mercredi 25 mars 2020

Après Ebola, Coronavirus: de l'inégalité sociale à la solidarité nationale et internationale


Après avoir été l’un des consultants socio-anthropologues de l’OMS pendant l’épidémie d’Ebola en Guinée, je souhaiterais analyser les enjeux géopolitiques et sociologiques de cette nouvelle pandémie. Il s’agit de tirer les enseignements de ce qui s’est passé en Afrique de l’Ouest, notamment en Guinée, Sierra Léone et Liberia il y a 5 ans, dans une perspective comparative avec cette nouvelle menace beaucoup plus mondialisée et plus inquiétante. D’un point de vue géopolitique, ce qui est frappant, c’est le fait que les catastrophes humanitaires touchent habituellement les Pays les plus pauvres, notamment les nations africaines, au point de caricaturer notre continent comme la terre des épidémies, notamment le choléra ou  Ebola. De plus, l’Afrique est vue comme le berceau   des conflits politiques à caractère ethnique et régionaliste, ayant des conséquences sur le plan humanitaire : des importantes pertes de vies humaines, les déplacements des populations qui perdent leur habitat etc.. D’ailleurs, de tels évènements représentent l’une des principales causes des migrations forcées et des migrations clandestines, que les  partis de droite des Pays occidentaux perçoivent comme une menace, comme si la maladie et la pauvreté déferlaient sur l’Europe avec les vagues de migrants. Le personnel qui accueille les migrants dans les ports de l’Italie porte des tenues qui ne sont pas sans rappeler celles de la Croix rouge pendant Ebola en Afrique, comme si les migrants qui arrivent étaient porteurs d’une potentielle menace sanitaire. Comme ironie du sort, autrefois, les migrants européens aux Etats-Unis étaient d’abord mis en quarantaine sur l’ile de Ellis Island avant d’être intégrés dans la société américaine. Cette fois-ci, il y a un renversement de la situation, qui implique aussi un bouleversement  des imaginaires, un changement des regards souvent teintés de clichés et de préjugés.  Ces préjugés ont la  vie tellement longue que, alors  que l’Italie était  déjà très touchée par l’épidémie, des sympathisants de la Ligue du Nord se demandaient dans les journaux et sur les sites internet si les migrants africains n’allaient pas propager Coronavirus  en Italie, au moment où l’Afrique ne comptait aucun cas de cette épidémie ! 
Ce renversement se manifeste par le fait que l’épidémie a touché d’abord la grande nation chinoise, deuxième économie mondiale, avant de s’étendre rapidement en Europe en faisant des ravages dans des Pays occidentaux les plus prospères, à commencer par l’Italie (où le Nord, plus riche, a été plus touché que le Sud)  jusqu’à la France, à l’Espagne, à l’Allemagne et à la Grande Bretagne.   Paradoxalement, tous les premiers cas de maladie en Afrique ont été importé de l’Europe : c’est pourquoi les Africains, pour une fois, au lieu de regarder l’Europe comme le paradis sur terre et la patrie du bonheur, considèrent ce continent comme le lieu de provenance du malheur et s’empressent de fermer leurs frontières. Face à cette situation sanitaire et ses conséquences inédites, il y a plusieurs interprétations en cours et des rumeurs en phase d’éclosion. Certains Guinéens, plus fatalistes ou  plus religieux, veulent instrumentaliser cette pandémie, en la considérant comme une sanction divine contre les Européens qui auraient abandonné la religion et certaines valeurs morales.  De tels discours ne sont pas nouveaux, car nous les avons beaucoup entendus pendant l’épidémie d’Ebola en Guinée, considérée par certains comme une punition divine et, dans certains cas, comme une opportunité de  purification.  Quant à nous, en tant que sociologue, nous pensons que cette pandémie est révélatrice d’une inégalité sociale qui existe entre les élites des différents Pays et leurs populations les plus pauvres. Comme certains sociologues de la migration l’ont montré (par exemple Annette Wagner)  la mondialisation a favorisé, en plus des échanges économiques, une très grande mobilité des élites, contrairement aux populations les plus pauvres. Cela est encore plus perceptible dans les Pays en voie de développement, caractérisés par des inégalités d’accès à la mobilité et à la migration, dans la mesure où c’est une minorité nantie, cultivée et cosmopolite qui accède plus facilement aux visas et à la possibilité de circuler. Or,  Ebola avait touché les populations les plus pauvres et les moins alphabétisées, en frappant des zones rurales enclavées et des quartiers déshérités des grandes villes. Au contraire, cette fois-ci, c’est l’élite africaine qui a été d’abord exposée : pour s’en convaincre, référons-nous aux trois chaines de contamination en Guinée : une femme belge, travaillant pour une institution internationale, une femme d’affaires guinéenne revenue d’un voyage en Italie et un couple aisé (dont l’époux est un haut cadre de l’Etat) qui a été testé positif après un séjour touristique en France. A cause de cette dernière chaine de contamination, beaucoup de cadres du Ministère du budget et  de cadres de la Banque centrale sont devenus des contacts susceptibles de développer la maladie et se retrouvent en quarantaine.  Tel est le cas  également de Madame Makale Traoré, ancienne ministre et membre actif de la société civile guinéenne, qui arrive en Guinée en quittant Londres à la veille du début du confinement au Royaume Uni. Cette dernière, après avoir manifesté sa bonne foi en se soumettant à un test de dépistage, s'est offert une tribune à la radio Espace, la plus écoutée de Guinée, où elle s'est érigée  en donneur de leçons avec la complaisance des journalistes qui trouvent son comportement exemplaire. Pourtant, elle n'est pas exempte de tout reproche, loin s'en faut, dans la mesure où elle quitte un Pays à haut risque, qui est entré en confinement 24 heures après son départ. Etait-ce nécessaire de rentrer en Guinée en ce moment, avec le risque de contribuer  à la propagation du virus, dans un Pays qui est moins préparé pour faire face à une épidémie?  La médiatisation de ce dernier cas de contagion dénote encore une fois la monopolisation du discours de la sensibilisation par l'élite, qui regarde de haut le bas peuple analphabète tout en ignorant parfois la capacité des populations locales à mobiliser des expériences acquises au cours d'Ebola et des savoirs locaux d'hygiène pour se protéger. C'est cette inquiétude que l'anthropologue de la santé Frèdéric Le Marcis exprime dans un article consacré à la Guinée qu'il a publié sur le journal Libération en France, en déplorant le fait que la communication soit monopolisée par une élite lettrée et que peu de messages circulent en langue nationale pour véhiculer les savoirs actuels sur cette maladie. Nous pensons que pendant cette période d'urgence sanitaire très menaçante personne  ne doit user de son niveau d'étude, de son statut ou de sa position sociale et de son titre pour transgresser les consignes de la Riposte. 

