Il y a 5 mois, nous avons assisté,
à Boké, à des émeutes très violentes, au cours desquelles les jeunes avaient
exprimé leur colère contre le gouvernement, les autorités préfectorales et les
entreprises minières chinoises qui venaient de s’implanter dans la région.
Cette semaine, nous observons encore des manifestations très violentes des
populations des quartiers périphériques de la ville minière de Kamsar, puis
celles de Boké. Ce qui est frappant, les manifestants des deux plus grandes
agglomérations urbaines, situées à 55km l’une de l’autre, ont fait exactement
la même revendication en réclamant de l’électricité, qui apparait comme le gros arbre qui cache une forêt
de problèmes auxquels les habitants de Boké sont confrontés. L’électricité n’est
que la cause immédiate et apparente de leurs révoltes. Cela montre que les populations de Kakande
sont de plus en plus conscientes de partager les mêmes conditions de vie qui
leur confèrent désormais une forte identité. Or la sociologie montre que les actions
collectives menées par des individus qui partagent une forte identité sont très
difficiles à affaiblir. Comme nous avons
déjà souligné dans un précédent article, les mouvements sociaux auxquels les populations
adhèrent pendant très longtemps ont des causes profondes, sur lesquelles les
dirigeants doivent se pencher pour trouver une solution durable. Le
gouvernement ne saurait résoudre une crise sociale si sérieuse sans établir un
dialogue franc et sincère avec les populations, en les écoutant suffisamment
avant de prendre des engagements dans la mesure de ses possibilités. Or, les autorités
étatiques n’ont cherché qu’à trouver, jusqu’à présent, des solutions réactives
de bricolage avec beaucoup d’amateurisme. Pour calmer les jeunes de Boké, le président
s’était contenté d’offrir 70 camions à la jeunesse de cette localité. Ensuite, depuis
quelques mois, les sociétés minières chinoises, au premier rang desquelles se trouve
la SMB (Société Minière de Boké), offrent des dons tout en procédant à des dédommagements
aux populations riveraines de ses zones d’implantation. Par exemple, à
l’occasion de la fête de Tabasky elles ont offert des moutons et du riz dans
certaines localités de la région. Mais il s’agit là d’actions très dérisoires,
pour ne pas dire ridicules, par rapport à l’ampleur des impacts négatifs de
l’exploitation minière. Parmi ceux-ci, on peut citer la dégradation de
l’environnement, la privation des populations de leurs terres destinées à
l’agriculture, l’inflation des prix des denrées de première nécessité, l’insécurité
et le surpeuplement des écoles, insuffisantes pour répondre à la demande
scolaire d’une population qui a énormément augmenté suite à l’arrivée des
ouvriers. De plus, ces implantations minières ont suscité beaucoup d’espoirs
chez les populations, qui étaient convaincues que les nouvelles entreprises allaient
contribuer à la création de plusieurs emplois et au développement local de la
région. Or, toutes ces attentes n’ont pas été satisfaites pour plusieurs
raisons que nous allons détailler.
Tout d’abord, les implantations
et les exploitations minières n’ont pas été précédées de sérieuses études
d’impact- socio-économiques, ou elles n’ont pas respecté les recommandations
des experts socio- anthropologues et des spécialistes de l’environnement. Les
populations riveraines n’ont pas été suffisamment informées et préparées à une implantation
d’une telle ampleur, à ses inconvénients et ses avantages sur le plan
économique et social. Tous les habitants des localités et les originaires de la
région de Boké que j’ai rencontré sont dépassés par la rapidité, voire la brutalité
et le manque de transparence avec lesquels les entreprises ont commencé
l’exploitation minière. Ils sont aussi désagréablement surpris de l’ampleur et
de l’intensité des exploitations, qui peuvent être mesurées par le nombre
important des camions qui circulent et stationnent dans la région, en
encombrant et en dégradant les routes et en exposant la population aux
accidents.
De surcroit, ces entreprises ne
créent pas suffisamment d’emploi, parce que nous n’assistons pas à une
localisation de la production, c’est-à-dire à une transformation de la bauxite
en alumine, puis en aluminium sur place. Même CBG, qui embauchait dans le passé
jusqu’à 4000 salariés, n’a pas pu procéder à une telle transformation :
elle ne fait qu’extraire la bauxite, la sécher et la transporter à l’état brut
dans les bateaux. Cependant, elle a créé un minimum d’infrastructures,
notamment toute la Cité de Kamsar, une enclave moderne, avec l’eau et
l’électricité, des routes, un hôpital et une école. Or, les nouvelles sociétés
chinoises n’ont même pas bitumé les routes et construit des ports. La bauxite
est transportée à l’aide des barques dans les bateaux et les camions qui la
transportent soulèvent beaucoup de poussière qui dégrade l’environnement et la
santé des riverains. Donc, cette installation minière ne contribue pas au
développement local de la région, mais plutôt à la dégradation de la qualité de
vie des populations. Nous assistons à un déséquilibre entre l’exploitation
abusive d’une région très riche en ressources naturelles et l’extrême pauvreté
des populations. C’est ce qui constitue
vraiment la cause profonde des révoltes des populations, qui se sentent pillées
et sous-estimées. Après les premières émeutes de Boké, le gouvernement a opté
pour une approche plus communautaire et politique, qui consistait à transformer
ce problème en ressource politique pour le Président et à amadouer les
populations. Les entreprises minières ont été encouragées à offrir des dons aux
communautés locales, qui n’ont été, finalement, que des calmants qui n’ont pas
endormi les populations pendant longtemps. D’ailleurs, les émeutes en cours
n’ont fait que montrer les limites, voire les effets pervers d’une telle
approche, que j’ai déjà critiqué dans ma première étude sur le secteur minier,
il y a plus de dix ans . D’ailleurs,
l’approche communautaire, comme nous l’avons vu en haute Guinée et en Guinée
forestière, crée plus de problèmes
qu’elle ne résout, dans la mesure où elle fait croire aux ressortissants des
localités d’implantation qu’ils seront les premiers bénéficiaires de l’emploi.
Les ressources naturelles de la Guinée appartiennent à tous les Guinéens mais,
lorsque leur exploitation est bien intégrée dans les économies locales, les
populations riveraines seront naturellement les premiers et les principaux
bénéficiaires. Cela dépendra donc de leur capacité d’appropriation à travers
les initiatives locales. C’est pourquoi, au lieu de distribuer des dons, il
faut plutôt contribuer au renforcement des capacités des populations locales, à
travers des formations.
Finalement, cette crise est révélatrice des
défaillances de la démocratisation de notre pays, dans la mesure où la
démocratie ne se limite pas à l’organisation des élections. Elle doit se
traduire dans les consultations des élus du peuple, au niveau national et
régional, de la sociétés civiles, des universitaires qui détiennent l’expertise
sur ces questions. Elle doit s’appuyer sur une communication politique transparente,
visant à rendre compte aux populations des actions des autorités, mais aussi à
écouter les demandes, les revendications et les inquiétudes des populations à
travers leurs représentants. Bref, il faut un cadre de transparence et de
dialogue pour nous mettre à l’abri de la violence et permettre une meilleure
mise en valeur de nos ressources.
Dr Abdoulaye Wotem Somparé
awsompare@gmail.com
Sociologue du travail et spécialiste
du secteur minier guinéen.
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