Cette semaine a été
marquée, en Guinée, par les émeutes communautaires et urbaines dans la région
de Boké, où les populations se sont soulevées contre les autorités
préfectorales et les nouvelles sociétés minières, pour réclamer de l’emploi, de
l’eau et de l’électricité. Les
manifestant ont malheureusement saccagé les édifices publics, notamment la
mairie de la Commune urbaine de Boké et quelques véhicules ou engins lourds
appartenant à certaines entreprises minières. En faisant des barrages, ils ont
empêché toutes les activités économiques, y compris le passage du train reliant
nuit et jour , depuis un demi siècle, les gisements miniers de Sangaredi au
port de Kamsar, sans jamais connaitre d’interruption. Comment en est-on arrivé là, dans une région
si paisible, qui a toujours été à l’abri de grandes émeutes d’ampleur
nationale, comme celles de 2007-2008 ? On n’a jamais connu une telle
violence, dans cette région cosmopolite, où les différents groupes ethniques coexistent
harmonieusement . Comme on le soulignait
dans un article précédent sur notre blog
(www.guineeclairages.blogspot.com) , il y a trois mois, ce conflit s’enracine
dans la régression du secteur minier, ayant des impacts négatifs sur les
conditions de travail et de vie des populations. En effet, on s’attendait à une amélioration des
premières politiques minières de la Guinée, qui ont favorisé la création de la
Compagnie Bauxite de Guinée et de Fria, dont le cerveau moteur des
négociations, le premier Président guinéen Sékou Touré n’était qu’un autodidacte, ayant fréquenté
l’école coloniale seulement pendant six ans. Malgré son combat et ses
dénonciations visant à la localisation de la production, c’est-à-dire la
réalisation de toutes les étapes de la production sur place, jusqu’à la transformation de la bauxite en alumine, puis
en aluminium, il n’a pas pu atteindre les résultats escomptés. La bauxite de
Fria, dont l’entreprises est aujourd’hui fermée, ne sera transformée qu’en
alumine et celle de Boké est toujours transporté à l’état brut vers les Pays
occidentaux. Or, l’ambition de Sékou Touré, qui avait une véritable vision
macroéconomique, était de s’appuyer sur le secteur minier comme moteur du développement par effet
d’entrainement, qui favoriserait l’essor d’autres secteurs de l’économie
guinéenne, comme, par exemple, l’agriculture. En fait, cette vision
correspondait à la théorie économique du trickle
down, en vogue à l’époque, selon laquelle il fallait cibler des secteurs
portants de l’économie, qui produiraient des richesses à investir dans d’autres
secteurs. D’ailleurs, des études comme
celles de Bonnie Campbell montrent que la Guinée a été perdante sur tous les
plans dans les négociations avec ses partenaires dans la mise en valeur de la
bauxite (Bonnie Campbell, 1983, Les
enjeux de la bauxite en Guinée). Cet échec s’explique par le fait que le
jeune Etat guinéen, dont les caisses étaient vides, avait peu de marges de manœuvre dans un contexte d’isolement international
et de solidarité entre les multinationales des différents Pays occidentaux
impliqués dans la négociation.
A défaut de la
délocalisation, nous avons finalement assisté à la création d’implantations
industrielles qui apparaissaient comme des enclaves modernes : c’était surtout le cas de Boké, alors qu’ à Fria l’entreprise était un peu mieux intégrée dans
l’économie locale. Cependant, ces entreprises, qui n’ont pas pu
donner des salaires très élevés à leurs travailleurs, parce que nous étions
dans un régime socialiste, leur ont cependant offert de très bonnes conditions de travail et de
vie, avec des garanties d’accès à l’assistance médicale et la distribution de denrées alimentaires. Le passage d’un régime
socialiste à un régime libéral du Général Lansana Conté a favorisé
l’augmentation des salaires des travailleurs et de leur pouvoir d’achat. C’est
pourquoi, par exemple, à Boké, l’embauche à la CBG était
synonyme d’accès à un emploi stable et de réussite sociale. Depuis la mise en
place de la politique de restructuration de la CBG, visant à réduire ses couts
de production, à partir des années ’90, les travailleurs miniers deviennent de
plus en plus nombreux, mais ils sont embauchés par des entreprises de
sous-traitance, qui leur offrent des emplois précaires et de mauvaises
conditions de travail. La CBG, qui détenait, jusqu’alors, le monopole de la
bauxite en Guinée, justifiait sa politique par le fait qu’elle n’était plus
l’entreprise qui vendait la meilleure bauxite du monde. Dans un contexte de
mondialisation et de concurrence, elle ne pouvait plus être cette entreprise
paternaliste et de providence capable de s’occuper de tout, notamment de la
santé des travailleurs.