Dans d’autres Pays, il y a des ministres ou des députés qui ont été contaminés. Mais en Guinée, par habitude et par imitation des Pays du Nord,  on a recyclé les vielles recettes, comme au temps d’Ebola, en exhortant les gens à se laver les mains et à garder la distance.  On n’a pas élaboré des messages ciblés pour les élites, les hommes d’affaires, les hauts cadres de l’Etat, en les amenant à renoncer, pendant cette période de l’épidémie, au privilège de la mobilité, à leur style de vie et à leurs pratiques distinctives, au sens bourdieusien du terme. Ces individus issus de la bourgeoisie de l’Etat ont souvent des familles transnationales : ils ont souvent une épouse et des enfants qui étudient dans les Pays occidentaux et ils  circulent entre la Guinée et ces Etats. Le fait d’aller se soigner à l’étranger, notamment au Maroc, en Tunisie ou en France,  constitue également l’une des pratiques distinctives de l’élite africaine. En fuyant   les conséquences des faiblesses du système de santé des Pays d’origine, notamment le manque d’équipement et les graves erreurs médicales, ils se sentent à l’abri de tous ces aléas dont sont victimes la majeure partie des populations africaines.
 Désormais,  l’épidémie de Coronavirus  doit nous amener à comprendre que, même si ceux qui ont des moyens se sentent plus en sécurité parce qu’ils peuvent aller se soigner à l’étranger, aujourd’hui cela n’est plus possible, dans la mesure où les frontières sont fermées. Personne n’est à l’abri et nous sommes tous exposés, riches et pauvres, à la faiblesse de notre système de santé. Nous devons nous battre tous pour que tous les citoyens guinéens accèdent aux soins de santé sur place : c’est ce qui va sauver tout le monde.
Sur le plan géopolitique, cette crise montre que nous vivons désormais dans un village planétaire, où quand l’un des citoyens du monde tousse en Europe il y a des gens qui sont enrhumés en Afrique, et vice-versa : d’où la nécessité d’une solidarité internationale. L’exemple de la Chine illustre bien cette nécessité car, quand cette épidémie a débuté dans ce Pays, les Chinois avaient commencé à être stigmatisés en Europe. Aujourd’hui, la Chine n’enregistre plus de nouveaux cas de contamination, et elle est en train d’aider les Pays les plus touchés, notamment la France et l’Italie, car les médecins chinois ont développé une expertise qui manque ailleurs. A présent, la plupart des dirigeants du monde, ont pris des dispositions, en fermant par exemple leurs frontières mais, comme l’expliquait aujourd’hui l’ancien ministre français Dominique Strauss-Kahn, il faut des stratégies de lutte concertée à l’échelle planétaire. En ce qui concerne l’Afrique, beaucoup de gens sont en train de souligner la faiblesse de nos systèmes de santé en termes d’équipement et de compétences. Mais il y a lieu aussi de noter que les populations des Pays qui ont connu l’épidémie d’Ebola ont développé des réflexes de protection, en plaçant par exemple certains villages dans une situation de quarantaine de fait. Les Pays tels que la Guinée disposent de beaucoup de jeunes médecins, recrutés et formés par l’OMS, qui peuvent repérer facilement les chaines de contamination et  retrouver les contacts en vue de circonscrire l’épidémie.  Il y a également des spécialistes de la communication et des sociologues qui avaient  beaucoup contribué pendant l’épidémie d’Ebola à amener les populations à adhérer aux stratégies de la Riposte et à éviter les réticences et les résistances. Pour tirer les leçons des erreurs d’Ebola, la riposte contre Coronavirus doit se préoccuper de toutes les rumeurs en phase d’éclosion, qui doivent être repérées et démenties au cas par cas, pour qu’elles ne soient pas plus fortes que les vrais messages, comme on l’avait observé au temps d’Ebola. Au-delà des messages de sensibilisation, tout Guinéen qui ne se comporte pas en bon citoyen, en refusant de respecter les consignes de la Riposte et en exposant la santé de tout le monde, doit être condamné de manière exemplaire, en rompant ainsi avec notre culture de l’impunité. En effet, nous avons souvent tendance à imputer toutes les responsabilités à un groupe, à une communauté ou à une catégorie socio-professionnelle (par exemple les médecins) , au lieu de situer les responsabilités individuelles. Pour sortir de cette épidémie il faut, en plus de la solidarité internationale en faveur des Etats les plus fragiles,   une solidarité nationale entre les différentes couches de la population, dans un contexte d’inégalité et de méfiance envers l’élite. Enfin, chaque individu doit se conduire en citoyen responsable, dont le comportement ne doit pas exposer la santé de ses concitoyens et de l’ensemble des populations du monde.  Soyons des citoyens du monde responsables et solidaires ! 


