Depuis deux jours il y a , en Guinée, une vidéo qui est
largement diffusée sur les téléphones portables et sur les réseaux sociaux. Il
s’agit des images pornographiques d’une jeune femme guinéenne qui est en train
d’être violée par deux hommes- bourreaux, âgés d’une quarantaine ou
cinquantaine d’années. De telles images
cruelles témoignent, encore une fois, de la violence basée sur le genre
dont sont régulièrement victimes nos sœurs, nos filles et nos amies. La violence
basée sur le genre désigne toutes les souffrances physiques et morales
infligées aux femmes en raison de leur appartenance sexuelle. De telles images
malsaines, abominables et honteuses, qui ne doivent pas nous laisser
indifférentes, sont malheureusement entretenues par les réalités de notre
société, que nous avons tolérées en raison de la permissivité et du mimétisme
ambiants. Notre propos ici n’est pas de
faire du sociologisme, en tentant d’expliquer à tout prix tous les
comportements des individus par les réalités socioculturelles. D’ailleurs,
comme le disait un homme politique français, « à force d’expliquer l’inexplicable, on finit par accepter l’inacceptable ».
Ces images qui circulent sont insoutenables et inadmissibles. Les deux
bourreaux qui ont violé et ceux qui ont mis ces images en ligne ont commis des
crimes qui doivent être poursuivis. Ce fait divers nous amène d’ailleurs à réfléchir
pour comprendre comment nos filles peuvent se retrouver dans de telles
situations.
En Guinée, le corps des filles, mis en scène à travers leur
mode vestimentaire, est réduit à un objet de spectacle et de fantasmes qui alimentent
la libido masculine. Ainsi, au lieu de valoriser leur beauté, un tel
habillement contribue plutôt à la dégradation de la condition féminine, où les
filles sont réduites à un objet de plaisir des hommes et de démonstration de
leur pouvoir matériel et financier. Certes, les jeunes filles peuvent se sentir
plus désirées quand elles sont habillées de manière décolletée et provoquante,
mais elles ne s’aperçoivent pas qu’elles sont plutôt assimilées à des proies, à
conquérir comme des trophées. En Guinée, beaucoup de jeunes femmes sont
désormais porteuses de ces fausses valeurs, qui se traduisent par l’achat de
beaux vêtements et de produits de beauté de luxe, dont leurs familles n’ont pas
les moyens. Elles adhèrent, à leur insu, à un style de vie de la bourgeoisie de
consommation des Etats africains, composée essentiellement de prédateurs de l’économie
responsables du sous-développement africain. C’est en adhérant à ce mode de vie
avec la complaisance, voire la complicité de certains parents, que les jeunes
filles cherchent à tout prix des relations avec des hommes aisés qui peuvent
les entretenir. Parmi ceux-ci, il y a beaucoup de nouveaux riches arrogants. C’est
ainsi qu’elles se retrouvent dans le cercle vicieux de la prostitution
informelle, inconsciente ou consciente. Si la prostitution ne concernait que
les filles pauvres des bas quartiers et des bidonvilles des Conakry, elle
touche désormais de plus en plus les filles issues de familles relativement
aisées. Ces dernières se prostituent pour accéder à des produits de luxe, tels
que les mèches, qui coutent jusqu’à trois millions, alors que le salaire d’un
cadre supérieur guinéen n’atteint même pas ce montant. A notre avis, la seule manière d’aider nos sœurs
à sortir de cette prison consiste d’abord à supprimer cette économie de beauté
artificielle, ce qui n’est pas possible sans la participation des parents qui
tolèrent, avec beaucoup de complaisance, les accoutrements de leurs filles. Par
exemple, comment un père de famille peut-il tolérer que sa fille, qui ne
travaille pas, porte un ensemble vestimentaire (y compris la coiffure)de la
valeur de cinq millions, ce qui correspond à deux mois de son salaire s’il est
cadre supérieur de la fonction publique, sans parler des parents ouvriers
informels ou chômeurs, beaucoup plus nombreux en Guinée ? Les parents ont
donc un grand rôle à jouer afin de mettre leurs filles à l’abri de certaines
tentations, à travers la surveillance,
la répression, mais aussi l’éducation et la communication. Si nous ne pouvons
pas interdire ces produits de luxe, il
faut au moins les saboter, en utilisant les media et le théâtre pour se moquer
de la vision sérieuse de cette course effrénée de nos filles vers la beauté
artificielle qui devrait leur procurer un mari ou un amant nanti.