Avec l’avènement de la troisième République,
dirigée, pour la première fois dans l’histoire de la Guinée, par un Président intellectuel issu de la
diaspora, on s’attendait à une amélioration de la politique minière de la
Guinée, capable de tirer des
enseignements du passé tout en
préservant les acquis de la première et de la deuxième république. De plus, son
avènement au pouvoir à partir de 2010 coïncide avec la revalorisation des
ressources minières, désormais recherchées par les nouveaux Pays émergents,
tels que la Chine. Comme ironie du sort, ces nouvelles sociétés minières
chinoises se sont installées sans une véritable consultation du peuple à
travers ses représentants à l’Assemblé et sans consulter et impliquer les
communautés locales. Leur implantation n’a pas été précédée non plus par des
études d’impact sérieuses, s’appuyant sur des connaissances
socio-anthropologiques , économique, géographiques, permettant de prendre en
compte, par exemple, les problèmes fonciers et la paupérisation des populations
autochtones, qui se sentent de plus en plus dépossédés de leur terre. De
surcroit, la production étant mal intégré dans l’économie locale, elle
n’entraine pas le développement. Ces
nouvelles exploitations minières nous offrent un triste spectacle : dès
l’entrée de Kolaboui, on est d’abord
frappés par l’importance du trafic des camions qui transportent la bauxite et qui, pendant leur stationnement, rétrécissent
la route. Cette circulation est d’ailleurs en train de contribuer à la
dégradation de la seule route bitumée, qui traverse la région de Kamsar à Sangaredi. De plus, les populations sont de
plus en plus exposés à des accidents et
à la respiration de la poussière,
qui peut entrainer des allergies et déclencher de graves pathologies broncho-pulmonaires. En me rendant dans mon
village natal de Dakonta, situé à 5 km de Kolaboui, j’ai été surpris de
découvrir une route non bitumée, de la taille d’une autoroute, à la place d’une
plantation d’acajou et des champs. Sur cette route, les camions qui roulent à
vive allure soulèvent des poussières qui se déversent sur les habitats et sur
les arbres. Une dégradation de l’environnement de cette ampleur, n’épargne ni
les populations locales, dont la santé est menacée, ni la production agricole.
Il s’agit de routes reliant les mines de chargement de bauxite aux embarcadères
d’embarquement, tels que Katougouma et Daplom, où les infrastructures
portuaires n’ont pas été construites. Dans ces ports, les entreprises ne font
que transporter la bauxite à l’état brut dans des barques qui rejoignent des
bateaux au milieu de la mer : de quoi remuer le
premier président Sékou Touré dans sa tombe. Non seulement ces installations
minières n’ont pas permis aux populations de bénéficier d’ infrastructures
routières et portuaires, dont elles ont besoin pour se développer mais, malgré
les illusions, elles n’ont pas non plus contribué à la création de plusieurs
emplois. La nature de cette production ne nécessite que l’embauche de chauffeurs
et de conducteurs. Les conducteurs de machine, qui gagnent au maximum trois
millions par mois, sont soumis à de mauvaises conditions de travail et de vie,
qui se traduisent souvent par des licenciements abusifs. Une telle production,
qui n’a pas besoin d’emplois qualifiés, ne va pas non plus contribuer à la
formation des jeunes, contrairement à Fria et la CBG, qui ont formé des
générations d’ouvriers qualifiés et de cadres.
Nous avons également
promené notre regard dans le panier de la ménagère de Kolaboui et de Boké, qui
souffre de l’augmentation des prix des denrées de première nécessité, liée à l’arrivée
de nouveaux travailleurs qui entrainent une croissance de la demande et une
pénurie de certaines denrées alimentaires, telles que la viande. Par exemple,
le kilo de viande est passé de 20.000 FG à 25.000 FG, voire 28.000FG selon les
endroits. Il y a de l’inflation aussi sur le plan foncier, car l’arrivée de
nouveaux travailleurs et des commerçants qui s’installent contribue à
l’augmentation des prix des terrains : c’est ainsi que les populations
autochtones, landouma et soussou, sont de plus en plus tentées de vendre leur
terrain. A Boké, les populations que nous avons écoutées dans les gares
routières, dans les cafés et autour du thé, dans les grains ou staff, ont
l’impression d’être envahis et pillés par les étrangers. C’est pourquoi les revendications des
populations empruntent une coloration communautaire et ethnique, car elles
pensent que les natifs de la région ne sont pas suffisamment embauchés au sein
de ces entreprises, comme en Haute Guinée et à Siguiri. Ce genre de
revendications n’ont jamais existé à Boké en cinquante ans d’exploitation minière. Les habitants
remettent en cause les recrutements, en expliquant que les emplois sont obtenus
à travers la corruption et le népotisme. C’est pourquoi, lors de nos dernières
enquêtes à Kolaboui et dans les villages environnants, nous avons enregistré le
départ de plus de 500 jeunes par la voie de l’immigration clandestine vers la Lybie
et le Niger. En discutant avec les jeunes, nous nous sommes rendus compte
qu’ils ne considèrent pas ces nouvelles exploitations minières comme des
opportunités pour trouver de l’emploi et réussir en restant en Guinée. D’ailleurs,
l’ampleur de la migration dans cette région témoigne du désespoir et du
pessimisme de cette jeunesse.
Finalement, si
les choses continuent de cette manière, ces implantations minières qui ont suscité
beaucoup d’espoirs ne créeront que des problèmes socio-économiques dans cette
région. A la fin de cette exploitation, les populations locales risquent de
se retrouver avec un environnement
dévasté, une agriculture détruite des
problèmes de délinquance et d’insécurité typiques des zones minières. C’est
pourquoi il est urgent de se saisir de
cette opportunité pour trouver une solution durable. Il ne s’agit pas de faire
des bricolages, sans se pencher sur les impacts socioéconomiques des
installations, en écoutant suffisamment les communautés afin de comprendre les
raisons de leurs difficultés et la colère qui en résulte. Il faut également
réfléchir à des stratégies socioéconomiques visant à mieux intégrer ces
exploitations minières dans l’économie locale, en amenant les entreprises à
contribuer au développement des localités.
Nous regrettons vraiment la destruction et les violences causées par ces
émeutes : on ne peut pas revendiquer en démolissant nos acquis, tels que
la mairie et les routes qui nous appartiennent. La violence n’est jamais une
manière acceptable d’exprimer des exigences qui méritent, tout de même, d’être
entendues et prises en compte par les autorités compétentes, pour que l’exploitation
minière soit source d’un véritable développement local.
Dr Abdoulaye Wotem
Somparé
Sociologue du travail
et du développement
Spécialiste du secteur
minier guinéen
Merci Dr pour cette publication qui m'a été un cours plus que celui dont j'ai suivi en classe.
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