Dr Abdoulaye Wotem Sompare
Socio-anthropologue

lundi 15 avril 2019

Quel syndicat pour les réformes de l'enseignement supérieur en Guinée? Comment dépasser l'opposition stérile entre le SLEG et le SNAESURS.


Depuis une semaine, s’il y a un problème qui a encore divisé inutilement les Guinéens, c’est l’opposition entre le SLEG ( Syndicat Libre des Enseignants de Guinée) et le SNAESURS (Syndicat National Autonome de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique), qui existe depuis mai 2018. Cette opposition est d’autant plus surprenante et absurde que  beaucoup de Guinéens ne font pas une distinction nette entre les professeurs du secondaire et du supérieur. Ils les considèrent tous  comme des travailleurs intellectuels pauvres, en dépit de toutes leurs connaissances et de leur utilité sociale dans la formation des nouvelles générations.

Cependant, tout en appartenant au même système éducatif, ces deux catégories d’enseignants n’ont pas exactement les mêmes problèmes en termes d’aspirations et de  conditions de travail et de vie : il est donc tout à fait normal, à notre avis, qu’ils appartiennent à des syndicats différents, comme dans les autres Pays voisins, notamment le Sénégal, la Cote d’Ivoire et le Bénin. L’existence d’un syndicat de l’enseignement supérieur ne doit pas être interprétée comme une volonté de se diviser et de se désolidariser, en créant des clivages inutiles au sein du milieu professionnel des enseignants. Le projet de création d’un syndicat du supérieur n’obéit  pas non plus à une stratégie de distinction, c’est-à-dire à une volonté des enseignants du supérieur de se démarquer de leurs collègues du pré-universitaire, en les regardant de haut car ils ont un niveau d’études plus élevé. Nous évoluons tous dans le même système et il y a une interdépendance entre les différents piliers du système éducatif. Cependant, l’existence d’un syndicat de l’enseignement supérieur obéit avant tout à un souci d’efficacité de l’action syndicale, afin de mieux défendre les intérêts et les objectifs spécifiques des professeurs des universités. 

Si l’ensemble des enseignants, à tous les niveaux, a pour vocation fondamentale l’enseignement, à travers la transmission des connaissances aux élèves et aux étudiants, ceux du supérieur ont également pour mission la recherche scientifique. D’ailleurs, c’est en publiant les résultats de leurs recherches dans les revues scientifiques, que ces enseignants parviennent à accéder aux grades académiques de maitre-assistant, maitre de conférence et de professeur. L’enseignant du supérieur commence sa carrière au terme de longues années d’études car, dans les conditions normales, il doit être titulaire d’un doctorat pour pouvoir commencer à enseigner.   Il ressemble à un soldat qui entame une longue carrière, où il doit gravir tous les échelons grâce à l’enseignement, aux publications et à l’encadrement des mémoires, qui lui permet de diriger  des chercheurs débutants dans leurs premiers travaux de recherche. En Guinée, cependant, beaucoup d’enseignants n’ont pas eu la possibilité de soutenir des thèses ; ce sont souvent les meilleurs étudiants qui se sont orientés vers l’enseignement supérieur, où ils commencent par assister  leurs professeurs.

La réforme de l’enseignement supérieur entamée par le Ministre Abdoulaye Yero Baldé tend vers l’alignement de la Guinée aux standards internationaux, notamment avec l’intégration du CAMES (Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement Supérieur), qui permet à nos enseignants de valider leur carrière et de faire reconnaitre leurs grades au niveau international. C’est dans ce cadre que le Ministère de l’Enseignement Supérieur a récemment exigé que tous les nouveaux enseignants recrutés dans les Universités soient titulaires d’une thèse de doctorat. Pour pouvoir valider leur carrière au sein du CAMES, les enseignants guinéens doivent également produire des publications scientifiques dans les revues internationales plus sélectives, alors qu’ils n’en ont pas toujours l’habitude. Cette réforme nécessite forcément d’un accompagnement institutionnel, afin que les jeunes enseignants puissent préparer des Masters et des thèses de doctorat, souvent à l’étranger, car il y  a seulement deux ou trois écoles doctorales en Guinée, de date  très récente. C’est pourquoi les premières revendications des enseignants du supérieur concernent, en ce moment, l’accompagnement de leur formation.  Cela est ressorti, par exemple, à l’occasion de la récente visite du Ministre Abdoulaye Yero Baldé à l’Université de Kankan, où plus d’une centaine de professeurs sont inscrits en Master ou en thèse de doctorat, dans le cadre de la formation continue.

La demande de formation précède même les revendications salariales, ce qui constitue un progrès important. Cependant, les enseignants  expriment aussi des revendications visant à l’amélioration de leurs conditions de travail et de vie, à commencer par les salaires. Le Ministre a d’ailleurs pris en compte ces exigences en demandant aux syndicats, pour la première fois, de comparer le salaire des professeurs guinéens à la rémunération de leurs homologues dans les Pays voisins. Toutes ces réformes visent, fondamentalement, à aligner la Guinée aux standards internationaux, sur le plan académique et salarial, afin d’apporter une amélioration décisive à la qualité de l’enseignement à travers la qualification des enseignants.