Nous devons également
amener les jeunes à faire un bon usage de la nouvelle technologie qui, au lieu
d’être un moyen d’accès aux informations et aux connaissances, a des effets
pervers négatifs plus nombreux que son utilité pour la jeunesse guinéenne. Il
est devenu, pour ces derniers, un refuge ou une échappatoire où ils se croient
permis de tout faire. Les jeunes en
phase de socialisation, qui ont besoin d’être encadrés, échappent complètement
au contrôle des parents. Nous continuons d’éduquer les jeunes selon la
tradition, comme si les téléphones portables et l’internet n’existaient pas
dans notre monde mondialisé, qui est devenu un village planétaire. Il est donc
urgent de prendre en compte rapidement ces paramètres de la nouvelle
technologie dans l’éducation des enfants. L’usage des réseaux sociaux est un couteaux à double tranchant qui, d’un côté,
permet à tout le monde de se construire une image valorisante, mais qui, d’autre
part, peut aussi se retourner contre les
usagers, en les humiliant jusqu’à les amener au suicide, comme cela arrive dans
certains Pays européens. Il y a aussi un phénomène de curiosité et de voyeurisme
qui entretient de tels phénomènes : cela nous concerne tous, car si nous
ne regardons pas de tels phénomènes, les intéressés ne vont pas filmer et
diffuser. C’est pourquoi il faut des mécanismes de régulation et de contrôle social,
pour limiter cette curiosité, morbide mais humaine, qui amène les individus à
regarder de telles scènes. Ces mécanismes existent déjà à la télé, où la
pornographie n’est pas diffusée, mais sont pratiquement absents sur l’internet, si bien
que les réseaux sociaux sont en porte-à-faux avec les mécanismes de contrôle social
de nos sociétés. De tels mécanismes sont encore plus nécessaires lorsque de
telles scènes pornographiques visent à humilier une personne.
Quant aux deux
violeurs, ils se sont vraiment rabaissés dans cette vidéo où ils apparaissent
comme deux males qui s’acharnent sur une femelle réduite en proie, d’où le
caractère animalier de leur comportement. Ces images sont dignes d’un véritable
film pornographique, qui contribue à rabaisser l’homme qui se distingue des
animaux inférieurs par le tabou de l’inceste et la pudeur qui entoure la
sexualité. Comme l’explique Claude Lévi-Strauss, la civilisation commence avec
le tabou de l’inceste, car, à travers l’interdiction d’avoir des relations avec
des femmes très proches (la femme, la sœur, la fille) l’homme ne se comporte
plus comme un animal, dont la sexualité est guidée seulement par l’instinct. Au
contraire, grâce à la culture, l’homme a
pu maitriser ses pulsions sexuelles. Il va jusqu’à donner des fonctions à sa
sexualité au-delà de la reproduction biologique, notamment à travers la
filiation, le lien social construit avec l’échange des femmes à travers le
mariage et la transmission de l’héritage. Dans ce cas, en voulant jouir
sexuellement de leur victime, pour satisfaire leur fantasmes et exprimer en même
temps leur puissance matérielle et financière (la
scène a lieu dans un hôtel de luxe), ils
ont infligé à cette femme une violence
physique et morale qui risque de la détruire et d’humilier sa famille. Or, les deux bourreaux violeurs se sont rabaissés du même coup et ils ont
humilié également leurs proches. C’est pourquoi tous les citoyens de la Guinée
et du monde, ayant des sœurs, des filles, des nièces, doivent se lever pour exprimer leur
indignation face à de telles images abominables. Il faut aussi commencer à
saboter de telles tentatives d’humiliation, en supprimant ces images des
téléphones, en évitant de les partager et de les faire circuler.
Abdoulaye Wotem Sompare.
Bien dit mon dr
RépondreSupprimerBien dit mon dr
RépondreSupprimerTrès belle analyse Docteur,mais j'ai une queston l'ambition malsaine et les modes d'habillement de nos soeurs n'est-il pas les causes primordiales des violences quelles subissent?
RépondreSupprimerPas mal cette analyse
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