoute tous les ministres tout en leur posant des questions
est encore mieux placée que la primature et
la présidence pour évaluer les ministres, dans un esprit de séparation
des pouvoirs, cher à Montesquieu, où l'exécutif demande d’être tempéré, contrôlé et
arrêté par les pouvoirs législatifs et judiciaires. D’autant plus que, parmi
les députés, il y a des technocrates, des hauts cadres de l’administration
guinéenne et des anciens ministres qui ont de l’expertise et de l’expérience
pour ce genre d’exercice.
Les Effets Pervers de la publication des résultats de l’évaluation
Les effets pervers sont les résultats non souhaités et non désirés, voire les conséquences néfastes
d’une action, auxquelles on ne
s’attendait pas en agissant. Ces effets
étant omniprésents au sein des organisations administratives, pour reprendre
Michel Crozier, une telle évaluation qui est certainement partie d’un bon
sentiment, pourrait créer d’autres problèmes au gouvernement. En publiant ce
classement certains ministres peuvent se sentir frustrés et injustement appréciés,
comme le secrétaire général du ministère de l’éducation l’a d’ailleurs manifesté.
En classant les ministres en trois catégories, cela pourrait contribuer à entretenir une division
au sein du gouvernement et porter atteinte à la solidarité gouvernementale dont
on n’a jamais eu tant besoin comme maintenant dans un contexte de lutte contre l’épidémie
d’Ebola.
Afin de chercher à se classer
très bien et de garder leurs postes certains ministres tenteront naturellement
d’occulter les faiblesses de leurs ministères en soulignant plutôt leurs
performances au point de falsifier leurs résultats. Dans ce cas au lieu de
faire la lumière sur les efforts et les acquis des ministères, la dite
évaluation contribuerait à cacher les faiblesses des ministres. Elle pourrait
être instrumentalisée également par certains ministres qui maitrisent mieux la
communication pour faire leur propre publicité personnelle afin de favoriser
leur ascension et maintien au sommet de l’État.
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