Les conditions de travail et de vie des enseignants dans le système éducatif guinéens sont   très hétérogènes,  car elles varient en fonction du statut de l’enseignant (titulaire, contractuelsetc.), du niveau (primaire, secondaire, universitaire), du caractère privé ou public des institutions et du milieu urbain ou rural.  Pour approfondir ce sujet, on peut d’ailleurs se référer à notre article publié dans une revue de sociologie de l’éducation en France, à travers ce lien:

https://journals.openedition.org/cres/3304

Cette hétérogénéité  constitue d’ailleurs l’une des très grandes faiblesses du système éducatif, car les enseignants appartiennent à des segments professionnels différents, aux intérêts parfois divergents, ce qui les empêche de mener une action concertée, car le syndicat a souvent du mal à concilier les intérêts catégoriels.  D’où l’opportunité et la pertinence d’un syndicat de plus,  qui se consacre uniquement à la défense des intérêts catégoriels de l’enseignement supérieur, ce qui ne peut qu’alléger la tâche du SLEG, tout en rendant le syndicalisme guinéen plus professionnel et technique.  Il s’agit aussi d’une question de bon sens ; les syndicalistes de l’enseignement supérieur sont des professeurs qui travaillent à l’Université et qui connaissent mieux ce milieu : ils sont donc mieux placés pour défendre les intérêts de leurs collègues.  

Enfin, la création du syndicat du supérieur constitue un rempart à la politisation et à l’ethnicisation de l’action syndicale, au profit d’un syndicalisme plus technique, professionnel et objectif. Rappelons-nous que l’une des faiblesses du syndicalisme guinéen a été, depuis 2007, au moment des émeutes vers la fin de règne de Lansana Conté, le glissement progressif des syndicats dans le champ politique. Leurs revendications avaient, en ce moment, un caractère plus politique que professionnel, du moment où ils demandaient la démission du chef du gouvernement ou du Président de la République. Finalement, certains leaders syndicaux ont été cooptés par le pouvoir en occupant des fonctions au niveau de l’appareil d’Etat.

Actuellement, le syndicat de l’enseignement supérieur se démarque d’une telle culture syndicale, en se focalisant sur  des   aspects très concrets et objectifs.  D’ailleurs, suite au  refus   d’adhérer aux récentes grèves du SLEG, les syndicats du supérieur ont été injustement qualifiés de  syndicats du gouvernement ou du ministre, mais en réalité ils  ont toujours continué à faire des revendications à l’interne, au niveau de leurs institutions respectives.   Par exemple, à l’Université Julius Nyerere de Kankan, nous tendons vers un syndicalisme de consensus, car les syndicats posent leurs problèmes à la hiérarchie de l’Université de manière réaliste et responsable, en évitant autant que possible des affrontements stériles.

La création du SNAESURS n’est donc pas une demande de divorce avec le SLEG car, même si chaque syndicat défend les intérêts de ses travailleurs, rien ne les empêche de mener des batailles communes lorsqu’il y a une convergence des intérêts de l’ensemble des enseignants.  Ce qui compte, c’est de dépasser les querelles d’ego ou du moins les cultes de personnalité, qui opposent les différents leaders syndicaux au détriment de la défense des intérêts des travailleurs.  

Dr Abdoulaye Wotem Sompare

Enseignant-chercheur, sociologue du travail

Vice- Recteur chargé des études, Université de Kankan

vendredi 24 août 2018

L'insoutenable procès à l'Imam de Kindia sur fond de faux débat




Au moment où nous devons nous pencher sur les problèmes de développement socio-économique de notre Pays, qui ne se réalisent que dans un climat de quiétude et de coexistence pacifique, nous sommes en train de gaspiller notre temps et nos énergies dans un débat stérile et teinté de formalisme juridique. Il s’agit de polémiques autour des propos jugés ethnocentristes et incendiaires de l’Imam de Kindia. Plusieurs acteurs politiques, au premier rang desquels se trouvent le Ministre de l’Unité nationale et de la citoyenneté, des leaders de l’UFDG et certaines associations et personnalités de la société civile, se focalisent sur les propos de ce chef religieux. Les plus virulents s’acharnent sur El Hadji Camara et menacent même de le traduire en justice. En toute vraisemblance, l’Imam aurait dit publiquement que le maire de Kindia devrait être[Utente1]  un ressortissant de cette ville ou, du moins, selon les diverses interprétations, il aurait exhorté les fidèles musulmans à soutenir un candidat de ce profil. Or, de tels propos, qui constituent une ingérence d’un chef religieux dans la sphère politique et publique, prétendent exclure de la compétition politique des candidats et des partis protagonistes du micro-champ politique de la commune urbaine de Kindia. D’où l’indignation et les agissements de ces derniers. De plus, le Ministre de l’Unité nationale et certains acteurs et associations de la société civile, plus soucieux du respect des droits de l’homme, s’indignent et s’attaquent également à l’Imam.

