Au moment où nous devons nous pencher sur les problèmes de développement
socio-économique de notre Pays, qui ne se réalisent que dans un climat de
quiétude et de coexistence pacifique, nous sommes en train de gaspiller notre
temps et nos énergies dans un débat stérile et teinté de formalisme juridique.
Il s’agit de polémiques autour des propos jugés ethnocentristes et incendiaires
de l’Imam de Kindia. Plusieurs acteurs politiques, au premier rang desquels se
trouvent le Ministre de l’Unité nationale et de la citoyenneté, des leaders de
l’UFDG et certaines associations et personnalités de la société civile, se
focalisent sur les propos de ce chef religieux. Les plus virulents s’acharnent
sur El Hadji Camara et menacent même de le traduire en justice. En toute
vraisemblance, l’Imam aurait dit publiquement que le maire de Kindia devrait être[Utente1] un ressortissant de cette ville ou, du moins, selon les diverses
interprétations, il aurait exhorté les fidèles musulmans à soutenir un candidat
de ce profil. Or, de tels propos, qui constituent une ingérence d’un chef
religieux dans la sphère politique et publique, prétendent exclure de la
compétition politique des candidats et des partis protagonistes du micro-champ
politique de la commune urbaine de Kindia. D’où l’indignation et les
agissements de ces derniers. De plus, le Ministre de l’Unité nationale et
certains acteurs et associations de la société civile, plus soucieux du respect
des droits de l’homme, s’indignent et s’attaquent également à l’Imam.
Si nous examinons en toute objectivité ce problème, en tenant compte des
réalités socioculturelles de la vie politique en Guinée, il y a lieu de
reconnaitre que ce leader religieux a dit tout haut ce que la majeure partie
des guinéens pense tout bas, dans un contexte de culture politique paroissiale.
Comme l’ont déjà montré des politologues américains, certains Etats, notamment
les plus récents, présentent de fortes identités ethniques et régionales. Cela
amène les populations à faire confiance à des leaders issus de leur propre
région ou groupe ethnique, dans la conviction qu’ils seront les seuls à pouvoir
défendre les intérêts de leur communauté.
C’est pourquoi, dans le cas guinéen, à l’exception de quelques rares
préfectures plus cosmopolites, notamment Fria, Boké ou Mamou, pendant les
élections communales, les candidats sont en général des natifs autochtones des
localités. De plus, dans le cadre d’une élection communale qui est par
définition locale, le fait de souhaiter qu’un natif soit élu n’est pas vide de
sens, dans la mesure où la politique de la décentralisation a pour objectif de
favoriser la participation des populations concernées et de les rapprocher des
institutions et des services, pour qu’elles s’engagent davantage dans le projet
de développement local. Dans ce cas, même dans les Pays occidentaux dont nous
imitons la démocratie, pendant les élections locales les candidats sont souvent
des natifs des localités ou des personnes qui y vivent depuis longtemps, où ils
ont fait leur preuve en termes d’implication et de réalisation de certains
projets d’intérêt collectif. Dans ce cas, les candidats à la mairie de Kindia,
sans afficher leur identité ethnique, doivent plutôt prouver leur ancrage et
appartenance à cette ville. A notre humble avis, il serait donc exagéré et
injuste de traduire en justice l’imam au lieu de plutôt chercher à nuancer son
discours tout en le mettant en garde sur les éventuelles dérives et effets
pervers de ses propos. L’Imam a
certainement fait une erreur de communication en s’ingérant dans les affaires
de l’Etat tout en transgressant ainsi les principes de la mission d’un chef
religieux dont le discours doit être au-dessus de la mêlée politique et aller
toujours dans le sens d’un apaisement des tensions sociales, qui empruntent
souvent des connotations ethniques et régionalistes. Mais il ne saurait être sacrifié sur l’autel
des valeurs républicaines, qui ne sont pas toujours respectées même par ceux
qui les poursuivent. Nous pensons qu’il est nécessaire de poser ce problème en
termes de communication des leaders religieux, qui demande d’être contrôlée et
recadrée par le Ministère des Affaires Religieuses et la HAC (Haute Autorité de
la Communication), afin d’éviter des ingérences dans la vie politique. Enfin,
il y a lieu de rappeler que nous sommes de tradition gérontocratique et nous
vivons dans un Pays où le sentiment religieux est encore très fort. Nous ne
sommes pas en France, le Pays des Droits de l’Homme, où la Révolution de 1789 a
fait reculer de manière très violente l’influence des institutions religieuses
sur l’opinion. Si l’on peut, en Guinée, remettre en cause les propos d’un Imam
et les contester, on ne saurait l’attaquer de manière très violente en menaçant
de le traduire en justice. Un éventuel procès d’un tel notable constituerait
une blessure profonde de la conscience collective des populations de cette
localité, ce qui pourrait menacer la coexistence pacifique des communautés et
des religions.
Dr Abdoulaye Wotem Sompare