Si nous examinons en toute objectivité ce problème, en tenant compte des réalités socioculturelles de la vie politique en Guinée, il y a lieu de reconnaitre que ce leader religieux a dit tout haut ce que la majeure partie des guinéens pense tout bas, dans un contexte de culture politique paroissiale. Comme l’ont déjà montré des politologues américains, certains Etats, notamment les plus récents, présentent de fortes identités ethniques et régionales. Cela amène les populations à faire confiance à des leaders issus de leur propre région ou groupe ethnique, dans la conviction qu’ils seront les seuls à pouvoir défendre les intérêts de leur communauté.  C’est pourquoi, dans le cas guinéen, à l’exception de quelques rares préfectures plus cosmopolites, notamment Fria, Boké ou Mamou, pendant les élections communales, les candidats sont en général des natifs autochtones des localités. De plus, dans le cadre d’une élection communale qui est par définition locale, le fait de souhaiter qu’un natif soit élu n’est pas vide de sens, dans la mesure où la politique de la décentralisation a pour objectif de favoriser la participation des populations concernées et de les rapprocher des institutions et des services, pour qu’elles s’engagent davantage dans le projet de développement local. Dans ce cas, même dans les Pays occidentaux dont nous imitons la démocratie, pendant les élections locales les candidats sont souvent des natifs des localités ou des personnes qui y vivent depuis longtemps, où ils ont fait leur preuve en termes d’implication et de réalisation de certains projets d’intérêt collectif. Dans ce cas, les candidats à la mairie de Kindia, sans afficher leur identité ethnique, doivent plutôt prouver leur ancrage et appartenance à cette ville. A notre humble avis, il serait donc exagéré et injuste de traduire en justice l’imam au lieu de plutôt chercher à nuancer son discours tout en le mettant en garde sur les éventuelles dérives et effets pervers de ses propos.  L’Imam a certainement fait une erreur de communication en s’ingérant dans les affaires de l’Etat tout en transgressant ainsi les principes de la mission d’un chef religieux dont le discours doit être au-dessus de la mêlée politique et aller toujours dans le sens d’un apaisement des tensions sociales, qui empruntent souvent des connotations ethniques et régionalistes.  Mais il ne saurait être sacrifié sur l’autel des valeurs républicaines, qui ne sont pas toujours respectées même par ceux qui les poursuivent. Nous pensons qu’il est nécessaire de poser ce problème en termes de communication des leaders religieux, qui demande d’être contrôlée et recadrée par le Ministère des Affaires Religieuses et la HAC (Haute Autorité de la Communication), afin d’éviter des ingérences dans la vie politique. Enfin, il y a lieu de rappeler que nous sommes de tradition gérontocratique et nous vivons dans un Pays où le sentiment religieux est encore très fort. Nous ne sommes pas en France, le Pays des Droits de l’Homme, où la Révolution de 1789 a fait reculer de manière très violente l’influence des institutions religieuses sur l’opinion. Si l’on peut, en Guinée, remettre en cause les propos d’un Imam et les contester, on ne saurait l’attaquer de manière très violente en menaçant de le traduire en justice. Un éventuel procès d’un tel notable constituerait une blessure profonde de la conscience collective des populations de cette localité, ce qui pourrait menacer la coexistence pacifique des communautés et des religions. 

Dr Abdoulaye Wotem  Sompare



samedi 4 novembre 2017

Qui était Aboubacar Somparé? L'homme et le politique



La plupart des Guinéens connaissent l’honorable Aboubacar Somparé en tant que leader du PUP et ancien président de l’Assemblée Nationale, qui aurait pu devenir président après le décès du Général Lansana Conté. Le coup d’état dont il a été victime a malheureusement caricaturé son brillant parcours de grand commis de l’Etat, qui a rendu service à son Pays en occupant des postes importants dans les différents paliers de l’administration guinéenne.  En exerçant ses fonctions avec beaucoup de patriotisme, il a rendu ainsi service à son Pays. Aboubacar Somparé a été d’abord un brillant élève et étudiant, toujours majeur de sa promotion, comme l’a rappelé ces jours-ci   son condisciple et ami d’enfance, l’ex premier ministre Sidya Touré.
Né en 1944, dans le village de Dakonta, à Boké, il est le fils d’Amara Somparé et de Aissata Bayo et  le petit-fils d’un chef de canton, Almamy Yayo Somparé.    L’ancien président de l’assemblée a été engagé dans un processus de promotion sociale à travers sa scolarisation par son oncle paternel et homonyme, Abou Yayo  Somparé. C’est de cet oncle enseignant qu’Aboubacar Somparé a hérité son comportement d’enseignant éducateur en tant que symbole de la réussite scolaire dans la famille. A l’école, Aboubacar se révèle rapidement doué et brillant dans les études en devenant toujours premier de sa classe ou promotion, depuis l’école primaire jusqu’à l’obtention de son diplôme d’études supérieures en Maths-physique à l’université Gamal Abdel Nasser en 1 969. D’ailleurs c’est sur injonction de l’oncle, qui était déjà proche de la retraite, qu’il renonça à sa bourse d’études de troisième cycle à l’étranger, pour rester en Guinée et accomplir sa mission d’éducateur. 
  Son mariage, trois  ans plus tard, avec Astou Ka, Sénégalaise d’origine peule, obéissait à la même contrainte de responsabilité, comme il disait  souvent lorsqu’il exhortait ses frères à se marier tôt : «Moi je me suis marié très tôt parce que je devais m’occuper d’abord de mes frères et sœurs, j’avais des responsabilités à assumer  ». Effectivement, dès son affectation à son premier poste d’inspecteur et professeur de maths – physique à Labé,   le nouveau fonctionnaire  a assuré  le suivi scolaire de ses frères et ses sœurs nés dans les  années ‘50 jusqu’aux  plus jeunes de la génération ’70.  Aboubacar Somparé  semble donc  achever la mission d’éducateur et protecteur  de son oncle, qui fut l’un des premiers instituteurs de la Guinée .  En plus de  ses enfants, tous les jeunes membres de la famille  Somparé qui ont vécu chez lui ont fait des études supérieures.
  Le tempérament du premier, à l’école et dans la vie, l’a animé pour gravir tous les échelons de l’administration jusqu’au sommet de l’Etat.   En tant que grand commis de l’Etat, il a assumé de très hautes fonctions stratégiques. A une époque où l’on orientait les meilleurs étudiants vers l’enseignement, il a été très tôt affecté comme inspecteur de l’académie à Labé, en 1970.  Vers la moitié des années 1970, il occupa successivement la fonction d’inspecteur académique de l’éducation de Conakry 2 et de directeur de la RTG ( Radio Télévision Guinéenne). Ce poste le rapprocha de son mentor, le premier Président Ahmed Sékou Touré, qui découvrit la belle plume de ce jeune fonctionnaire très cultivé. Ils partageaient ainsi des séances de rédaction dans le cadre de la communication politique du leader nationaliste, dont les discours devaient être diffusés à la radio et à la télévision .  Convaincu de l’intelligence et de l’intégrité d’Aboubacar Somparé, le Président Sékou Touré l’affecta en France en tant qu’ambassadeur, à peine âgé de 36 ans, en 1978. En France, sa mission était de contribuer à la réconciliation avec l’ancien Pays colonisateur. Il accomplit cette mission avec un succès matérialisé par la visite du Président Valéry Giscard d’Estaing en France, à la fin des années ‘7o, et celle de son homologue guinéen Ahmed Sékou Touré en 1982, à Paris. Aboubacar Somparé a été donc l’un des principaux artisans de cette réconciliation. Comme le témoigne Djibril Kassomba, un intellectuel guinéen de la diaspora dans son ouvrage, Aboubacar Somparé avait contribué à rapprocher plusieurs guinéens vivant à l’étranger de leur famille restée en Guinée, tout en contribuant au retour de certains d’entre eux.
En 1984, suite au décès du Président Ahmed Sékou Touré et à la prise de pouvoir par les militaires, la situation était incertaine. Le diplomate guinéen a eu le courage de rentrer en Guinée, en se mettant encore au service de son Pays et en acceptant, dans un premier temps, les fonctions moins importantes. C’est ainsi qu’il a été d’abord nommé conseiller du Ministre de la Fonction publique, à l’époque Capitaine Mamadou Baldé du CMRN ; ensuite il est devenu  administrateur du Palais des Nations. Cette nouvelle nomination le rapprocha aussi  du nouveau Président, le Général Lansana Conté, auquel il preta également sa plume.  Vers la fin des années 1980, suite à la chute du mur de Berlin, dans un contexte de multipartisme et de révolte des étudiants partout en Afrique subsaharienne, Aboubacar Somparé a été affecté à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry comme recteur. Etant considéré en Guinée comme un modèle de réussite scolaire par beaucoup de jeunes, il a pu utiliser son charisme pour obtenir l’adhésion des étudiants, tout en contribuant à l’amélioration de leurs conditions de vie dans les campus. A l’Université de Conakry, il a su se montrer très accessible envers les leaders étudiants, tout en favorisant le retour des intellectuels de la diaspora au sein de cette institution. Il a ainsi fait preuve d’ouverture d’esprit, comme l’a témoigné l’un des plus grands  historiens guinéens Lanciné Kaba. Il favorisa également le retour et l’insertion professionnelle au sein de l’institution universitaire de plusieurs cadres guinéens issus de la diaspora, notamment le  Professeur Salifou Sylla.
 En 1990, dans un contexte de réforme et de transition de l’enseignement secondaire, il a été affecté comme le premier coordinateur du PASE (Programme Sectoriel de l’Education) pour épauler Madame Aicha Bah, Ministre de l’Enseignement et fonctionnaire internationale de l’UNESCO.  Il a sillonné avec elle plusieurs écoles de Guinée, en mettant son expérience encore une fois à la disposition de son Pays. Suite à l’adhésion de la Guinée au multipartisme, Aboubacar Somparé a été nommé Secrétaire général au Ministère de l’Intérieur et de la décentralisation, où il a contribué à organiser, avec les Ministres Sow et Alhassane Condé, la première élection communale de Guinée en 1991. Mais, à la veille des premières élections présidentielles, ce n’est pas une place de Ministre ou de Vice-Ministre qui l’intéressait. Il avait des idées et une ambition politique qu’il matérialisa en créant son parti avec des intellectuels tels que son ami, Mamadi Diawara.  En renonçant au poste de Secrétaire général du Ministère de l’intérieur pour se lancer dans l’arène politique, il intégra la coalition des Partis fédérés, créée par le Général Président Lansana Conté. Au PUP, en s’imposant comme leader charismatique, il finit par se positionner comme un successeur potentiel du président vieillissant. L’objectif de Somparé n’était pas d’occuper un poste ministériel pour se remplir les poches. D’ailleurs, après la mutinerie de 1996, il profitera de ses rares moments d’influence sur le Président pour favoriser la nomination de certains jeunes cadres à des postes ministériels, indépendamment de leur appartenance ethnique.  En poursuivant patiemment son objectif politique, Aboubacar Somparé finira par devenir Président de l’Assemblée Nationale, malgré la volonté du Président Lansana Conté et grâce au soutien de la base du parti, notamment des femmes du PUP.  D’où les conflits latents, alimentés par certains cadres du PUP, qui ont miné les relations entre les deux hommes politiques, jusqu’à la disparition du Général Conté en décembre 2008. A partir de cette date Aboubacar Somparé, le principal perdant du coup d’état de Dadis Camara, a subi un isolement politique.
Cependant,  Somparé apparaissait dans l’arène politique guinéenne comme un rassembleur dans un contexte de  bipolarisation et de surcommunautarisation  de la vie politique, marquée par l’ethnocentrisme. C’est pourquoi il n’a jamais rompu le dialogue avec des leaders tels que Jean Marie Dore, Bah Oury, Kory Koundiano etc. Ils discutaient chaleureusement, de manière très détendue, avec beaucoup d’humour. Il acceptait d’être traité en petit frère par l’actuel Président, puisqu’ils étaient tous les deux natifs de Kakandé et que leurs parents se connaissaient.  D’ailleurs, ces cérémonies de funérailles, qui réunissent toutes les grandes personnalités politiques de ce Pays, au premier rang desquelles se trouvent le Président Alpha Condé,  Sidya Touré, Hadja Saran Daraba, Cellou Dalein, Fodé Bangoura et Monsieur Makanera, Youssouf Kiridi Bangoura, témoignent bien de sa carrure d’homme d’Etat au-dessus des clivages politiques et ethniques.
Sur  le plan politique, certains pourraient lui    reprocher   d’avoir  parfois  manqué du  courage politique nécessaire pour se démarquer davantage de  Lansana Conté, dans la mesure où il y avait beaucoup de divergence de points de vue et de conflits latents entre les deux hommes politiques.  Ces critiques concernent surtout le refus, de la part de Somparé, de déclarer la vacance de pouvoir au moment où Conté était très vieux et malade, pour accéder à la présidence de la République. Il serait très long d’analyser ici la raison de cette réticence de Somparé à prendre le pouvoir, mais nous pouvons juste évoquer, ici, qu’il a été prisonnier d’un pacte moral avec l’ancien président, selon lequel, malgré leurs désaccords profonds, il lui devait une grande fidélité et loyauté. La rupture de ce pacte aurait constitué une trahison pour cet homme profondément croyant et imprégné des valeurs traditionnelles africaines, selon lesquelles le bien sera toujours remboursé en bien et le mal en mal.  De plus, la très grande croyance de Somparé  dans le destin, sa conviction qu’il serait président un jour par la grâce de Dieu,  l’a également empêché de mettre en place une véritable  stratégie de conquête du pouvoir. Il n’a pas su tisser ainsi autour de lui des réseaux de cadres et d’hommes d’affaires susceptibles de financer sa campagne, en sollicitant par exemple le soutien de nombreux hauts cadres guinéens dont il a favorisé l’émergence. Cela était très perceptible pendant l’élection de 2010, car il manquait cruellement de moyens financiers contrairement aux autres candidats, et de soutiens de poids des personnalités importantes à l’échelle nationale et internationale.   
 Comme Somparé était très croyant, voire fataliste et pacifiste, il n’a pas cherché non plus à avoir  ses hommes dans l’armée. Il savait que la destitution du Président, avec la déclaration de la vacance de pouvoir, comporterait    des risques en termes de pertes de vies humaines et d’instabilité politique sources d’insécurité dans le pays. La nature hybride du régime de Conté, à la fois civil et surtout militaire ne favorisait pas la réalisation d’un tel projet à un moment où le général président avait le soutien de l’armée malgré son impopularité au sein de la population civile.
Si, jusqu’ici, j’ai retracé le parcours de l’homme public, que beaucoup de gens connaissent déjà,  je voudrais maintenant parler de l’homme que je connais très bien, car il a été non seulement mon grand frère, mais aussi mon tuteur, chez  lequel j’ai grandi. Aboubacar était un pilier de la famille Somparé et un garant de son unité. Accessible à tout le monde, accueillant et aimable, sa cour était toujours ouverte aux plus puissants et aux plus modestes ; il savait adapter son discours et ses sujets de conversation au niveau et aux intérêts des uns et des autres. Il avait un attachement particulier pour son village natal, Dakonta, et pour la région de Boké, si bien que sa maison était un point de chute pour beaucoup de ressortissants de cette région, pour des parents venus se soigner ou chercher du travail, pour des élèves et des étudiants désireux de poursuivre leur éducation à Conakry. Il avait une sensibilité particulière pour les problèmes des femmes les plus fragiles de sa famille : ses sœurs, tantes et cousines ont souvent bénéficié de son aide et de son écoute. Jamais hautain, toujours attentif à tous les problèmes sociaux, généreux et rassembleur, il était d’une gentillesse rare et ses actions étaient inspirés par un profond sens de responsabilité vis-à-vis de sa famille.
C’était aussi un homme de culture, qui chérissait le savoir et la connaissance et qui savait, dans ce domaine aussi, rassembler ce qui, à première vue, peut paraitre opposé. Ainsi, sa parfaite maitrise de la langue française, qui lui permettait de rédiger des dizaines de pages sans aucune faute, sa connaissance des cultures et des civilisations européennes allait de pair avec un profond intérêt pour la tradition et l’histoire africaine. Il était à la fois un scientifique, diplômé de Mathématiques et enseignant de physique, et un littéraire profondément cultivé, qui aimait l’histoire et la littérature. Quelques jours avant sa mort, j’étais assis à son chevet, en train de l’écouter parler de la résistance de Samory Touré à la colonisation française. Son épouse Astou Ka, intellectuelle et cultivée, qui participait à ses discussions savantes et à son amour pour la connaissance, m’a exhorté à cette occasion à venir le voir plus souvent, pour écrire les histoires qu’il aimait raconter. Avec lui, je mettais de côté mon titre de docteur, tellement je me plaisais à écouter l’ancien enseignant, toujours désireux de partager son savoir.  Si notre relation a débuté autour des études, lorsqu’il m’encourageait à travailler en classe et qu’il me reprochait d’aimer trop le football au détriment des livres, c’est avec l’une de nos discussions intellectuelles qu’elle s’est terminée. Maintenant qu’il n’est plus là, il revient aux membres de sa famille et à tous les guinéens de maintenir vivant son héritage moral et intellectuel.
Dr Abdoulaye Wotem Somparé, sociologue

vendredi 22 septembre 2017

Kolaboui dans le cercle vicieux des émeutes de Boké



Décidément nous nous sommes retrouvés dans un cercle  vicieux de violences à Boké, depuis deux semaines, qui est entretenu par la gestion de l’amateurisme politicien de nos dirigeants et la culture de violence des jeunes qui sont très mal organisés. En tant qu’enseignant et originaire du village de Kolaboui, nous déplorons le caractère violent et anarchique  de la révolte des jeunes, qui ont détruit la gendarmerie, la police et se sont attaqué à la résidence du sous-préfet et du sous-préfet adjoint.  Même si nous sommes sociologues, notre propos, n’est pas d’expliquer, à tout prix, l’’inexplicable au point d’excuser l’inexcusable.
Nous avons été les premiers à montrer les impacts négatifs des implantations industrielles dans la sous-préfecture de Kolaboui, sur le plan économique, social et sanitaire. Cela dit, rien ne justifie de tels actes de violence et de vandalisme, dans une localité très cosmopolite, où les populations autochtones landouma, soussou et baga ont toujours vécu en harmonie avec leurs voisins diakhanké, peul et mikhiforè, qu’ils ont accueilli sur leurs terres et sont même devenus des parents à travers le brassage ethnique.  Ce chef-lieu de la préfecture, carrefour de la région, très riche en ressources agricoles et minières, ressemble désormais à une petite ville, mais qui n’a aucune infrastructure urbaine. Par exemple, il n’y a pas de route bitumée, au-delà de la route nationale reliant Boké à Kamsar et Conakry, pas d’adduction d’eau potable et ce sont les populations même qui s’organisent pour s’abonner à une entreprise qui leur fournit de l’électricité.  De plus, les infrastructures scolaires sont largement insuffisantes. Comme nous l’avons déjà expliqué dans un précédent article, l’unique complexe scolaire est surpeuplé, avec des effectifs pléthoriques entassés dans les classes et des enseignants débordés. Paradoxalement, après les premières émeutes, les autorités, qui ont toujours des solutions réactive, ont ignoré tous ces problèmes pour aller amadouer les jeunes de Boké ou de Kamsar, où il y a eu plus de révoltes.  Pourtant,Kolaboui est la sous-préfecture la plus directement touchée par les nouvelles exploitations minières. A Kolaboui centre,  où nous avons compté plus de deux-cent départs clandestins des jeunes candidats vers la Lybie, la migration témoigne du désespoir et du manque de perspectives de cette jeunesse. Dans les classes du lycée, plus de 80% des jeunes rêvent de suivre l’exemple de ceux qui partent . Les seuls à avoir profité de cette manne minière sont les rares jeunes hommes embauchés comme conducteurs de machines lourdes et de camions. Cela est dû  au manque d’intégration des entreprises dans l’économie locale, en l’absence de la transformation de la bauxite en alumine et en aluminium sur place. Nous assistons plutôt à une exploitation sauvage de la bauxite, chargés dans les bateaux en direction de la Chine sans qu’il n’y ait même pas un vrai port. De plus,  le manque de transparence et le népotisme rendent les processus d’embauche arbitraires et peu transparents, sources de frustrations des jeunes, comme nous l’avons souvent entendu. Comme le disait un jeune chauffeur au carrefour de la gare routière de Boké : « Allez-y là-bas, c’est le lieu de regroupement des travailleurs des entreprises minière. Tu ne verras pratiquement aucun natif de Kolaboui parmi eux ».   De telles réalités, qui entrainent des frustrations, créent forcément des groupes d’intérêt latents, dont les actions collectives se caractérisent le plus souvent par la violence et l’anarchie, s’ils n’agissent pas de manière concertée avec un projet de société. C’est ce qui manque à ces jeunes de Boké, qui ne pensent se faire entendre que par la violence, en détruisant leur bien collectif ; en s’attaquant au commissariat et à la gendarmerie ils exposent toute une ville à l’insécurité. Si les revendications des jeunes de Kolaboui, à l’instar des autres jeunes, sont légitimes quant au contenu,  elles perdent leur légitimité parce qu’elles adoptent une forme inacceptable : celle de la violence. Du coup, cette violence efface même le contenu de la revendication.  De telles violences, cependant, sont entretenues par les autorités, qui doivent comprendre que, dans un mouvement collectif, il y a plusieurs intérêts en jeu : à côté des  jeunes engagés pour le développement de leur localité, il y en a d’autres qui ne posent que des actes de vandalisme. Ces émeutes sont donc d’une maladresse et d’une violence qui n’ont d’égal que l’amateurisme politicien et le cynisme des dirigeants politiques, qui ne font que de tenter de calmer la situation. Sinon, comment peut-on comprendre que, après dix jours d’émeutes, ce soit le directeur des Impôts qui se retrouve là-bas en position de médiateur, dans une République où il  y a un Ministère chargé de la jeunesse, et un autre qui doit s’occuper de la sécurité ? Le directeur a certes quelques possibilités de négocier avec les entreprises minières et surtout la CBG  en faveur de la population , mais les entreprises minières doivent simplement s’acquitter de leurs impôts, qui doivent être utilisées pour le développement local. C’est cette gestion catastrophique, en raison de l’amateurisme et de l’incompétence de quelques dirigeants et de la mauvaise foi des entreprises, qui contribue à envenimer les émeutes de Boké.